La marine française escorte les navires de CMA CGM tandis que les navires américains restent bloqués
John Konrad
La France a accepté de rester, mais à condition de ne pas avoir à suivre les ordres des Américains. Elle a refusé de s’exprimer sur le déploiement de forces navales supplémentaires. L’Espagne et l’Italie ont quitté les lieux.
L’opération Prosperity Guardian, la mission essentielle menée par les États-Unis pour sécuriser les voies de navigation marchande vitales en mer Rouge, est confrontée à un nouveau revers. Les récents rapports de gCaptain mettent en évidence une tendance préoccupante : l’absence flagrante d’alliés clés, notamment l’Australie, membre d’AUKUS, dans le cadre de cette initiative internationale. Pour aggraver la situation, la marine française, pierre angulaire de la coalition, a retiré son soutien, peut-être temporairement, pour se concentrer sur l’aide aux navires appartenant à la France. Cette décision décisive intervient alors que les dirigeants américains sont confrontés à des critiques de plus en plus vives de la part des armateurs américains pour avoir laissé les marins américains dangereusement exposés à la portée des forces houthies, sans protection.
Pour être clair, il n’est pas certain que le retrait français de l’opération Prosperity Guardian soit permanent ou qu’il s’agisse simplement d’une réorientation temporaire des priorités vers les intérêts nationaux.
gCaptain a reçu des informations, confirmées par le Dr. Sal Mercogliano, selon lesquelles la marine française s’est détournée de l’opération Prosperity Guardian menée par les États-Unis, après qu’un représentant ait quitté en trombe la première réunion de l’opération avec des responsables américains. Les Français ont commencé à escorter leurs propres cargos, notamment les porte-conteneurs CMA CGM Pegasus, CMA CGM George Washington et APL Salalah, en mer Rouge. Au cœur de ce drame, une question cruciale se pose : quels sont les navires qui méritent d’être protégés ? Alors que les Français ont clairement montré leur intention de donner la priorité à leurs propres intérêts maritimes, l’approche des États-Unis a laissé leurs propres navires battant pavillon américain bloqués dans la région, qui attendent d’être escortés, certains depuis une semaine entière.
On ne sait toujours pas si la France se retirera de la coalition ou si elle continuera à apporter son aide après avoir donné la priorité à ses navires, tout en restant membre de l’opération. Une source proche de la marine française a déclaré que d’autres armateurs européens pourraient bénéficier de l’aide française aprè savoir sécurisé en priorité les navires appartenant à la France (mais battant pour la plupart pavillon étranger).
Cette évolution marque un changement important dans la dynamique géopolitique de la sécurité maritime dans l’une des voies maritimes les plus vitales du monde. La décision française souligne la crise croissante du transport maritime, qui place les priorités nationales et régionales au-dessus des besoins mondiaux, tandis que les États-Unis se concentrent sur la protection de l’ensemble du transport maritime - y compris les navires appartenant à des rivaux comme la Chine - au détriment de la flotte de navires marchands battant pavillon américain, qui est en train de s’amenuiser.
L’opération « Prosperity Guardian » est un échec dès le premier jour
L’annonce par le secrétaire à la défense Lloyd Austin de l’opération Prosperity Guardian, visant à sauvegarder le corridor stratégique de la mer Rouge sous l’égide des forces maritimes combinées à Bahreïn, a d’abord été le signe d’un effort d’unification. Dirigée par la Cinquième flotte américaine et la Task Force 153, l’opération visait à obtenir une large participation. Or, seuls dix pays se sont engagés, des alliés comme le Canada et les Pays-Bas ne fournissant que quelques officiers d’état-major. Plus important encore, des alliés navals clés comme l’Australie, le Japon et la Corée du Sud se sont abstenus. Bien que le Pentagone ait annoncé la participation de dix partenaires silencieux supplémentaires, les experts en transport maritime sont restés sceptiques quant à l’efficacité de ces contributeurs clandestins, en particulier pour ce qui est de la protection active des navires dans un environnement aux enjeux aussi importants.
L’annonce fracassante a toutefois été suivie d’une certaine confusion, les compagnies maritimes se sentant laissées dans l’ignorance, car on ne connaît que peu de détails pratiques sur l’initiative lancée mardi par Washington et on ne sait pas si elle sera directement engagée en cas de nouvelles attaques armées en mer.
Les sources de gCaptain ont révélé un sentiment de confusion omniprésent, qui affecte non seulement les responsables européens du transport maritime, mais aussi les armateurs américains qui ont accès aux réunions d’information confidentielles du Pentagone. Lors des entretiens menés par gCaptain, des sources au sein de l’armée américaine ont mis en évidence une réponse désordonnée à la crise. Alors que certains éléments militaires, tels que le commandement américain des transports (TRANSCOM) et la coopération navale et les orientations en matière de transport maritime (NCAGS) de la marine, se sont activement engagés auprès des armateurs, d’autres segments de l’armée semblent incertains quant à la structure de commandement de l’opération. Ce manque de clarté sur les rôles des dirigeants contribue à la confusion générale qui entoure l’initiative.
D’autres alliés, qui se concentrent sur les menaces importantes dans le Pacifique et en mer de Chine méridionale, craignent que l’opération Prosperity Guardian ne détourne l’attention des grandes priorités régionales. Le Japon et la Corée du Sud, qui ont régulièrement participé aux précédentes opérations de lutte contre la piraterie menées par les États-Unis dans la région, se distinguent également par leur absence de la mission actuelle, malgré les perturbations du transport maritime qui affectent également les voies d’importation et d’exportation asiatiques.
Les navires battant pavillon américain laissés sans protection
La situation précaire des navires battant pavillon américain, bloqués avec des cargaisons militaires près de la mer Rouge, est au cœur de l’angoisse de la coalition. Les Français veulent donner la priorité à leurs navires, tandis que les navires battant pavillon américain - que l’US Navy est tenue de défendre - sont inexplicablement moins prioritaires pour les États-Unis.
Cette question urgente, mise en lumière par la récente attaque à la roquette d’un pétrolier battant pavillon américain en Israël, met en évidence la vulnérabilité de ces navires en raison de l’absence alarmante d’une protection militaire adéquate. Cette situation critique menace non seulement la sécurité de ces navires, mais soulève également de profondes questions quant à la détermination des États-Unis à sauvegarder leurs actifs maritimes, un engagement qui semble dangereusement vaciller.
Selon MarineTraffic.com, plusieurs navires battant pavillon américain attendent actuellement d’être escortés en mer Rouge. Cette situation est choquante si l’on considère que plus de 3 000 marins du corps des Marines et de la marine nationale ont été envoyés pour défendre des navires battant pavillon étranger dans le golfe Persique au début de l’année, mais qu’aucun détachement de sécurité n’a été fourni aux navires battant pavillon américain qui se trouvent aujourd’hui à portée de tir des missiles des Houthis.
Le scénario actuel est exacerbé par le manque d’attention de nos dirigeants, en particulier du secrétaire d’État Pete Buttigieg, qui n’a fait aucune déclaration en faveur des marins marchands américains dont il a la charge et qui semble totalement déconnecté de la situation en mer Rouge. Il est de la plus haute importance que cette situation soit traitée avec le sérieux qu’elle mérite.
Les échecs de la Maison Blanche
Il ressort clairement de nos sources que l’US Navy, les experts navals, et l’US Maritime Administration (MARAD) du ministère des transports, les experts maritimes, ne dirigent pas cette opération, ce qui est déroutant. La question est de savoir qui le fait. Aucune de nos sources ne peut répondre à cette question avec certitude. Le bureau du secrétaire à la défense a été le plus virulent et joue certainement un rôle, mais deux experts navals de haut niveau interrogés par gCaptain pensent que c’est la Maison Blanche qui dirige peut-être l’opération.
C’est inquiétant car la gestion des affaires maritimes, en particulier sous l’égide de l’équipe de Jake Sullivan, ne dispose pas de l’expertise maritime nécessaire pour résoudre ce problème. Cette situation découle d’un changement stratégique qui a vu la Maison-Blanche jouer un rôle direct dans les initiatives de formation de coalitions, avec une participation minimale des organismes maritimes spécialisés tels que l’US Navy ou la MARAD, et des organismes internationaux tels que l’Organisation maritime internationale.
Dès le départ, l’approche de l’administration Biden en matière d’affaires maritimes a laissé entrevoir un changement. La fermeture du bureau maritime du Conseil national de sécurité dès le premier jour a laissé un vide notable en matière d’expertise maritime au sein de la Maison Blanche. La nomination du secrétaire d’État Pete Buttigieg au ministère des transports, perçue par certains comme une décision politique, et l’affectation à la MARAD d’un amiral à la retraite depuis longtemps, qui s’intéressait avant sa nomination à la résilience climatique et n’avait aucune expérience du secteur maritime, ont indiqué une nouvelle orientation de la politique maritime.
Cette transition contraste avec l’approche de l’administration précédente. Sous la présidence de M. Trump, des experts maritimes et navals ont occupé des postes clés, trois anciens armateurs ayant été nommés au sein de son cabinet. Bien que nombre de leurs initiatives maritimes aient échoué ou aient été annulées lorsque l’administration a commencé à s’effilocher, ils ont obtenu des succès notables, notamment la revitalisation du chantier naval de Philadelphie et la construction de nouveaux navires de formation pour les écoles maritimes.
Sous la présidence de M. Biden, le personnel semble manquer de connaissances spécifiques au secteur maritime. En outre, la nomination d’un général de l’armée de terre à la retraite au poste de secrétaire à la défense, associée à ce que certains considèrent comme des actions limitées pour soutenir la marine, indique une tendance plus large selon laquelle les questions maritimes reçoivent moins d’attention dans la stratégie de défense et de sécurité nationale de l’administration actuelle.
Chaos et confusion
Il a été très difficile d’aller au cœur de cette histoire en raison des échecs des dirigeants, de la nature confidentielle des discussions navales et de la confusion généralisée parmi les alliés et les dirigeants de l’industrie du transport maritime concernant l’opération Prosperity Guardian.
La France va-t-elle se retirer officiellement et organiser sa propre opération ? Le secrétaire d’État Pete Buttigieg prendra-t-il les choses en main ? La Maison Blanche rouvrira-t-elle le bureau maritime du Conseil national de sécurité ? L’US Navy tiendra-t-elle sa promesse d’embarquer des marines à bord des navires battant pavillon américain et de leur fournir des escortes de destroyers ? Combien de temps faudra-t-il pour résoudre tous ces problèmes ?
De nombreuses questions se posent quant à l’avenir de l’opération. Ce qui ressort, c’est le besoin pressant d’un leader unique et expérimenté pour superviser efficacement la communication et la coordination. Ce rôle doit être assumé par une personnalité connue du secteur du transport maritime, comme l’amiral James Stavridis, qui a géré avec brio la réponse à la piraterie en Somalie, ou l’amiral Thad Allen, connu pour ses efforts de coordination lors de la crise de Deepwater Horizon. Un leadership exemplaire comme le leur inspirerait confiance et soulignerait l’importance d’un encadrement expérimenté pour relever efficacement les défis actuels.
Le manque de leadership doit également être comblé de l’autre côté de l’Atlantique. Si l’opération se poursuit sous direction américaine, il est essentiel que les dirigeants des grandes compagnies maritimes, tels que Vincent Clerc de Maersk, s’engagent directement auprès des principaux responsables américains. Des réunions à Washington D.C. avec les secrétaires à la marine et aux transports constitueraient une étape décisive. Une telle collaboration enverrait un message retentissant aux marins qui naviguent dans les eaux précaires menacées par les drones houthis. Elle montrerait un front uni où l’industrie du transport maritime, les autorités gouvernementales et les dirigeants de la marine synchroniseraient leurs efforts pour garantir des mers plus sûres. Plus qu’une décision stratégique, il s’agit d’une mesure nécessaire pour renforcer la confiance et la sécurité dans ces zones à haut risque.
Le chaos et la confusion qui règnent actuellement persisteront tant que deux mesures essentielles n’auront pas été prises. Premièrement, il faut remédier efficacement au manque de leadership actuel. Deuxièmement, il est essentiel que la Maison Blanche et le Pentagone cessent de microgérer les actions sans faire appel à l’expertise de l’industrie en interne. L’expertise et la perspicacité de ces professionnels sont indispensables pour naviguer dans la complexité de la situation. Cette approche collaborative - avec un responsable fort en qui les deux parties ont confiance - apportera non seulement la stabilité nécessaire, mais pourrait également ouvrir la voie à une collaboration future.