Il n’y a donc que depuis seulement deux ou trois ans que les responsables politiques ont découvert avec angoisse que cette loi n’était pas exacte et l’on a commencé à prendre conscience de la grave situation dans laquelle le pays se trouvait plongé. A Bruxelles le Commissaire Erkki Liikan en charge des entreprises a d’ailleurs fait son mea culpa, déclarant : « Pendant les années 1990 les services étaient, pensait-on, en mesure de tirer l’économie à la suite du déclin de l’industrie : c’était une erreur ! ».
On est ainsi passé, en France, de 5.719.000 emplois industriels en 1980 à un tout petit peu moins de 3.000.000 actuellement, et l’industrie qui constituait 28% du PIB en 1980 n’intervenait plus que pour 12% de celui-ci en 2010. Et la situation, avec la crise actuelle, s’est encore détériorée depuis. L’Allemagne en est à 23,3% du PIB, l’Italie à 20,0%, la Grande-Bretagne à 18,0%…. et la Suisse, que l’on verrait bien comme l’exemple même d’un pays à économie très avancée, c’est-à-dire essentiellement centrée sur le tertiaire selon la théorie de Jean Fourastié, a un secteur industriel qui représente 26,4% de son PIB. Les conséquences de cette très grave désindustrialisation de la France sont multiples : un chômage très important qu’il est devenu tout à fait impossible de réduire, une balance commerciale très gravement déficitaire, des rentrées fiscales insuffisantes pour le budget de l’État, une grave désorganisation du territoire, et un moral au plus bas dans la population qui est inquiète pour l’avenir de ses enfants.
Les causes du mal restent, curieusement, inexpliquées. On accuse à présent les délocalisations. Aux États généraux de l’industrie on a évoqué « le faible dynamisme de l’investissement ». Et même les analyses du Medef ne mettent pas suffisamment en lumière l’essentiel qui tient en deux éléments clés : une fiscalité écrasante qui étouffe complètement les entreprises et dissuade les entrepreneurs, plus un droit du travail qui dans le secteur des PMI paralyse complètement les chefs d’entreprise.
On constate ainsi qu’en France la création d’entreprise est infime dans le secteur industriel médias. Déjà, en 2005, Christian Blanc, dans un rapport au Premier ministre, avait fait ressortir qu’aux États-Unis pour 10.000 chercheurs il se crée chaque année 100 PMI innovantes, alors qu’en France, sur le plateau de Saclay qui est pourtant le pôle de compétitivité le plus important du pays, pour 16.000 chercheurs il ne se crée que seulement une dizaine de start-up par an. Selon le ratio américain on en attendrait environ 160.
Autre constatation tout aussi préoccupante : le taux de transmission des entreprises, notamment dans le secteur des PMI, est très faible. Dans un rapport d’Olivier Mellerio à Hervé Novelli datant de 2009 il était chiffré à 6%, chiffre incroyablement bas comparé à des taux de 75% en Italie, 58% en Allemagne, et 55% aux pays Bas.
Les Français donc ne veulent ni créer des entreprises dans le secteur industriel ni reprendre l’entreprise de leur père quand celui-ci parvient à l’âge de la retraite. On constate ainsi que dans la tranche des entreprises de 250 à 499 personnes, dans le domaine industriel, la pénétration étrangère est considérable : elle atteint le chiffre ahurissant de 51,7%.
Pour que l’économie française retrouve un certain équilibre, nous avons calculé qu’il conviendrait que le secteur industriel revienne à 18,5 ou 19% du PIB : c’est là l’objectif que les pouvoirs publics doivent se fixer. Rien n’est plus urgent que de s’atteler à cette tâche : ce doit être l’objectif prioritaire pour les pouvoirs publics, et il n’en est pas d’autre. Sous le gouvernement précédent un bon nombre de mesures ont été prises : la création des pôles de compétitivité, le crédit impôt-recherche, les dispositions de la loi TEPA, etc… Et sous ce gouvernement ce dispositif a été complété par la BPI, la Banque Publique d’Investissement qui va disposer de 42 milliards d’€. Mais si des entrepreneurs ne sont pas là pour transformer les produits de la recherche en produits commercialisables et organiser leur production et leur distribution, rien ne se passera. Si l’on ne remédie pas aux facteurs de blocage qui inhibent complètement l’initiative privée, la fiscalité existante d’une part et le très paralysant droit du travail de l’autre, on ne parviendra pas à redresser le secteur industriel.
Malheureusement, l’endettement de l’État tout comme la culture de la population française ne permettent en aucune manière d’espérer que l’on puisse changer les choses. Il est impossible d’alléger la fiscalité qui pèse aujourd’hui sur les PMI et sur les chefs d’entreprise de ce secteur, et politiquement impossible par la loi d’assouplir considérablement la réglementation du travail. On doit en conclure qu’il n’existe pas d’autre solution que d’en revenir à un « néo-colbertisme », solution consistant à donner à l’État un rôle moteur dans l’économie. Certaines voix s’élèvent déjà d’ailleurs pour aller dans ce sens, notamment celle de Jean Louis Beffa qui milite pour que la France revienne à son modèle « commercial industriel » qui avait fait son succès au cours des Trente Glorieuses. Mais on doit craindre alors que la Direction Générale de la Concurrence à Bruxelles s’oppose farouchement à de telles initiatives qui seraient selon elle de nature à fausser la concurrence. Des négociations, certes, seront possibles au titre de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’UE. Mais dans le cas où elles ne pourraient pas aboutir, la France n’aurait guère d’autre solution, pour redresser son économie, que de sortir de l’Europe. Le réalisme aboutit à ce constat et il faut agir vite, car l’économie française ne cesse de se dégrader d’année en année. Il faut, alors, rappeler les sages paroles du général MacArthur qui était interrogé sur ce qui fait la victoire ou la défaite. Ce grand général avait répondu à son interlocuteur : « les explications des grandes victoires sont diverses. Mais toutes les défaites n’en ont qu’une : too late ! ».
Claude Sicard
Economiste, consultant international