C’est en partant de ce constat que Laurent Douchin, cadre de santé en psychiatrie, a pensé à installer un café dans le hall d’un Ehpad à Abbeville. « L’idée était de transformer ce lieu qui était assez vide et assez froid en lieu social, d’en faire une place de village où les gens se rencontrent, discutent, peuvent boire un coup à la table d’un bistrot, explique-t-il. Cet échange autour du coup à boire, c’est quelque chose dont les résidents sont dépourvus à leur entrée en institution. Ils n’échangent plus jamais d’argent. Là, ça redonne l’occasion d’échanger de l’argent contre des consommations, ce qui est aussi un lien social. »
Le projet a germé en 2016, mais il a fallu plusieurs années pour le concrétiser. Grâce à 110 000 euros de subventions publics de l’Union européenne et du Centre national de solidarité pour l’autonomie, l’établissement a pu ouvrir fin mars 2023. En quelques semaines seulement, c’est devenu the place to be pour les résidents. « Ils n’attendent que ça ! Ma collègue, qui ouvre à 14 heures en général, a déjà trois ou quatre personnes devant, alors que ce n’est même pas encore ouvert. On a du mal à fermer le bar aussi le soir, personne ne veut partir ! », s’amuse Cédric Pinilo, animateur et barman.
L’ouverture du café a même déjà fait renaître une vieille amitié. « Deux résidents sont arrivés à peu près à la même date, ils sont venus au bistrot, et ils se sont aperçus qu’ils se connaissaient depuis très longtemps, qu’ils habitaient dans le même village. Depuis, ils demandent à descendre pour venir faire leur partie de dominos ici, ils ne se quittent plus ! », se réjouit Cédric.
Il y a ceux qui poussent la chansonnette, ceux qui dansent et ceux qui jouent à des jeux de société : des moments de bonheur qu’ils n’abandonneraient pour rien au monde. « Rester enfermé dans sa chambre, c’est fatigant, et puis c’est triste ! », estime Fabienne, qui vient tous les jours avec son ami Maurice. Hérald, résident depuis quatre ans, confirme : « On se sent mieux. Pour moi, c’est comme les vacances ! C’est convivial. Depuis qu’il y a ça, tout le monde revit. Les gens rigolent, c’est plus du tout la même chose. »
Un environnement rassurant pour les personnes âgées, mais aussi pour leurs proches. Marie-Josephe est venue visiter sa mère Jacqueline, qui est arrivée à l’Ehpad quelques jours plus tôt. « Je sens qu’elle sourit davantage quand on est ici, plus que dans sa chambre, remarque-t-elle. Elle regarde les autres, elle pense à autre chose, ça lui évite de trop penser qu’elle n’est plus à la maison. »
Un fonctionnement vertueux
Et si les résidents peuvent venir si souvent, c’est que toutes les boissons sont vendues à petits prix. Soda, café, bière (sans alcool) : quelques euros suffisent à passer un bel après-midi au bistrot. « La gestion se fait par une association de soignants qui a été créée l’année dernière, pour gérer les stocks, le fonctionnement et la caisse du bistrot, explique Laurent Douchin. On fait quelques petits bénéfices pour provisionner les pertes s’il y en a, mais le but n’est pas de faire des bénéfices. Tout retourne aux résidents. On a déjà reversé l’année dernière près de 500 euros pour les décorations de Noël de l’établissement. Au mois de juin, on paye un repas au restaurant pour l’Armada de Rouen, en plus du budget alloué pour l’animation. » Un fonctionnement vertueux qui tourne autour du bien-être des résidents et qui fait déjà ses preuves.
Dans la même lignée, l’association de soignants organise un vide-grenier le dimanche 14 mai sur le parking de l’Ehpad pour permettre aux résidents de rencontrer du monde et de passer une belle journée ensemble.