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Méga-bassines, l’Etat et la FNSEA main dans la main

samedi 27 janvier 2024

Les projets de méga-bassines, accusées d’assécher les rivières, alimentent la guerre de l’eau dans les campagnes

Un chantier de seize réservoirs d’eau géants destinés à l’agriculture a débuté fin septembre près du marais poitevin. Symboles de l’agro-industrie, asséchant les sols, ces méga-bassines déclenchent une forte contestation.

Présentées comme une solution aux problèmes d’irrigation agricole, le creusement de seize réserves d’eau artificielles – des « méga-bassines » – sont prévues dans le Marais poitevin. Elles cristallisent les tensions entre deux camps bien distincts. D’un côté, la Coop de l’eau 79 : l’entreprise porteuse du projet est une société coopérative anonyme créée en 2011 à l’initiative des élus de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres et de Coop de France Poitou-Charentes (la fédération des coopératives agricoles). Elle est dirigée par Thierry Boudaud, notamment président de l’association des irrigants des Deux-Sèvres, Aquanide, et affilié au syndicat agricole FNSEA. De l’autre, le collectif « Bassines non merci », la Confédération paysanne, le mouvement « Les Soulèvements de la terre » et différents activistes s’opposent à ces projets.

S’étendant sur 110 000 hectares, le Marais poitevin est la plus grande zone humide européenne de la façade atlantique et la deuxième zone humide de France, après la Camargue. Les seize réserves d’eau prévues nécessitent de raser totalement une surface pour la recouvrir d’un plastique noir afin d’y stocker la précieuse ressource. Ce seront donc, pour chacune de ces méga-bassines, l’équivalent de dix grands terrains de foot (10 hectares en tout) qui seront plastifiés, sur un sol creusé jusqu’à 15 mètres de profondeur… Adoubées par la FNSEA, elles promettent de stocker l’eau durant l’hiver afin d’irriguer les cultures en été, à une époque où les épisodes de sécheresse sont toujours plus nombreux. Leur remplissage se fait par le captage des eaux de pluie mais surtout par pompage dans le milieu naturel (nappes et rivières), « pendant les périodes où la ressource est largement excédentaire » argumente la Coop de l’eau.

« C’est de l’eau qui aurait dû se retrouver dans les sols ou dans les cours d’eau »

De quoi inquiéter sérieusement les opposants au projet qui craignent de voir les rivières environnantes pillées. L’Agence régionale de la santé Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes avait d’ailleurs émis en 2016 un avis défavorable au projet, notamment faute de garanties suffisantes. Appauvrir des milieux aquatiques naturels pour remplir des bassines plastifiées, l’idée a de quoi étonner, d’autant que la masse d’eau stockée peut en plus s’évaporer lors d’épisodes caniculaires estivaux... « C’est un contresens de créer des réservoirs d’eau en surface. L’eau récoltée dans les réservoirs, c’est de l’eau qui aurait dû se retrouver dans les sols ou dans les cours d’eau », pointe Christian Amblard, spécialiste de l’eau et des systèmes hydrobiologiques et directeur de recherche honoraire au CNRS, au micro de nos confrères de France Info. Le scientifique évalue la perte d’eau due à l’évaporation « entre 20% et 60% » et estime que pour « une bonne gestion de la ressource en eau, il faut tout faire pour qu’elle s’infiltre dans le sol » et « favoriser la création de zones humides qui fonctionnent comme des éponges ». C’est tout l’inverse qui est donc prévu.

« Il existe déjà 25 bassines en Vendée », décompte Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci. « Les plus anciennes ont quinze ans et leur bilan est catastrophique. Autour d’elles, les rivières sont à sec. Ce projet global prévoit un millier de bassines sur l’ensemble du territoire français. Notre cause n’est pas locale mais bien nationale ! » clame-t-il. Dans la Vienne, une dizaine de méga-bassines sont déjà exploitées. « Deux d’entre elles ont eu de sévères soucis lors de leur conception », révèle Nicolas Fortin, de la Confédération paysanne de la Vienne. « Deux grosses fuites au niveau de la bâche en plastique sont apparues pendant les travaux et n’ont pu être colmatées, la faute au trop grand poids de l’eau stockée. Ce sont aujourd’hui des friches abandonnées ! » déplore-t-il.

De plus, certaines rivières de la Vienne connaissent des assecs chaque été, entrainant même la mort de milliers de poissons comme en 2019. La rivière Clouère par exemple, un sous-affluent de la Loire, qui coule en Charente et dans la Vienne « est toujours basse malgré les promesses, et c’est pour alimenter une culture de maïs essentiellement », témoigne Nicolas Fortin. « Il n’existe pas de bilan officiel aujourd’hui de ces ouvrages et nous en demandons un. » Dans le Marais poitevin, le chantier de Mauzé-sur-le-Mignon constitue la première pierre au projet des seize méga-bassines. Au total, 200 hectares de terres agricoles seront « plastifiés » dans la Sèvre niortaise et le Marais poitevin pour un coût d’environ 40 millions d’euros, financé à 70 % par des fonds publics.

« Il y a 15 ans, nous avions fait un colloque sur le dérèglement climatique et sur cette fausse bonne solution qu’étaient les bassines », rappelle Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération Paysanne. « Que les choses soient claires, on ne s’oppose pas au fait d’irriguer. Mais ce mode de stockage de l’eau n’est rien de moins qu’une privatisation d’un bien commun. Nous sommes opposés à ces bassines car elles ne servent qu’un seul modèle agricole : l’agriculture intensive », précise-t-il.

Nicolas Girod explique qu’une exploitation maraîchère de trois personnes dans les Deux-Sèvres utilise environ 2000 mètres cube d’eau à l’année alors que certaines exploitations qui bénéficieront des bassines utilisent près de 100 000 mètres cube d’eau par an, pour de la production animale ou de l’exportation, très peu génératrice de valeur ajoutée et d’emplois. « L’eau doit être partagée et il faut décider collectivement ce que nous voulons en faire. Ce modèle souhaite produire du maïs en grains et concurrencer le Brésil et l’Ukraine. À la Confédération paysanne, nous souhaitons irriguer des légumes pour une production plus locale et de qualité », ajoute-t-il.

Agriculteurs contre agriculteurs

La contestation du modèle agricole proposé à travers les bassines se focalise sur une culture : le maïs. « Depuis longtemps, c’est une plante sollicitée, que ce soit pour l’export ou l’ensilage pour nourrir les vaches, souvent laitières dans un système industriel », détaille un agriculteur issu d’une ferme collective. « Elles ne sont plus nourries à l’herbe pour une question d’optimisation, avec les machines énormes qui vont avec », poursuit le jeune fermier. La plante, de variété hybride pour produire de hauts rendements, doit être abondamment arrosée en été car elle ne résiste pas aux sécheresses. Elle semble faire l’unanimité contre elle au sein des contestataires du projet, d’autant qu’elle est destinée à la consommation animale, voire même à des méthaniseurs pour produire du gaz.

« Une vache n’est pas faite pour manger du maïs, mais de l’herbe », s’agace Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci. Au-delà de l’usage de toute cette eau stockée, c’est sa source qui fait débat, chaque camp ayant un discours bien distinct. Le ministre de l’Agriculture, Julien de Normandie, lors du congrès de la FNSEA fin septembre, a tenu devant les caméras à minimiser le pompage dans les rivières voisines pour remplir les bassines mais a insisté sur les « pluies diluviennes qui surviennent en plein hiver, quand votre nappe phréatique est pleine, que votre sol est gorgé d’eau et que l’eau s’écoule. Là, si vous captez, ça n’a pas d’impact ». Une idée que balaye Benoît Biteau, député européen écologiste. « Dans un moment de fort réchauffement climatique, on nous propose un système qui va puiser dans les nappes l’eau de plus en plus rare. Avec de tels projets, nous ne sommes pas au rendez-vous de l’histoire » , clame l’eurodéputé.

Vitrine touristique et symbole de la région, le Marais poitevin est le seul parc naturel français à s’être fait retirer ce label, en 1996, à cause, déjà, de l’assèchement d’une vaste zone humide au profit de cultures céréalières. Il a récupéré son label en 2014 mais semble à nouveau menacé par l’agriculture et l’arrivée des méga-bassines. « Déjà à l’époque, cela était dû au retournement des prairies pour faire du maïs, sur près de 33 000 hectares et la gestion désastreuse des milieux aquatiques », détaille Benoît Biteau. L’eurodéputé a d’ailleurs fait des bassines l’un de ses chevaux de bataille à Bruxelles.

En janvier 2021 les opposants ont saisi le Parlement européen (la commission PETI, commission des pétitions) pour dénoncer la violation de neuf directives européennes, dont la directive-cadre sur l’eau. S’en est suivi une audition en mars qui a été très favorable aux opposants. « Il existe une possible non-conformité des projets de méga-bassines avec six directives européennes et un risque de voir la France sanctionnée par la Cour européenne de justice », alerte-t-il. La Commission européenne a récemment fait part de sa vigilance sur « ce cas complexe qui rejoint sa préoccupation générale de la protection de la ressource en eau ».

Le contrôle des eaux souterraines par la France doit donc être renforcé, ainsi que la lutte contre les pénuries d’eau et les « captages excessifs ». Si les bassines semblent déborder du cadre européen, le terrain national n’est pas en reste et les travaux ont démarré malgré plusieurs recours juridiques déposés par différentes associations. En juin dernier par exemple, un recours a amené le tribunal administratif de Poitiers à réduire la taille de 9 des bassines en projets sur 16... Bref, le début des travaux malgré des leviers judiciaires encore en cours n’a fait qu’attiser la colère des opposants.

Nouveau signe que le vent semble tourner, l’une des associations (Deux-Sèvres Nature Environnement) associée au projet bassines a voté en interne pour quitter le protocole d’accord concernant les réserves de substitution, signé en 2018 par différents acteurs locaux et nationaux. Un camouflet pour le porteur du projet, la Coop de l’eau 79, qui misait beaucoup sur le fait d’avoir à ses côtés des associations locales. La précipitation des travaux d’aménagements malgré les procédures et la forte mobilisation du 22 septembre semblent avoir refroidi les membres de Deux-Sèvres Nature Environnement. Pour continuer la lutte, Bassines non merci donne rendez-vous les 6 et 7 novembre prochains, pour une nouvelle action.

Guy Pichard

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