Il faudra au moins un Hercule pour sauver EDF !
EDF et sa semaine horribilis, son gros gadin en bourse, et la question du retour de la réforme-scission en deux entités, une pour le nucléaire, l’autre pour les renouvelables. Le projet Hercule sera-t-il la contrepartie du plafonnement du prix de l’électricité pour les Français ? La question va percuter la campagne présidentielle à venir. Et autres informations essentielles de la semaine, dont les 3000 milliards de dollars d’Apple, les trois nouvelles licornes françaises et le filon du cuivre qui vaut de l’or.
Bonne nouvelle pour tous les consommateurs : l’Etat est intervenu cette semaine pour limiter à 4% la flambée en France du prix de l’électricité. En décidant d’augmenter unilatéralement de 20 TWh (térawattheures) la part de l’électricité revendue « à prix d’ami » (le fameux Arenh) à ses concurrents par EDF, Bruno Le Maire vient de prendre une décision de pays collectiviste que ne renierait pas un Mélenchon, favorable à un retour à des prix administrés pour certains biens essentiels, comme c’est le cas de l’électricité. La facture sera de plus de 8 milliards d’euros pour l’électricien public français dont le cours de Bourse (il est détenu à 81% seulement par l’Etat) s’est effondré au cours d’un « vendredi noir ».
En réalité c’est bien une semaine noire qu’a vécu EDF, et l’électricien français vit, après la bonne nouvelle de l’accord en cours de négociation à Bruxelles sur le classement du nucléaire dans la « taxonomie » des énergies vertes, à l’heure d’un désalignement des planètes, raconte Marine Godelier, notre journaliste Énergie avec l’annonce successive de problèmes de corrosion et de sûreté dans plusieurs centrales nucléaires puis le choc d’un énième report de la mise en service du réacteur EPR de Flamanville, à au moins 2023...
Au total, en associant les baisses de taxes sur les prix de l’énergie et la revente à prix cassé de la production d’EDF, l’Etat aura mis pas loin de 14 milliards d’euros sur la table pour freiner seulement la morsure de la flambée des prix de l’énergie sur le pouvoir d’achat des ménages. Qui doute encore après qu’Emmanuel Macron est un président-candidat ? Valérie Pécresse lui reprochera-t-elle à nouveau de « cramer la caisse » ? Mais que ferait-elle de différent face à la brutalité de la hausse de l’inflation via les prix de l’énergie qui ont poussé les prix en décembre à 2,8%, au plus haut depuis 2018 ?
En réalité, même tempéré par des interventions étatiques comme en France, c’est à l’équivalent du choc pétrolier de 1973 auquel on assiste et les banquiers centraux ont bien du mal à rassurer en affirmant telle Christine Lagarde la présidente de la BCE vendredi que « les moteurs de l’inflation vont ralentir en 2022 » après un pic hivernal autour de 5% en moyenne dans la zone euro. La BCE pourrait agir en prévention pour empêcher le dérapage d’une inflation au plus haut depuis 25 ans en Europe.
Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale a moins de pudeur et prépare les investisseurs à un resserrement monétaire. La perspective de hausse des taux commence déjà à calmer l’exubérance boursière et la spéculation sur les crypto-monnaies avec un bitcoin sous les 40.000 dollars, loin des 100.000 escomptés par la banque américaine Goldman Sachs. Année de la consécration pour le bitcoin ? Pas si sûr.
Une autre banque américaine, très présente en France via son siège historique de la place Vendôme, met les pieds dans le plat en affirmant que la prochaine étape pour EDF sera une recapitalisation financée par l’Etat. Si le consommateur français peut se réjouir à court terme, il doit s’inquiéter comme contribuable car la facture, non seulement de ces 8 milliards mais plus globalement, celle de la remise en ordre des comptes du géant français de l’électricité confronté à une équation impossible - financer le nucléaire, de la rénovation du parc existant à la construction éventuelle de nouveaux réacteurs plus modernes comme annoncé par Macron, financer aussi la diversification dans les énergies renouvelables-, finira par arriver. Et il faudra bien que les pouvoirs publics s’expliquent devant les consommateurs, contribuables et électeurs français pour dire comment et par qui elle sera payée.
La chute du titre EDF pose à nouveau la question de sa place en Bourse. L’éléphant dans la pièce, c’est évidemment la restructuration pour l’instant avortée d’EDF, le fameux projet Hercule d’un EDF « bleu » pour le nucléaire restant public et « vert » pour les énergies renouvelables privatisées. Abandonné l’an dernier faute de trouver un accord entre EDF, les syndicats de l’électricien et la commission de Bruxelles, la question va revenir en boomerang, plus vite qu’on ne le pense, ne serait-ce que parce que Bruno Le Maire a dû négocier un accord de Bruxelles pour faire accepter la limitation de la hausse des prix de l’électricité annoncée jeudi... Selon notre chroniqueur Marc Endeweld, Jean-Bernard Lévy, le bouillant PDG d’EDF, convoque le Top 200 des cadres de l’électricien lundi pour affronter la crise. Et si c’était le moment de relancer Hercule, ou Ulysse. Il faudra bien un demi-dieu grec pour sauver EDF et le sujet de l’avenir de l’électricien et des prix de l’énergie pourrait bien s’inviter au cœur de la présidentielle.
3000 milliards de dollars
Un cap unique dans l’histoire économique, c’est celle des 3000 milliards de dollars de capitalisation franchie par Apple, la marque à la pomme, dont le patron, Tim Cook, va toucher la coquette rémunération de 100 millions de dollars au titre d’une année record pour son groupe. On se souvient du film d’Henri Verneuil sorti en 1982 « Mille milliards de dollars ». Six ans après la création d’Apple Computer Inc, par Steve Jobs et quelques autres à Cupertino, le film raconte l’enquête de Patrick Dewaere/Paul Kerjean, grand reporter au journal La Tribune, qui dénonce le pouvoir des 30 premières multinationales mondiales aux 1000 milliards de dollars de chiffre d’affaires. En quelques chiffres : Apple a mis 42 ans pour atteindre le premier trillion de dollars de capitalisation, 2 ans pour doubler la mise et moins de 18 mois pour toucher les 3000 milliards de valorisation. Pure spéculation ? Microsoft n’est pas loin derrière avec 2.300 milliards et le total des GAFAM ce vendredi soir est valorisé à 9.500 milliards de dollars, et même plus de 10.500 milliards si on ajoute Tesla : soit pour ces seuls 6 géants américains de la tech plus que le total des actifs gérés par le géant, américain aussi, de la gestion d’actif Blackrock dont la valeur de portefeuille a dépassé les 10 trillions de dollars fin 2021. Le monde d’après n’a guère changé, sinon de dimension.
Trois nouvelles licornes
Pour les « jeunes pousses » du numérique aussi, 2022 démarre en fanfare avec une flopée de levées de fonds spectaculaire qui est venu accroître le cheptel des licornes. Avec BackMarket, le spécialiste de la revente d’objets électroniques reconditionnés (450 millions d’euros, valorisation de 5,1 milliards), qui signe un nouveau record pour la French Tech, explique François Manens, la fintech Qonto, le spécialiste du paiement (484 millions d’euros pour une valorisation de 4,4 milliards) et enfin Ankostore, place de marché pour commerçants indépendants (250 millions d’euros levés pour une valorisation de 1,75 milliard),
la France a créé ainsi trois licornes en une semaine et atteint l’objectif fixé par Emmanuel Macron de 25 licornes avant 2025. Prochaine étape, analyse Sylvain Rolland : faire de ces startups devenues scale-up des « décacornes » à deux chiffres (plus de 10 milliards donc). Vu la valorisation de la tech mondiale, cela semble atteignable à condition que nos licornes ne se fassent pas racheter avant.
Face à ce gigantisme, la France a bien raison d’investir massivement dans la France de 2030. Emmanuel Macron a mis plus de 30 milliards d’euros sur le plan d’investissement dans les filières d’avenir. Mais c’est à peine plus qu’une seule année de R&D d’Apple (22 milliards par an) et c’est bien tard. Quelle bonne gouvernance pour la gestion de cette dépense publique. Le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, le même qui vient de claquer 15 milliards pour freiner les prix de l’énergie, s’est un peu agacé lors de la présentation de ses vœux à la presse. Bruno Le Maire qui compte bien s’investir dans la campagne d’Emmanuel Macron, n’est pas satisfait des propositions que Bercy lui a faites pour piloter ce « machin » qu’est devenu le programme stratégique d’investissement. Et cela devient urgent : 5 milliards d’euros sont déjà prévus pour 2022, ce qui correspond à l’amendement le plus cher de l’histoire budgétaire, et personne ne sait encore comment les dépenser, raconte Grégoire Normand. C’est ballot !
2022 s’annonce comme une année placée sous le signe du pouvoir d’achat. Cela n’a pas échappé au président de Free, Xavier Niel, qui dans une vidéo de vœux au ton très libre relevée par notre spécialiste télécoms, Pierre Manière, il prononce depuis l’Elysée le slogan de l’année : « liberté, égalité, prix inchangés ». Son ambition : être « l’opérateur de tous les Français » pour nous « aider à communiquer... sans nous niquer », en s’engageant à ne pas relever ses forfaits mobile aux prix inchangés depuis le lancement du quatrième opérateur.
Grandes manœuvres
Agitée sur le front de l’inflation, mais aussi sur le front politique avec la présidentielle, l’année 2022 promet aussi d’être pleine de changements côté business. Fabrice Gliszczynski révèle ainsi le départ prochain de Pieter Elbers, emblématique patron de KLM, ce qui va peut-être débloquer les relations tendues entre Air France et la compagnie néerlandaise. 2022 est aussi l’année de la naissance du grand Veolia issu de l’OPA réussie sur Suez (lequel continue sa route amputé de 60% de son activité, principalement internationale). A noter que les deux « champions français » de l’environnement ont placé à leur tête une femme, Estelle Brachlianoff qui devient directrice générale du groupe (qui reste présidé par Antoine Frérot) tandis qu’une autre femme, Sabrina Soussan, a pris la direction opérationnelle du « nouveau Suez ».
Chez Vinci, aussi, on est en campagne, écrit César Armand. Le PDG Xavier Huillard attend le verdict de l’assemblée générale du 22 avril pour rempiler sur un nouveau mandat, sans dissociation des fonctions de président et de DG, plaide-t-il, pour assurer la continuité au sortir de la crise Covid et à l’aube d’une décennie de transition écologique qui devient la priorité du groupe.
Le deal de ce début d’année est à mettre à l’actif du président de la Société Générale Frédéric Oudéa, qui vient de boucler le rachat pour 4,9 milliards d’euros de LeasePlan via sa filiale ALD pour créer le leader européen du leasing automobile. La banque rouge et noire devient ainsi un poids lourd de la location de voiture et ajoute un troisième pilier « Mobilités » à ses actifs dans la banque de détail et d’investissement, explique Eric Benhamou, notre journaliste Finance. Un scénario que le patron de la SocGen nous avait longuement décrypté dans l’entretien qu’il nous avait accordé en décembre dernier, affichant de fortes ambitions pour sa banque en 2022.
Heureux comme un propriétaire de cuivre en France. Dans un rapport détonnant, Philippe Varin, ancien patron de PSA et de France Industrie met l’accent sur les enjeux stratégiques de la sécurisation des approvisionnements en métaux pour alimenter les filières de la transition énergétique. Cuivre, dont les prix s’envolent, mais aussi nickel, cobalt, lithium bien sûr et autres terres rares : le monde d’après sera peut-être pauvre en carbone, mais il sera plus riche en métaux critiques. Robert Jules, expert s’il en est du monde secret des mines et des matières premières, analyse les propositions du rapport Varin : créer un fonds d’investissement public/privé, développer deux plateformes, l’une à Dunkerque pour regrouper les acteurs de la filière batteries électriques, l’autre à Lacq pour celle des aimants permanents, et investir dans l’innovation. A l’horizon 2030, l’Europe pourrait ainsi sécuriser de 20% à 30% de ses besoins, selon Philippe Varin.