Geopolintel

La PMA cache la modification du génome humain avec le CRISPR CAS9

lundi 27 juillet 2020

États généraux de la bioéthique : oubliez la PMA, voici LE débat à surveiller
La modification du génome est en train de passer de fiction à réalité, grâce à Crispr-Cas9, des ciseaux à ADN révolutionnaires.

SCIENCE - Ce jeudi 18 janvier s’ouvrent les États généraux de la bioéthique. Jusqu’au 7 juillet, une soixantaine de débats vont être organisés partout en France pour faire le point sur l’évolution de la science médicale et sur son utilisation dans notre société. Le gouvernement présentera ensuite un projet de loi à l’automne.

Parmi les multiples thèmes abordés, le plus célèbre reste la procréation médicalement assistée (PMA). La Manif pour tous parie d’ailleurs dessus pour retrouver une dynamique. Pourtant, la question n’est pas très compliquée. Techniquement, cela fonctionne déjà. Le débat concerne simplement l’ouverture de ce droit aux couples de femmes et aux femmes célibataires.

D’autres débats seront certainement plus délicats, car ils posent des questions éthiques plus vertigineuses. Le Monde, dans son édition du 18 janvier, cite ainsi les diagnostics préimplantatoires, qui consistent à vérifier la présence de maladies et malformations génétiques dans un embryon avant une FIV. Ou encore les tests génétiques et le séquençage du génome des nouveau-nés.

Mais s’il y a bien une thématique qui pose des questions insondables, c’est celle de la modification du génome. Surtout que depuis 2012, le monde de la recherche est bouleversé par une révolution génétique appelée Crispr-Cas9. Derrière ce nom un peu barbare, une sorte de ciseaux génétiques permettant de couper un gène bien spécifique dans l’ADN pour le remplacer.

Injection humaine, mammouths et (surtout) embryons

Un procédé très simple, peu coûteux et aux conséquences très diverses. Si vous n’avez jamais entendu parler de cette technique, voici une vidéo pour tout comprendre :

Cette technologie n’en est qu’à ses balbutiements, mais les perspectives et pistes explorées par les chercheurs donnent le tournis. Cela va des plantes OGM 2.0 aux vaches insensibles à la tuberculose en passant par les cochons donneurs d’organes humains et la « résurrection » des mammouths.

Et puis, il y a bien sûr l’utilisation sur l’homme. En octobre, le « biohacker » Josiah Zayner est devenu la première personne à utiliser Crispr-Cas9 pour tenter de changer ses gènes (augmenter la taille des muscles de son bras). Des chercheurs ont également tenté d’utiliser Crispr-Cas9 pour soigner le cancer du poumon.

Toutes ces utilisations posent évidemment question. Mais celle qui cristallise le plus les opinions, c’est sans conteste la modification génétique d’embryons humains. En 2015, une équipe chinoise avait tenté de modifier des embryons atteints d’une mutation rare, avec peu de succès. Mais en novembre 2017, des chercheurs américains ont fait la même chose, avec un taux de réussite bien supérieur.

Attention, cela ne veut pas dire que Crispr-Cas9 va s’inviter dans les cliniques dès demain. On parle ici de recherches fondamentales, avec des embryons détruits au bout de quelques jours. Les ciseaux génétiques, s’ils sont révolutionnaires, ont encore de nombreux défauts (mutations collatérales, taux d’efficacité encore insuffisant, etc). Et il faudra de très longues années avant une autorisation sur le marché. Mais il ne se passe pas un mois sans qu’une nouvelle étude ne vienne repousser les limites et les obstacles qui jonchent la route de Crispr-Cas9.

Eugénisme et modifications héréditaires

En clair, s’il ne faut pas croire que « Le meilleur des mondes » d’Huxley est à nos portes, ce n’est plus uniquement de la science fiction. Et ses conséquences, actuelles et futures, doivent donc être débattues dès maintenant.

Les plus folles sont évidemment celles liées au risque d’eugénisme. Si l’idée d’éradiquer une maladie héréditaire grâce aux modifications génétiques peut sembler séduisante, comment s’assurer que cette technologie ne sera pas utilisée pour chercher à sélectionner des « bons » gènes, pour obtenir l’enfant que l’on souhaite ?

Il y a également la question de la transmission héréditaire. Modifier le code génétique d’un embryon humain peut vouloir dire que si la personne naît, grandit et se reproduit, elle transmettra ces modifications à sa descendance. Une idée qui fait largement débat en soit. Et qui donne le vertige quand on se demande si une petite modification ne pourrait pas entraîner, suite au brassage génétique de la procréation, des conséquences totalement imprévisibles.

Il ne faut évidemment pas paniquer. Encore une fois, la technologie est toute récente. Et la génétique elle-même en est à ses balbutiements. Si certaines maladies semblent être liées à une seule mutation génétique, d’autres impliquent la combinaison de dizaines de gènes. Quant à parler d’eugénisme, il faut rappeler que des milliers de gènes influenceraient notre niveau d’éducation, par exemple.

Et même sur des choses plus probables, comme l’éradication d’une maladie génétique bien ciblée, nous n’en sommes qu’à des recherches fondamentales. Le professeur de génétique Henry Greely estime ainsi, dans une tribune publiée sur Scientific American, qu’il ne faut pas aller trop vite en besogne et se faire peur dès maintenant. Concernant l’avancée des chercheurs américains qui ont édité le génome d’embryons, Henry Greely estime qu’il faudra au moins une décennie avant d’imaginer des essais cliniques.

Urgence de débats sans urgence

Mais c’est justement pour cela qu’il est important de débattre dès maintenant de l’édition du génome. Car, comme le rappelle Hervé Chneiweiss, président du comité d’éthique de l’Inserm interrogé par Le Monde, « d’ici sept ans, ça aura évolué ». Or, les États généraux de la bioéthique ont lieu tous les sept ans en France.

Pour l’instant, la loi française de bioéthique, votée en 2011, affirme que « la création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite ». Même dans le cadre de recherches fondamentales. L’académie de médecine, l’Inserm et des parlementaires ont justement demandé des assouplissements sur cette question. « Cette information est essentielle pour pouvoir définir, dans le futur, ce qui pourrait être autorisé chez l’homme en termes d’approches thérapeutiques », précise l’institut.

La question se pose d’ailleurs dans tous les pays. Aux États-Unis, en 2015, l’Institut national de santé a précisé qu’elle ne financerait pas de recherches visant à modifier génétiquement le code génétique héréditaire d’un individu (l’étude citée plus haut a été financée de manière privée).

En février 2017, l’Académie nationale des sciences américaines a elle fait la distinction entre la recherche fondamentale sur l’édition du génome humain, l’utilisation de cette technique pour traiter des maladies chez des êtres vivants et enfin la modification d’embryons. Avec, encore une fois, l’idée de la transmission héréditaire. « Elle a soutenu que si les deux premières [utilisations, ndlr] étaient relativement peu controversées, la dernière nécessite des discussions approfondies », rappelle le généticien Henry Greely.

Si l’on considère parfois qu’il est difficile, voire impossible d’empêcher la science de progresser, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas débattre en amont de ses applications dans notre société. Interrogé par Vox, l’historien Michael Bess estime que « nous ne sommes peut-être pas capables d’empêcher la rivière de s’écouler, mais nous pouvons la canaliser dans des voies qui sont plus ou moins en accord avec nos valeurs ».

Et pour creuser des canaux dans la bonne direction, mieux vaut commencer à en discuter suffisamment tôt pour ne pas devoir prendre de décision dans l’urgence.

Source

—  0 commentaires  —

© Geopolintel 2009-2023 - site réalisé avec SPIP - l'actualité Geopolintel avec RSS Suivre la vie du site