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La base arrière-avancée de l’Organisation des Moudjahidine* du Peuple d’Iran (OMPI), a été investie par les forces gouvernementales irakiennes le mardi 28 juillet 2009

Jean Michel Vernochet

dimanche 9 août 2009

L’OMPI ou MeK [1], Moudjahidine du Peuple d’Iran, organisation militaire et sectaire protégée par Saddam Hussein, avait été, après la chute du dictateur, désarmée mais conservée au chaud par les troupes d’occupations anglo-saxonnes jusqu’au 28 juillet 2009, date de la prise de contrôle du camp par les forces irakiennes en application de l’accord de sécurité de novembre 2008 passé entre Washington et Bagdad.

Au printemps 2003, forts d’environ de 2400 combattants entraînés et fortement disciplinés, perinde ac cadaver, les Moudjahidine disposaient encore de matériels offensifs lourds, artillerie et blindés, constituant ainsi une force d’intervention opérationnelle autonome susceptible d’intervenir en territoire iranien… comme ce fut le cas lors offensive « Lumière éternelle » de l’été 1988 lancée peu avant la signature du cessez-le-feu entre Bagdad et Téhéran.

Bien qu’inscrite sur les listes du terrorisme international, l’OMPI bénéficie ouvertement, aujourd’hui plus que jamais, de forts appuis politiques dans les grandes capitales européennes. Tout comme à Washington où des groupes de pression institutionnels, remarquablement organisés et actifs tel le CNRI, le Conseil national de la résistance, servent de vitrine honorable à l’Organisation et de caisse de résonance aux campagnes lancées contre la République islamique. Leurs porte-parole officieux occupent ainsi une place importante sur les antennes de Voice of America dont les émissions à destination de l’Iran parviennent à échapper, toute apparence apparences, au brouillage classique.

Dès avant même la Révolution de 1979, à l’époque où Zbgniew Brzeziński convainc le président Carter d’abandonner Reza Chah au moment où celui-ci laissait paraître des velléités de renationalisation du secteur pétrolier, les É-U auraient commencé à soutenir, voire encourager, l’activisme terroriste des Moujahiddin e-Khalq dans la perspective d’établir une « République iranienne orientée vers le fédéralisme ». Un choix « fédéral » clairement inscrit dans la charte constitutive du mouvement et dont la logique implicite est celle d’un éclatement de la nation iranienne en provinces « autonomes ». Constatons que l’apparent échec de la politique américaine ces trente dernières années, en Iran et dans la Région (un fiasco sur lequel d’ailleurs nul n’insiste outre mesure), n’a cependant pas influencé l’Administration américaine quant à ses objectifs généraux ; ni à renoncer ou à modifier un projet qui poursuit vaille que vaille son bonhomme de chemin… qui en fait a pris un nouvel élan avec l’ouverture du dossier du nucléaire militaire en 2004 par le truchement de l’OMPI/CNRI, ce qui n’est sans doute pas une simple coïncidence.

Or, il semble que ce ne soient pas des considérations purement humanitaires qui aient uniquement prévalu dans le maintien des troupes, certes désarmées, de l’OMPI au Kurdistan irakien… cela jusqu’au 28 juillet 2009 dans le contexte d’une « réorientation » de la politique américaine à l’égard de l’Iran, à alors que le Parlement irakien avait voté l’évacuation de cette base depuis juin 2007. Il n’en demeure pas moins que le maintien par la précédente Administration américaine, d’une force d’intervention aguerrie, certes désarmée mais susceptible d’être réactivée, est un aspect du dossier qu’il convient de garder présent à l’esprit. Une force supplétive entraînée et disciplinée, pouvant être rendue opérationnelle selon des délais raccourcis, aurait pu, le cas échéant, participer à une « offensive » en territoire iranien comme ce fut le cas en 1989 peu avant la signature du cessez-le-feu irano-irakien… même si alors l’opération se solda par un cuisant échec !

Rien n’interdit de penser que telle tentative aurait pu être un jour réitérée à l’occasion d’une crise majeure politique ou militaire voire en cas de conflit, cela en parallèle avec des actions du PEJAK appuyé par le PPK, en vue d’ouvrir un front de diversion sur le flanc ouest du dispositif de sécurité iranien. Hypothèse qui n’a rien d’absurde si l’on considère que d’autres opérations de fixation pourraient simultanément être déclenchées, au Sud, dans le Khouzistan et à l’Est, au Baloutchistan.

Ajoutons que, depuis le Camp Ashraf [2], l’OMPI a longtemps assuré un important travail d’écoute des télécommunications iraniennes (militaires et politiques) au profit du Pentagone en continuation de la mission de renseignement effectuée avant 2003 au profit du régime baasiste. L’OMPI en outre, par le truchement de part ses réseaux et ses relais dans la classe politique occidentale, possède en effet la capacité d’injecter dans les circuits médiatiques internationaux à des informations obtenues par des canaux parallèles tels la NSA ou le Shin Beth, permettant aux sources originales, par ce biais, de rester dans l’ombre. Un rôle de collecteur de renseignements stratégiques, mais, tout aussi important, une activité de diffuseur, de relais et de chambre d’écho, essentielle dans le cadre des stratégies indirectes mise en œuvre pour créer les conditions d’un changement de régime et faire évoluer la nation iranienne vers un fédéralisme de marché.

Interrogé sur ses sources l’OMPI déclare faire appel au secteur privé pourvoyeur de renseignements à caractère stratégique, notamment au marché libre des images satellitaires. Ainsi, les premières révélations relatives au programme nucléaire iranien, le 14 août 2002, interviennent par le canal d’Ali Reza Jafarzadeh, analyste attitré de la chaîne Fox News et membre des Moudjahidine du Peuple. De la même façon Ali Safavi , lui aussi membre des Moudjahiddine du peuple, et qui va créer à Londres en 2003, le Near East Policy Research dont les programmes sont focalisés sur les « droits de l’homme, les menaces régionales tels le terrorisme et la prolifération nucléaire, l’expansion de l’extrémisme religieux, la construction de la démocratie et les défis économiques », remet en août 2002, à Vienne, à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), des clichés satellites relatifs aux installations de retraitement iraniennes, images qui donnent le coup d’envoi de la campagne dirigée contre l’Iran de cette date à aujourd’hui… Campagne internationale relatif au programme nucléaire iranien l’ensemble constituant un ensemble détonnant pouvant éventuellement déboucher sur la « guerre » selon les propos du Ministre français des Affaires étrangères, M. Kouchner, en septembre 2007 !

Reste que, depuis le 3 décembre 2007 et le rapport du NIE, il serait loisible de supposer que ces révélations quant au caractère offensif du programme nucléaire iranien, pourraient n’avoir été qu’un élément de manipulation parmi d’autres mesures actives, initiées dans le cadre d’un ambitieux plan de déstabilisation de la République islamique. Comme précédemment évoqué, dans l’hypothèse d’un changement de régime en Iran, l’OMPI pourrait être appelée à occuper une certaine place - au moins dans la phase de transition - dans la construction d’un État fédéral iranien, l’une des idées organiques de la « Constitution » interne du mouvement.

En tant qu’organisation militaire (l’arrière-salle de la vitrine politique plus familière aux élus européens), et à l’instar du PKK, l’OMPI demeure de toute évidence l’un des atouts dont dispose les É-U dans leur guerre cachée pour le démembrement de la puissance iranienne. Il ne s’agit évidemment pas d’une simple hypothèse d’école, mais d’une tendance géopolitique inscrite dans la longue durée contemporaine et dont nous voyons ici et maintenant les effets… avec pour preuve de la remarquable efficacité dont l’Administration américaine a fait preuve dans le dossier des Balkans : en effet il n’aura fallu que quinze ans pour achever, avec l’indépendance du Kossovo en février 2008, le démantèlement de la Fédération yougoslave, puissance régionale et ex-pourvoyeur d’armes de l’Irak baasiste.

L’OMPI, quoique privée de sa base arrière-avancée en territoire irakien, n’en demeure pas moins un atout, une carte de réserve importante en raison de son organisation et de sa pénétration de l’establishment occidental européen et nord-américain (indépendamment du camp Asraf liquidé à bon escient, c’est-à-dire en temps opportun selon l’agenda du Département d’État) car pouvant être appelé à jouer un rôle similaire à celui du Congrès national irakien que Washington avait instrumenté aux fins de justifier son invasion de l’Irak en 2003… Cela indépendamment du fait que le 7 mai 2009, cent trois eurodéputés issus de 24 États membres de l’UE aient envoyé un message au Président Obama pour lui demander d’imiter l’exemple européen en effaçant l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran de la liste des organisations terroristes.

J * Moudjahidine étant le pluriel de « moudjahid » ne prend pas de « s » ; tout comme taliban est le pluriel de taleb.

Notes

[1L’Organisation des Moudjahiddines du peuple d’Iran, les Mujaheddin-e-Khalq (MeK), se présente comme un mouvement de résistance armée au régime des mollahs.
À l’origine mouvement islamo-marxiste d’opposition à la monarchie Pahlavi, après avoir collaboré à la Révolution islamique en 1979, ses positions se sont ultérieurement radicalisées jusqu’à une pratique revendiquée et assidue du terrorisme contre les intérêts iraniens, en particulier depuis leur sanctuaire irakien du camp Asraf, ceci sous couvert du régime baasiste.

Catalogué « organisation terroriste » depuis mai 2002 par l’UE, l’OMPI, grâce à d’efficaces actions de lobbying (par exemple en ralliant à sa cause l’ancien Premier ministre et commissaire européen Édith Cresson), est parvenu en 2009 à se libérer de cette étiquette infamante, pourtant, dans son cas, largement justifiée. Rappelons qu’en 1971 les Moudjahidine du Peuple inaugurent leur lutte armée en tuant 6 conseillers américains ; le 28 juin 1981 le MeK revendique un attentat qui décime les dirigeants du Parti de la République Islamique, tuant l’ayatollah Behechti ainsi que quatre ministres, six vice-ministres et le quart du groupe parlementaire du PRI, soit 72 morts au total.

Une organisation terroriste et sectaire donc qui en juin 2003, après les arrestations de leurs dirigeants en exil à Auvers-sur-Oise, en France, à l’initiative du juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière, suscite chez ses militants une vague d’immolations par le feu à Paris, à Rome, Londres, et Bruxelles ; sacrifices fanatiques et commandés qui ont fait en France l’objet d’un procès à l’automne 2007.

[2Construit dans les années 80 et situé dans le gouvernorat de Diyala, à 100 Km de la capitale irakienne et à moins de 80 Km de la frontière iranienne, la prise de contrôle par la force (un millier d’hommes) du camp Asraf où se trouvait regroupé quelque 3500 combattants et cadres des MeK (désarmés par les forces d’occupation en 2003), aurait occasionné 200 blessés parmi les Moujahidine du peuple d’Iran et 60 parmi les membres des forces de sécurité dont 20 grièvement. Une prise de contrôle qui s’inscrit dans le cadre de l’accord de sécurité signé en novembre 2008 entre Washington et Bagdad et aux termes duquel l’autorité sur le camp devait passer aux forces irakiennes. On imagine mal cependant que ce tardif passage à l’acte, le 28 juillet 2009, ait relevé de la seule initiative du gouvernement Al Maliki, autrement dit sans feu vert de l’Administration américaine… laquelle se défausse, au moment opportun choisi par elle, d’une carte devenue sans valeur. Également, une concession irakienne à Téhéran, qui ne coûte guère à Bagdad mais constitue un indéniable élément de satisfaction pour les Iraniens dont s’était là une demande aussi pressante que récurrente.

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