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La chute du dollar américain - Partie Une

mercredi 4 mai 2011

Afin de comprendre l’intérêt américain à maîtriser la chute de sa monnaie, nous mettrons en exergue dans cet article, les trois forces globales qui sont en jeu dans la géopolitique d’aujourd’hui. La première est la puissance militaire qui permet grâce à la technologie de bouleverser les intérêts des différents protagonistes. La seconde est la puissance économique qui permet aussi grâce à la technologie de progresser et d’enrichir les sociétés. La dernière est la force de cohésion sociale qui permet d’assurer une pérennité au développement défini par le pouvoir, et ainsi d’éviter un éclatement de la société. Le véritable levier des deux premières forces décrites est le développement technologique. En effet l’inexorable constante du développement des sociétés humaines est la technologie. Ceci dit, et comme nous le soulignerons ultérieurement la monnaie et le pétrole en sont de formidables catalyseurs. [1]

La deuxième guerre mondiale a débouché sur une guerre idéologique, la guerre froide, laquelle a vu triompher le capitalisme sur le communisme. Le premier système politique porte en étendard la liberté et la démocratie, même si la politique de « deux poids deux mesures » y est souvent appliquée. Le modèle occidental, qui suit le crédo d’une libéralisation de la monnaie et des idées, a été distillé au reste du monde comme modèle de référence.
Militairement entre le bloc occidental et le bloc soviétique, le résultat fut le statut quo. Economiquement le vainqueur fût sans équivoque les Etats-Unis. La fin de l’histoire de l’Union Soviétique s’est formalisée par l’échec du système politique communiste, en effet les résultats économiques furent insuffisants pour éviter les contestations sociales grandissantes jusqu’à leur point de rupture en 1989.

Le communisme russe a montré ses lacunes en termes de puissance et d’efficacité dans la sphère économique. En 1985, Gorbatchev engage pourtant une Perestroïka (réorganisation) afin de donner plus de vigueur à une économie soviétique qui s’étouffe. Malgré cela, cinq années plus tard en 1990, le putsch de Gorbatchev-Eltsine a même implicitement reconnu une nécessaire réorganisation d’ordre politique cette fois, afin de liquider la structure ankylosée de l’appareil communiste sur la société russe. La suite et les catastrophiques bradages de l’économie russe aux profits d’oligarques russes et étrangers, via l’ouverture brutale des richesses russes, ont provoqué la fureur des gardiens de la souveraineté russe, c’est à dire le KGB/FSB. En 2000, c’est ainsi qu’un ex-officier du KGB, Vladimir Poutine reprend en main les affaires de la Russie, avec un fort retour au conservatisme russe sous l’égide d’un Etat fort, valeur qui a pendant longtemps forgé ce pays. Aujourd’hui les résultats socio-économiques, dont nous sommes témoins, sont néanmoins plutôt mitigés.

Après le séisme politique dû à la chute du mur de Berlin et à l’effondrement des républiques soviétiques, les deux géants économiques d’aujourd’hui en ont profité pour capitaliser sur ce nouveau vide créé. En effet, les Etats-Unis ont attaqué l’Irak (deuxième guerre du golfe en 1990) et ont accentué leur présence au Moyen-Orient sans grandes contestations. Du côté chinois, l’économie communiste a été réorientée encore plus fortement sous la direction de Jiang Zemin (1989-2003) vers une économie aux principes capitalistes. Les chinois ont choisi de ne pas libéraliser leur politique autoritaire et unilatérale de leur appareil d’état. Le succès économique chinois qui bouscule le précédent ordre mondial s’est traduit par une croissance prodigieuse moyenne de plus de 8% chaque année.
L’exode rural continu et massif dans les villes bouleverse pourtant la cohésion sociale de l’Empire du milieu. On dit qu’avec cet actuel flux de personnes, il faudrait à la Chine encore environ quarante années pour atteindre les taux européens d’urbanisation qui caractérisent nos sociétés post-industrielles. [2]
Ce chiffre permet de situer un peu à l’échelle de ce pays le chemin qu’il reste à parcourir pour rejoindre le taux d’urbanisation des pays occidentaux. Au contraire de la Chine, le développement des pays occidentaux n’est plus basé sur une croissance organique interne, mais elle est orientée en externe via la mondialisation des marchés.

Voyons comment les Etats-Unis ont utilisé leur puissance militaire et économique pour façonner le monde suivant leurs desseins et intérêts après 1989. En effet le monde bipolaire s’était effacé brusquement, laissant la CIA face à elle même. Les américains se sont alors retrouvés pour la première fois depuis 50 ans sans un adversaire clairement défini et connu, mais plutôt face à une pléiade de futurs concurrents commerciaux aux gigantesques potentiels de croissance et de richesses, lesquels se sont ouverts à des politiques économiques capitalistes.

Après la désagrégation de l’Union soviétique en 1990, la vocation initiale de l’OTAN était devenue caduque, mais l’Organisation militaire occidentale est restée en place. En 1991 la guerre d’ex-Yougoslavie et la seconde guerre d’Irak ont montré que les américains pouvaient encore projeter leur puissance militaire dans le monde après leur lourde guerre de position ou guerre de « containment » anti-communiste au Vietnam.
Le fer de lance de tout mouvement géopolitique est la force globale de projection militaire. Fin du XXe siècle, le laboratoire d’idées « Project for a New American Century » conseilla d’utiliser les forces armées pour assurer un nouveau rayonnement américain au XXIe siècle.
En 2001, suite aux évènements survenus sur le sol américain, la prophétie arrive. Les Etats-Uniens et leur bras armé international l’OTAN retrouve alors un nouveau souffle. L’organisation militaire occidentale a même retrouvé une nouvelle raison d’être via ce nouvel ennemi désigné et façonné qu’est la mouvance islamiste terroriste internationale. En appliquant soit la doctrine démocrate de Brezinski, soit celle des néo-conservateurs, les pions occidentaux se sont déplacés sur le plateau mondial au Moyen-Orient. La région convoitée possède en effet de gigantesques réserves d’or noir les plus faciles d’exploitation au monde, donc les moins chères à exploiter. Lorsque l’on sait que le prix d’extraction d’un baril de pétrole de la mer du Nord se situe autour de 1,5 $, on ne peut que constater l’importance névralgique de la possession et/ou du contrôle des prix du pétrole sur nos économies, puisqu’en effet tous nos produits directs ou indirects y sont indexés.

Ouvrons une parenthèse économique et monétaire, afin de comprendre la situation économique actuelle des pays occidentaux. N’omettons pas au préalable de mentionner la remarquable faculté de résilience de l’économie américaine. L’après seconde guerre mondiale et l’essor industriel ont eu pour conséquence de mettre en berne l’étalon or en tant que monnaie de référence. Ce qui a permis aussi d’introniser le dollar en tant que monnaie de référence dans la sphère d’influence pro-américaine. La société traditionnelle industrielle, gérée par le tandem banquier-industriel, a laissé place à la société de consommation gérée par le tandem financier-consommateur. Ces derniers s’inscrivent dans une société dirigée par la dette [3], et dans l’élaboration de tout un système auto-entretenu qui favorise l’émergence de bulles économiques et financières pour créer des richesses, artificiellement dans un premier temps (terme utilisé de « bulle ») puis dans un second temps après digestion et intégration dans l’économie réelle.
Aux Trente Glorieuses, où la force industrielle militaire provenant de la victoire alliée sur l’Allemagne et le Japon a été utilisée pleinement à des fins civiles, succèdent de forts chocs sur les bases fondatrices des économies occidentales, les chocs pétroliers. La base fondatrice de nos sociétés modernes est le pétrole. En effet, celui-ci a pour effet d’accélérer et d’amplifier toutes les technologies et procédés qui fabriquent nos biens de consommation.
En 1973 en réponse au premier choc pétrolier, la fin du système monétaire basé sur le métal jaune (fin du système monétaire de Bretton Woods en 1971 [4]) doit se briser en faveur d’une indexation du dollar sur les cours du marché. Ce marché est régi par le principe du rapport offre et demande des échanges commerciaux. Ce commerce peut fructifier grâce à la production de biens de plus en plus adaptés au souhait du client. Ces produits sont élaborés directement ou indirectement par l’or noir. Le dénominateur commun à cet arc décrit (poids de la monnaie, marché, commerce, production de biens, pétrole) est la technologie. La monnaie et le pétrole sont les catalyseurs de la technologie qui transforme nos sociétés.

L’astuce de « libéraliser » la monnaie américaine en rendant sa valeur flottante envers les autres monnaies et envers celle définie par le marché a permis de recréer de la valeur sur le billet vert. Le marché (locomotive capitaliste) ayant eu pour unique pilote les Etats-Unis jusqu’à présent a donc permis mécaniquement de faire passer le momentum du marché sur la monnaie américaine, et sur leur pouvoir d’achat. La synergie obtenue a permis d’entretenir le couple du moteur de l’économie américaine. Pendant qu’inexorablement le véritable pouvoir du dieu pétrole et son emprise sur les économies grandissaient, toujours dans l’ombre du système sophistiqué mis en place pour sa pérennité.
Les chocs pétroliers (1973 et 1979, non celui de 2008), traduits par l’augmentation des prix du baril pétrole ont permis un rehaussement de la valeur intrinsèque du dollar. En effet depuis la fin des accords de Bretton Woods en 1971 [5], le cours de la monnaie américaine est imbriqué à celui du cours du marché, lesquel est défini par le cours des biens commercialisés dont les prix sont indexés indirectement au prix de leur élaboration, c’est à dire par « in fine » le pétrole. Ainsi la chaîne créée pouvait s’apparenter à une augmentation du prix du baril vers une augmentation de la valeur du dollar.

Dans les années 1980-1990, la fièvre de l’argent roi et libre a pu atteindre de nouvelles sphères, en effet il a pu encore fructifier via l’ouverture du capital des sociétés en bourse tout d’abord et pour les particuliers ensuite. Dans les années 1990-2000, l’émergence des premiers produits financiers (Sicav par exemple) et de la bulle internet sont apparues. Puis elles ont été suivies de la bulle de l’immobilier et de ses crédits et de tous ses produits dérivés. Cette monnaie s’est donc ajoutée sur les différents marchés de change, ce qui a permis aux sociétés occidentales de continuer à s’enrichir, mais de plus en plus artificiellement. Cette façon de faire tourner la planche à billets aurait dû nous exposer à des inflations hors de contrôle (semblable à la situation catastrophique du Deutsch Mark après la crise financière de 1929).

Heureusement, nous avons un contre poids de taille : l’économie chinoise. Des millions de nouveaux travailleurs arrivent sur le marché mondial et augmentent la valeur « travail » dans l’association chère à Marx : « Travail salarié et Capital ». Cet équilibre permet de tenir d’une certaine façon l’inflation, tout en accélérant l’écart entre les pays riches surendettés et leurs créanciers. Cf le commentaire de Mme Clinton dévoilé par Wikileaks : « Comment traite-t-on avec fermeté avec son banquier ? » se demande Madame Clinton en parlant de la Chine avec l’ambassadeur australien. [6]

Rappelons toutefois que l’argent classifié M3 [7] (crédits etc...) par la banque fédérale américaine n’est plus rendu publique depuis 2006.
Comme toujours les bulles sont spéculatives initialement, puis elles atteignent « in fine » un prix sur le marché qui ne se dégonfle plus. Ainsi le Produit Intérieur Brut, la croissance, et aussi les dettes augmentent. Le point précédent référant au couplage des cours du dollar et de celui du prix du baril de pétrole, a été vrai jusqu’à ce que les BRICS [8] deviennent des acteurs majeurs sur le marché mondial.
En effet le marché n’a plus pour unique dominance et pour principal vainqueur et arbitre les Etats-Unis, mais une multitude de pays qui en profitent aussi dorénavant.
Ainsi c’est dans cette logique que l’on peut comprendre la nervosité des grands argentiers du monde (le refuge dans le cours de l’or). Aussi pour la première fois on assiste à une évolution devenue asymétrique des cours d’appréciation du pétrole et de dépréciation du dollar, si l’on prend par exemple comme base l’ensemble des autres monnaies.
(De la même façon si l’on compare avec comme base l’Euro, la monnaie européenne s’apprécie continuellement face au dollar depuis sa création [9])

Cette chute de la valeur intrinsèque du dollar liée au délabrement du système précédemment décrit [10], a donné comme logique réponse internationale une certaine acceptation d’un élargissement du G7 au G20. La réponse américaine à la chute de sa monnaie est un souhait de rapprocher les économies européennes à la leur. L’idée est de faire reposer leurs coûts indirectement sur celles de leurs partenaires. La chute du dollar doit être contrôlée. Le monde est passé d’un monde sous domination économique américaine à un monde multipolaire en devenir. L’aigle impérial américain se retrouve dans un ciel orageux, où l’effet papillon y règne de plus en plus.

Louis Hugo

Notes

[1le rôle omnipotent de la Technologie dans le développement des sociétés : Theodore Kaczynski, L’effondrement du système technologique (écrits complets et autorisés)

[2société post-industrielle : http://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C...

[3« [cela] découle de la méconnaissance d’un fait fondamental de la vie moderne, la dette va de pair avec le progrès. » Alan Greespan, Le temps des turbulences, chapitre 18

[6http://www.guardian.co.uk/world/us-... « Comment traite on avec fermeté avec son banquier ? » se demande Mme Clinton en parlant de la Chine

[8BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine. Acronyme employé pour la première fois en 2003 par Jim O’Neill, économiste chez Goldman Sachs, le ’S’ ajouté peut dorénavant être assimilé à l’Afrique du Sud

[10« Comme JM Keynes l’avait relevé en 1919 : »Lénine avait certainement raison. Il n’est pas de moyen plus subtil et plus sur de renverser les bases d’une sociétéque de de corrompre la monnaie. Cela engage dans la destruction toutes les forces occultes de la loi économique et d’une telle façon qu’il n’est pas un homme sur un million qui soit capable de le diagnostiquer" Alan Greespan, Le temps des turbulences, chapitre 14

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