Jean-Charles Larsonneur quand à lui est un député qui ne connait pas les dossiers sur les ventes d’armes à L’Arabie Saoudite.
« Mon pays fabrique des armes » : une « équipe France » si bien armée
Le documentaire de la journaliste Anne Poiret s’interroge sur les ventes d’armes, « un angle mort du débat public ».
Avions, blindés, missiles… La France vend des armes, beaucoup, et depuis longtemps. Dans ce pays qui fait aussi la guerre sans discontinuer ou presque depuis plusieurs décennies, le fait ne semble pas émouvoir autant que dans d’autres démocraties. Est-ce le rôle de la France d’exporter des armes dans le monde entier, particulièrement au Moyen-Orient aujourd’hui à feu et à sang ? « Oui, c’est notre rôle », tranchait François Hollande en avril 2017 dans l’usine du missilier MBDA, car sans cela « le risque c’est que d’autres le fassent à notre place ». Un « Circulez, rien à voir ! » que le documentaire de la journaliste Anne Poiret tente de bousculer. Car, si la première affirmation du film se discute assurément – « Nous ne savons rien » –, la deuxième est une vérité sur laquelle il vaut de s’interroger : le sujet des ventes d’armes forme « un angle mort du débat public ».
Avec 17 milliards d’euros de prises de commandes en 2016, montant record historique, la présidence de François Hollande a plus que toutes les autres vendu canons et munitions, rappelle le film. L’exécutif a agi au nom de la défense de la souveraineté nationale, en déclarant vouloir préserver des industries de haute technologie et leurs précieux emplois – quelque 170 000 dans la filière.
Et pourtant aucun des responsables de l’époque n’a assumé cette politique devant la caméra d’Anne Poiret : ni le chef de l’Etat qui a scellé le contrat historique du Rafale et des frégates avec le dictateur égyptien Sissi en lui accordant d’importantes garanties ; ni son ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, présenté par l’exécutif comme le chef performant de « l’équipe France », qui a engrangé des ventes depuis l’Inde jusqu’au Qatar ; ni le secrétaire général pour la défense et la sécurité nationale Louis Gautier, qui chapeaute sous l’autorité de Matignon les autorisations d’exportation. Les parlementaires ne sont pas plus prolixes. Ni les industriels. Se heurtant partout au secret-défense, le documentaire effectue un périple à la porte des usines et des salons de l’armement, où nul ne souhaite vanter la qualité de ses produits.
Interpellation morale
Dans les démocraties occidentales, la guerre au Yémen a depuis 2015 relancé une forte interpellation morale : peut-on continuer de fournir en matériels militaires des protagonistes, Arabie saoudite en tête, accusés de commettre des crimes de guerre envers les populations civiles ? Sous la pression de députés européens, d’ONG ou de leur opposition, les gouvernements d’Espagne, de Suède ou des Pays-Bas ont récemment décidé de stopper des ventes à Riyad. L’Allemagne, la France, le Royaume-Uni continuent de fournir leur client sulfureux en assurant redoubler de précautions. Le problème est que, pour être bien réelles, ces règles demeurent opaques. Et qu’elles ne sauraient éviter tout emploi d’armes contraire au droit de la guerre.
En 2016, un débat a opposé le ministère français des affaires étrangères à celui de la défense au sujet de la coalition au Yémen. Il n’a pas dépassé les premiers cercles de l’Etat. Faut-il attendre un scandale pour qu’évolue la position française, s’interroge le film ? Un détour par l’attentat de Karachi – onze salariés français de DCN tués en 2002, une affaire en lien avec des commissions versées lors de la vente de sous-marins au Pakistan – permet de rappeler que vendre des armes ne va jamais sans risques. Le film ne comporte pas de révélations, mais il a le mérite de donner aux citoyens les clés du débat.
Réaction au documentaire « Mon pays fabrique des armes » diffusé le 23 octobre sur France 5
Il y a un an, en octobre 2017, quatre mois après le début de mon mandat, la journaliste Anne Poiret a souhaité s’entretenir avec moi de la politique française en matière d’industrie de défense et d’exportations d’armement. Je lui ai notamment expliqué en quoi les exportations d’armement étaient un complément indispensable à la commande publique pour la pérennité de notre industrie de défense et le maintien de notre autonomie stratégique. Elle m’a ensuite demandé de commenter un rapport sur les exportations d’armement dont je n’avais pas encore pris connaissance. Et pour cause, à la date de l’entretien, ce rapport annuel au Parlement n’avait pas été présenté à l’Assemblée nationale.
Je pourrais revenir sur la malhonnêteté du montage, du choix des extraits sélectionnés et du séquençage retenu, pour le moins orienté. Là n’est pas la question.
Ce qui transparaît dans ces extraits, c’est le malaise d’un jeune élu tenaillé entre le devoir lié à ses fonctions et ses convictions en tant que citoyen et représentant du peuple.
Le contrôle des exportations de matériels de guerre est un sujet technique et complexe, qui ne saurait trouver des réponses unilatérales ou simplistes, comme tendrait à le faire accroire ce documentaire.
Aujourd’hui, en France, le principe, rappelons-le, est bien la prohibition de tout commerce d’armes. Il n’est possible que sous la surveillance de l’État, par des dérogations au cas par cas, matériel par matériel et pays par pays, accordées par le Premier ministre statuant en opportunité. La commission qui instruit ces demandes de licence, la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG), réunit des experts des Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, des Armées, de l’Economie, de l’Action et des Comptes publics, sous la présidence du Secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN).
La délivrance ou le refus des licences d’exportation se fonde sur les engagements internationaux et européens de la France, et notamment sur le traité sur le commerce des armes (TCA), ratifié en 2014, et sur la position commune de l’Union européenne de 2008, qui définit les critères d’octroi aux pays destinataires de manière stricte et restrictive : respect des droits de l’Homme, comportement du pays acheteur et attitude envers le terrorisme, notamment. Cette méthode de travail permet d’adapter notre politique d’exportation à l’évolution de la situation internationale. Ainsi, elle a connu cette année une inflexion significative liée à la situation au Yémen, qui a conduit à porter une attention particulière aux demandes de licences à destination de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.
La France a donc pris des engagements ambitieux et peut s’appuyer sur un dispositif interministériel crédible et rigoureux. Le Parlement, pour sa part, fait l’objet d’une information annuelle suivie d’un débat, dont le dernier s’est tenu le 4 juillet dernier, et auquel j’ai participé.
Le documentaire met en avant la faiblesse du débat parlementaire en France, en comparaison d’autres pays européens. Il est important d’aborder ce sujet de manière non naïve. Chez certains de nos partenaires européens, le débat parlementaire, certes vigoureux, masque en réalité une politique d’exportation très active, notamment d’armes de petit calibre et de munitions, dont la létalité n’est pas à démontrer.
Aussi, la question de fond est-elle celle d’un contrôle pertinent associé à une transparence accrue vis-à-vis de nos concitoyens, qui se posent des questions légitimes quant à l’exportation de matériels dans des pays impliqués, ou suspectés d’être impliqués, dans la commission de crimes de guerre ou de violation des droits de l’Homme. C’est pourquoi je suis favorable à un renforcement de l’information du Parlement.
Par une transparence accrue et un débat plus poussé, la France ferait mieux encore prévaloir ses principes sur les exportations de matériels de guerre, qui constituent du reste un instrument de souveraineté et un outil de sauvegarde de notre autonomie stratégique. Nous gagnerions collectivement à une évolution progressive de nos pratiques. A ce titre, je propose dans un premier temps la présence à titre d’observateur d’un député et d’un sénateur au sein de la CIEEMG.
Jean-Charles Larsonneur