En 2009, la Banque nationale suisse (BNS) découvre que la Confédération helvétique est exposée en Grèce à la hauteur de 64 milliards de dollars, un chiffre qui inquiète.
Cependant, d’après Reuters Insider du 29 avril 2010, l’exposition des banques suisses, comme par magie, passa soudainement (entre septembre et décembre 2009) de 64 à seulement 3,6 milliards, comme l’indique le rapport trimestriel de la Banque des règlements internationaux (BRI) de Bâle !
Cette fois-ci, rassure Reuters, il ne s’agit nullement d’une erreur statistique d’Athènes.
Tout s’explique par la relocalisation discrète d’une seule banque, l’Eurobank du clan Latsis qui s’installe au Luxembourg, c’est-à-dire... dans la zone euro. Notons que Eurobank apparaît comme ayant investi presque entièrement son capital et l’argent de ses clients dans un seul pays, la Grèce. Une stratégie financière folle – à moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie payante…
Eurobank, la troisième banque grecque, est contrôlée par Spiro Latsis via une holding installée jusqu’en 2009 à Genève. Ainsi, pour la BRI, l’exposition d’Eurobank était classée comme l’exposition d’une banque suisse. Par ailleurs, une source à la BRI nous a confirmé que les banques du Groupe Eurobank EFG détenaient, en septembre 2009, plus de 60 milliards d’euros de dettes grecques, publiques et privées confondues, ce qui implique que ce chiffre pourrait être de loin supérieur aujourd’hui.
Cependant, étant donné qu’Eurobank ne dispose pas non plus d’une licence bancaire luxembourgeoise, son exposition à la dette grecque a en quelque sorte disparu. En effet, d’après les statistiques de décembre de la BRI, l’exposition de l’ensemble des « banques européennes » à la Grèce tomba en trois mois de 253 milliards de dollars à seulement 189 milliards de dollars. C’est ça la rigueur !
Cependant, Eurobank, qui dispose d’une petite sœur suisse, EFG International, contrôlé par la même holding opérant désormais à partir du Luxembourg, est considérée comme une banque grecque et non pas comme une banque suisse. Et les banques grecques, tout le monde s’accorde : pour les sauver, il faut faire payer les peuples d’Europe et égorger les Grecs.
En tout cas, selon ARD et le professeur Wilhelm Hankel, cette manœuvre a permis à Eurobank de bénéficier de l’argent des renflouements de la BCE et de l’UE.
Spiro Latsis et Barroso
Avec une fortune de 6,7 milliards d’euro, Spiro Latsis n’est pas qu’un simple milliardaire. Formé à la London School of Economics (LSE), il est un administrateur de « Friends of Europe » (Amis de l’Europe), le think-tank bruxellois dirigé par le vicomte Etienne d’Avignon dont plusieurs membres furent chargés par Barroso, après l’échec du projet de Constitution européenne, de « reformater » un texte qui deviendra, sous la direction de Giuliano Amato, le Traité de Lisbonne.
L’influence économique et politique du clan Latsis en Grèce n’est pas des moindres. S’appuyant sur les profits gigantesques issus de sa compagnie de transport maritime, John Latsis se lance dans la finance.
En 1979, il rachète à la famille Onassis la Banque de Dépôt, à Genève. Il crée en 1989 la Private Bank and Trust Company, suivie l’année d’après par la création de l’Euroinvestment Bank. Le domaine financier du groupe est dirigé à partir de Genève par sa femme Mariana.
En 1999, John Latsis cède les rênes de son empire à son fils, Spiro Latsis. Celui-ci gère à Genève la fortune des Latsis, estimée à l’époque à 6 milliards de francs suisses. La famille Latsis était ainsi considérée comme la 7e plus riche de Suisse.
En marge du commerce naval et pétrolier, Spiro Latsis développe ensuite le Holding bancaire Eurobank EFG, spécialisé dans la gestion de fortune.
La figure clé de cet empire est le banquier suisse Jean-Pierre Cuoni, qui, entre 1990 et 1994, était PDG de Coutts and Co. Private and Commercial Banking, la même institution qui fit, pendant des générations, office de banquier privé pour la famille royale britannique. En 1969, elle fut rachetée par NatWest, une banque commerciale britannique qui, à son tour, fut reprise par Royal Bank of Scotland.
Ainsi, en 1995, Cuoni et trois autres directeurs de Coutts décidèrent de créer une nouvelle banque privée sur le modèle traditionnel afin de pourvoir aux besoins de leurs « clients de niveau supérieur », et se tournèrent pour cela vers Spiro Latsis.
En fin de compte, il fut décidé de prendre la Banque des dépôts de Latsis, à l’époque sise à Genève, et l’activité suisse de Royal Bank of Scotland pour créer le European Financial Group. En font alors partie EFG International de Zurich, qui gère quelque 90 milliards de francs suisses, EFG Eurobank Egasias SA d’Athènes et EFG Bank European Financial Group SA de Genève.
Spiro Latsis détient aujourd’hui des actions de PrivatAir, une grande compagnie aérienne privée. Il est également impliqué dans la plus grande affaire immobilière de Grèce, Lambda Development (Athènes). Lambda est l’un des plus importants soi-disant développeurs immobiliers en Europe du Sud-est. Le clan Latsis a aussi aidé le gouvernement grec en 1998, en achetant la Cretabank en faillite pour beaucoup d’argent. Après cela, le gouvernement avait à son tour aidé le clan Latsis pour acheter Hellenic Petroleum, ce qui fait aujourd’hui de lui l’un des plus importants fournisseurs en énergie de la région.
Cependant, le vrai scandale est le fait que Eurobank n’est ni « suisse » ni « grecque », mais une banque dans l’orbite des familles royales britannique et saoudienne.
John Latsis (père) avait déjà accueilli en 1990 le sommet financier du G7 dans sa résidence à Londres et était un ami proche du Prince Charles auquel il prêta à plusieurs reprises son yacht luxueux pour les aventures sentimentales de ce dernier. Il prêta le même bateau au président George H.W. Bush, Colin Powell et Marlon Brando.
La collusion entre la famille Latsis et le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, est un fait notoire. En août 2004, c’est Barroso et sa femme qui passeront leurs vacances tous frais payés sur le fameux yacht de Latsis. Un mois plus tard, la Commission autorise l’Etat grec à accorder une subvention de 10,3 millions d’euros aux activités bancaires de Latsis. L’affaire fut révélée en mi-avril 2005 par le quotidien allemand Die Welt. En France seul l’Humanité relatera le scandale, mais le conflit d’intérêt entre Barroso et Latsis devenait si manifeste que 77 députés européens déposent une motion de censure et accusent Barroso d’avoir menti en affirmant que la Commission n’avait pas intercédé en faveur de Latsis.
Le 25 mai 2005, Le Canard Enchaîné revient sur le scandale et rapporte que certains parlementaires européens notaient « que les affaires du groupe Latsis (banque, immobilier, pétrole, construction navale) en Grèce et dans les Balkans ne sont pas des modèles de transparence. Tout comme les comptes de ses filiales, basées à Jersey, Monaco ou Luxembourg. Ils ont aussi - et surtout - découvert que les entreprises de Spiro Latsis avaient eu au moins à six reprises, depuis 1999, les honneurs de la Commission européenne dans ses avis ou décisions. Ainsi, de 1999 à 2004, la banque du groupe grec, EFG Eurobank, a été choisie par la Commission pour faire transiter l’argent des financements européens en Grèce. De même, l’exécutif européen a autorisé plusieurs rapprochements entre le groupe Latsis et des banques ou entreprises grecques. Plus troublant, en septembre 2004 la Commission a autorisé l’octroi d’une aide aux chantiers navals Shipyard, propriété de Latsis. Enfin, pour tout arranger, Barroso, une fois installé à la tête de l’exécutif européen, a nommé conseiller spécial à la Commission un certain Dusan Sidjanski, également patron du Centre européen de la culture [fondé par Denis de Rougement en 1950 pour promouvoir l’Europe des régions], un machin largement financé par... le groupe Latsis. »
Après ces révélations, Barroso a été prié de s’expliquer devant le Parlement Européen. Il s’explique d’abord dans une lettre adressée le 22 avril au président du Parlement européen, Josep Borell. Et c’est là qu’un hebdo espagnol de gauche, La Clave (6 mai), affirme avoir vu des documents où la Commission appuyait le projet d’oléoduc d’une société où Spiro Latsis a une grosse participation…
Après avoir présenté la motion des députés comme un « complot d’eurosceptiques », Barroso affirme que le deal avec Latsis fut arrangé bien avant qu’il arrive à la Commission et la motion de censure contre lui est rejetée le 8 juin 2005 par 589 voix contre 35 avec 35 abstentions.
Cependant, le cas d’Eurobank du clan Latsis soulève des questions importantes. Nous avons là affaire à une banque privée qui a investi presque exclusivement dans les obligations souveraines d’un seul pays. Cela signifie que la banque a été utilisée comme un véhicule de renflouement de l’euro depuis un certain temps. Nous parlons d’une banque qui fait partie du cœur de l’Empire britannique et dont le propriétaire est un intime de Barroso et de la famille de Windsor.
Alors, combien d’autres « Eurobanks » opèrent ainsi dans l’ombre du système bancaire international ?