Les dividendes de l’évolution démographique
Les pays industrialisés ont dans une grande mesure achevé ce qu’on appelle la « transition démographique »
Le passage d’une société principalement rurale et agraire, caractérisée par des taux élevés de fécondité et de mortalité, à une société essentiellement urbaine et industrielle, caractérisée par une baisse de ces taux. Au premier stade de cette transition, les taux de fécondité diminuent, et il y a donc moins de jeunes bouches à nourrir. Pendant cette période, la population active augmente temporairement plus vite que le nombre de personnes qu’elle fait vivre, ce qui libère des ressources pour l’investissement dans le développement économique et le bien-être des familles. Toutes choses égales, le revenu par habitant augmente lui aussi plus rapidement.
C’est le premier dividende.
Cette période peut se prolonger pendant cinq décennies ou plus, mais, finalement, la diminution de la fécondité abaisse le taux de croissance de la population active, et la réduction continue de la mortalité des personnes âgées accélère l’augmentation de leur nombre. Toutes choses égales, le revenu par habitant s’accroît moins vite, et le premier dividende devient négatif.
Un second dividende peut cependant apparaître. En effet, les populations qui comportent une forte proportion de personnes travaillant jusqu’à un âge plus avancé et vivant une longue période de retraite sont fortement incitées à accumuler des actifs, sauf si elles sont sûres que la famille ou l’État pourvoiront à leurs besoins. Que ces actifs supplémentaires soient investis à l’intérieur ou à l’extérieur, le revenu national augmente.
En résumé, le premier dividende apporte un avantage temporaire, et le second transforme cet avantage en accroissement des actifs et en stimulation du développement durable. Ces résultats ne sont pas automatiques, mais dépendent de la mise en œuvre de politiques efficaces.
La période du dividende offre donc une occasion, et non une garantie, d’amélioration du niveau de vie.
Les dividendes se succèdent dans le temps : le premier commence d’abord, puis s’achève ; le second démarre un peu plus tard et se poursuit indéfiniment. Ils se chevauchent certainement. Ces deux dividendes ont eu des effets positifs entre 1970 et 2000, sauf en Afrique subsaharienne.
Montant potentiel des dividendes
Les pays en développement n’ont pas encore achevé leur transition démographique. Les lignes horizontales marquent les limites conventionnelles de la population d’âge actif (20–65 ans). Au premier stade, le nombre d’enfants augmente rapidement à mesure que la mortalité baisse. Ensuite, au stade intermédiaire, la fécondité commence à décliner, réduisant le nombre d’enfants, et la part de la population en âge de travailler s’accroît.
Au dernier stade, la baisse de la mortalité et de la fécondité augmente la proportion de personnes âgées ; c’est ce qu’on appelle le vieillissement de la population. Les pays au stade intermédiaire ont la possibilité d’exploiter le premier dividende démographique.
Le second dividende commence vers la fin du stade intermédiaire et dure jusqu’à la fin du dernier stade, mais il est préférable que les politiques visant à l’exploiter au maximum soient mises en place dès le stade intermédiaire.
Le montant des dividendes dépend du niveau de production et de consommation de la population à chaque âge.
En Thaïlande, c’est seulement entre 26 et 59 ans que la population produit plus qu’elle ne consomme. Aux États- Unis, c’est entre 26 et 57 ans ; à Taiwan, entre 26 et 55 ans ; dans les trois cas, les chiffres sont très différents des limites conventionnelles.
En multipliant la répartition par âge de la population par ces profils d’âge de production et de consommation, on obtient le nombre effectif de producteurs et de consommateurs ; le ratio des producteurs aux consommateurs est le « ratio de soutien ».
Pendant la phase du dividende, le ratio de soutien augmente. Un accroissement de 1 % de ce ratio entraîne une augmentation de 1 % de la consommation à chaque âge sans hausse de la part de la consommation dans le PIB.
Parmi les pays en développement, le ratio de soutien a commencé à augmenter dans quatre régions du monde :
l’Asie de l’Est et du Sud-Est, l’Amérique latine, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et les îles du Pacifique. Cela a eu pour effet de relever le taux annuel de croissance de la production par consommateur effectif d’un chiffre compris entre 0,5 et 0,6 point de pourcentage environ par an entre 1970 et 2000.
En Asie du Sud, la phase du premier dividende n’a commencé qu’au milieu des années 80 et qu’en 2000 en Afrique subsaharienne. Dans cette dernière région, ses effets ont même été négatifs entre 1970 et 2000, car l’amélioration du taux de survie des enfants a fait baisser le taux de soutien.
Le second dividende (l’augmentation de l’accumulation d’actifs) a été plus important que le premier dividende, et l’effet combiné des deux (troisième colonne) atteint 1,9 % par an en Asie de l’Est et du Sud-Est.
Dans cette région, les dividendes démographiques ont représenté 44 % de la croissance effective de la production par consommateur effectif. L’évolution démographique y explique l’essentiel du dynamisme économique. En revanche, certaines régions n’ont pas réussi à exploiter leur dividendes démographiques. En Amérique latine, ils auraient pu relever la croissance de 1,7 % par an, ce qui n’a pas été le cas.
La bonne gestion des dividendes
La proportion du premier dividende qui est concrétisée pendant la transition démographique dépend des principales caractéristiques du cycle de vie économique. Ainsi, la productivité des jeunes adultes est fonction des décisions concernant l’enseignement, des pratiques en matière d’emploi, de l’échelonnement et du nombre des naissances et des politiques permettant aux jeunes parents de continuer à travailler.
Celle des personnes plus âgées dépend de la santé et de l’invalidité, des incitations et désincitations fiscales et, en particulier, de la structure des régimes de retraite.
Du côté de la consommation, certains pays, comme ceux de l’Asie de l’Est, attachent beaucoup d’importance aux dépenses d’éducation pour les enfants ; d’autres, comme les États-Unis, consacrent une grande partie de leurs ressources à la santé des personnes âgées.
La concrétisation du second dividende dépend du soutien que la société apporte aux personnes âgées. Dans les pays en développement, elles sont soutenues par leur famille et par le secteur public, mais, en outre, elles dépendent des actifs qu’elles ont accumulés pendant leurs années de travail (logement, pensions et épargne personnelle, entre autres). Au fur et à mesure du vieillissement, la charge qui incombe aux familles et aux États augmente en proportion du PIB, problème qui préoccupe gravement beaucoup de pays.
Toutefois, grâce au second dividende, l’accroissement du nombre de travailleurs d’âge moyen peut augmenter notablement la part du capital par rapport au PIB s’ils sont encouragés à épargner pour leur retraite.
Si les pays font face au problème du vieillissement en développant les programmes de transferts familiaux ou publics par répartition, l’augmentation des actifs est réduite et le second dividende diminue. En revanche, si les travailleurs sont encouragés à épargner et à accumuler des fonds pour leur retraite, le vieillissement peut accroître le capital par travailleur, la croissance de la productivité et le revenu par habitant. Ainsi, les dirigeants, surtout dans les pays en développement, devront se concentrer sur l’établissement de systèmes financiers solides, bénéficiant de la confiance du public et accessibles aux millions de personnes qui veulent assurer leur avenir financier. Alors que les populations vieillissent, le moment est venu d’agir pour concrétiser tout le potentiel de stimulation de la croissance que cette évolution implique.
FMI
Ronald D. Lee est professeur de démographie et d’économie à l’université de Californie, à Berkeley, et Président du Center on the Economics and Demography of Aging. Andrew Mason est professeur d’économie à l’université de Hawaï et chercheur principal au East-West Center.