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Macron atteint du syndrome du « boulard »

mercredi 1er juin 2022

Féru de théâtre, le chef de l’État n’hésite pas, lui-même, à scénographier ses apparitions. Une question de fonction mais aussi de personnalité.
Sous l’impulsion du couple Macron, une fois par mois environ, l’Élysée se change en salle de spectacle.

Macron mis en scène par Emmanuel

Il est arrivé au palais de l’Élysée en adoptant l’allure d’un roi. Son investiture, le 14 mai 2017, Emmanuel Macron l’a scénarisée, répétée avec son épouse, Brigitte. Sur les graviers de la cour, il marche à grandes foulées, raide comme la justice, l’air pénétré. Plus tard, il s’est déguisé en supporteur de l’OM, en pilote de l’armée, en sous-marinier. Micro à la main, en bras de chemise, il a fait le show dans les salles municipales, ménageant ses silences, travaillant ses effets, modulant sa voix lors d’une tournée de stand-up politique qu’il s’est créée sur mesure.

Pour partir à la reconquête des (télé)spectateurs qui font l’opinion, sortir de la crise des Gilets jaunes, le président devait se produire de janvier à mars dernier, avant que d’autres dates de son grand débat national ne soient ajoutées, jusqu’en avril, comme on le ferait pour une superproduction à succès. Dans la comédie du pouvoir, la fonction présidentielle n’est-elle pas un rôle, un costume que l’élu se doit d’endosser ? Macron, depuis son élection, en soigne méticuleusement la composition. « Président, c’est un rôle de représentation, c’est 90 % de son job. Emmanuel est très sensible à la mise en scène, c’est pour ça qu’il a exploré des choses comme la déambulation ratée avec Laurent Delahousse ( NDLR : sur France 2 en décembre 2017 ) ou ses vœux du 31 décembre debout », assume un intime.
Un scénographe au Château

Ce tropisme pour le spectacle se traduit jusque dans l’organigramme du palais. Un scénographe, Arnaud Jolens, a fait son apparition à la présidence. Depuis 2017, il chorégraphie les « séquences » médiatiques du chef de l’État, s’assure que la forme traduit bien le fond lors des cérémonies officielles, prises de parole et autres rendez-vous diplomatiques. Charge ensuite au directeur de création, Thibault Caizergues, de concevoir les visuels pour créer « l’environnement artistique de la présidence », comme on dit en novlangue macroniste.

Producteur de spectacles, Jean-Marc Dumontet occupe une place de choix dans l’entourage officieux du président, à qui il délivre avis et conseils amicaux, au point d’avoir été missionné pour lui dénicher un communicant. Rien d’étonnant à entendre un ancien du Château : « Il y a un côté, une part de jeu inhérente à la fonction présidentielle. »

« Il s’agite trop »

S’il a progressé, le locataire de l’Élysée est pourtant loin de décrocher un Molière, confessent les experts. « C’est très difficile de passer du statut de conseiller à celui de président à 40 ans. Il est obligé de surjouer pour compenser. Sarkozy avait, lui, un côté Christian Clavier dans les Visiteurs », note avec une pointe d’acidité un ancien collaborateur de Macron. « Il a fait des progrès dans sa tessiture. Il ne parle plus au 58e étage, il fait des silences, il travaille la ponctuation », loue Jean-Philippe Lafont, le baryton qui l’a coaché pendant la campagne et donne désormais des cours à un membre du gouvernement dont il préfère taire le nom.

Dithyrambique sur son ancien élève, ce spécialiste de la voix reconnaît du bout des lèvres que le président a une marge de progression : « Il s’agite trop. Ce n’est pas nécessaire quand on a sa force intérieure, à son tout jeune âge. Il a atteint un beau niveau, mais ce n’est pas un orateur de souche. »

Sous couvert d’anonymat, un proche critique plus franchement son jeu d’acteur « très raide » et des prestations télévisuelles ratées, comme celle du 10 décembre au pic de la crise des Gilets jaunes. Son talent s’exprimerait bien mieux devant un public confidentiel. « Il a une véritable capacité à envoûter les petits auditoires. J’ai été frappé par son sens de l’improvisation », célèbre l’écrivain et homme de radio Franck Ferrand, acteur à ses heures, convié à des cérémonies de décoration.
Le théâtre aux origines du couple Macron

Le chef de l’État entretient un rapport singulier, intime même, à l’art dramatique. « Il aime ça, il y a touché quand il était jeune, se félicite le comédien Pierre Arditi. Ce n’est pas une distraction de nanti. » Le théâtre, fil conducteur de son histoire, au fondement de sa rencontre avec son épouse. La genèse de leur romance est devenue célèbre : au lycée la Providence, à Amiens, Brigitte Auzière anime un club où elle initie les élèves volontaires aux joies des planches. Le jeune Macron découvre les jeux de rôle, le plaisir de la scène, le trac. Il interprète un épouvantail dans « la Comédie du langage », de Jean Tardieu.

À la rentrée suivante, ils adaptent, ensemble, une pièce, « l’Art de la comédie », de l’Italien Eduardo De Filippo, créent des rôles, à quatre mains. Le goût de la mise en scène ne l’a plus quitté. Étudiant à l’ENA, il dispensera même quelques cours d’interprétation à Strasbourg. Des années après, en mars 2018, dans la salle des fêtes de l’Élysée, il se glisse dans le costume du récitant de « Pierre et le loup », le conte musical de Prokofiev, devant des invités triés sur le volet.

Sous l’impulsion du couple Macron, une fois par mois environ, le 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré abrite un rendez-vous artistique, où l’Élysée se change en salle de spectacle. « Que faisait Louis XIV ? Il faisait rêver les gens qui venaient à la cour. En politique, c’est comme au théâtre », plaide Stéphanie Bataille, directrice déléguée du Théâtre Antoine. Un ancien condisciple de l’ENA abonde : « Si on n’a pas la clé de lecture du théâtre, on ne comprend rien à Macron. »

Des agapes avec les interprètes

Aujourd’hui encore, souvent en fin de semaine, les Macron vont au spectacle. Le 10 février, ils ont vu « Art », avec Charles Berling et Jean-Pierre Darroussin au Théâtre Antoine, propriété de leur ami Dumontet, dont la proximité agace dans le monde des arts. La première dame s’y rend seule parfois, comme lorsqu’elle a assisté aux premiers pas sur scène du ténor du barreau Éric Dupond-Moretti, le 21 février. Du temps où il était à l’Élysée, Alexandre Benalla venait récupérer leurs places. Ces rendez-vous sont parfois suivis d’agapes avec les interprètes, dans un bar à vins du quartier ou directement sur la scène.

Le rituel remonte à l’époque où Macron était ministre de l’Économie : à l’issue d’une représentation de « Fleur de cactus », Stéphanie Bataille invite le couple le plus en vue de la vie politique française à dîner dans les coulisses du Théâtre Antoine. Une grande table est dressée, en toute simplicité. Ce soir-là, pour eux, elle concocte une cuisine familiale : « Un poulet fermier avec des petites pommes de terre et un beau plateau de fromages. Ils adorent le fromage ! » Autour d’eux, l’acteur et metteur en scène Michel Fau, Dumontet, l’animateur Cyrille Eldin, les comédiennes Catherine Frot et Mathilde Bisson. Une troupe joyeuse qui se délecte de Chasse-Spleen, savoureux cru bourgeois du Médoc. Macron se met à l’aise, dénoue sa cravate.

S’il a veillé ces derniers mois à ne pas trop s’afficher au théâtre en pleine fronde sociale, il a tout de même participé à un dîner avec son épouse le 1er février, après la pièce « Huit Euros de l’heure » avec Dany Boon. Lui-même sur les planches, retenu par son grand débat avec des élus ultramarins, le président est arrivé à table très en retard.

« Luchini était vexé comme un pou »

Les Macron aiment cet esprit de troupe, l’ombre des coulisses, la lumière des planches. Les interprètes les fascinent, ils ont leurs favoris, qu’ils convient parfois au palais, à l’image de Christian Hecq, sociétaire de la Comédie-Française, qu’ils ont découvert dans « Lucrèce Borgia ». « Ce sont des passionnés de culture, on en parle souvent, on a une relation totalement apolitique. Il n’y a aucun intérêt pour lui, je vote en Belgique ! » sourit le plus belge des acteurs français. Fabrice Luchini aussi. L’acteur leur avait prêté sa maison de l’île de Ré pour que le candidat d’En Marche ! écrive son livre programmatique, « Révolution »*, avant de se froisser de ne pas avoir été invité à la cérémonie d’investiture. « Il était vexé comme un pou », confie l’un de ses proches.

Ils apprécient François Berléand, présent à leurs côtés à la Rotonde, le soir du premier tour de la présidentielle, tout comme Pierre Arditi. Ce dernier, qui n’a jamais caché son attachement au Parti socialiste, jure qu’il parle « cash » au chef de l’État. « Je les aime bien, je les estime, nous confie-t-il. Mais je ne suis pas un courtisan, je dis ce que je pense. Supprimer cinq euros d’APL par exemple, c’était une connerie. »
« Tu es un héros tragique, tu vas en prendre plein la figure »

Le couple a aussi un faible pour Michel Fau. « On parle beaucoup de poésie et il rit de mes bêtises. Je suis dadaïste… » badine cet acteur fantasque pour qui le président est le protagoniste d’une destinée funeste. « Tu es un héros tragique, tu vas en prendre plein la figure, avec des épreuves », lui a-t-il dit un jour. Réponse de l’intéressé, qui s’est bien gardé de le contredire : « Je sais… »

Héros tragiques, les chefs d’État ? Denis Podalydès, qui a interprété le rôle de Nicolas Sarkozy dans le film « la Conquête », en 2011, réfute l’idée. « Président, ce n’est pas un rôle, nous écrit-il depuis Londres. C’est une fonction à haute teneur symbolique pour laquelle on ne peut pas se permettre d’effet facile, de gestuelle. » Cet éminent sociétaire de la Comédie-Française met en garde : « En se cherchant une pose, une posture, en se divisant en deux comme le fait un acteur entre personnage et personne, il y a un risque de fausseté, de roman, d’imposture. »

Le Parisien

Comment l’entourage d’Emmanuel Macron met en scène un président qui serait devenu épidémiologiste

Par Alexandre Lemarié
Selon ses proches, le chef de l’Etat a acquis une maîtrise des travaux épidémiologiques, au point de ne plus forcément suivre les conseils des scientifiques. Mais au risque, aussi, d’être la cible de critiques, alors que la situation sanitaire se dégrade fortement.

Cela avait pourtant bien commencé entre eux. Lors de la première vague de l’épidémie, il y a un an, Emmanuel Macron disait avoir toute confiance dans le jugement des scientifiques, qu’il suivait alors les yeux fermés. « Un principe nous guide pour définir nos actions (…) et il doit continuer de le faire : c’est la confiance dans la science. C’est d’écouter celles et ceux qui savent », déclarait le chef de l’Etat, le 12 mars 2020, lors de sa première allocution télévisée consacrée au Covid-19.

Son choix de fermer les écoles, notamment, puis de décider le confinement de la population, avait été fait sur la base de leurs recommandations. « Derrière toute décision que nous prenons, il y a des blouses blanches », répétait le ministre de la santé, Olivier Véran.

Mais, au fil des semaines, le locataire de l’Elysée s’est émancipé de la tutelle des experts. La bascule s’est produite le 13 avril 2020, lorsqu’il a annoncé une réouverture des écoles à partir du 11 mai, contre l’avis du conseil scientifique, qui plaidait pour un retour en septembre. Depuis que M. Macron a tenu tête aux spécialistes de la santé, son entourage l’assure, dans une boutade teintée d’admiration : « Le président est devenu épidémiologiste. »

En privé, ses proches se montrent impressionnés par la maîtrise du chef de l’Etat, qui a suivi de multiples travaux de recherche sur le sujet du coronavirus. Sa capacité à « challenger » le ministre de la santé, Olivier Véran, ou les scientifiques, autour de la table du conseil de défense, est également mise en avant.

« Il consulte toutes les études, dès qu’elles sont publiées. Au point que, parfois, le président peut en évoquer une que les experts en face de lui n’ont même pas lue », raconte un participant. D’après son entourage, M. Macron suit notamment de près le compte Twitter de Guillaume Rozier, fondateur du site CovidTracker, qui fait référence concernant le suivi de l’épidémie.

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