La question du vote par correspondance sera très largement débattue dans les mois qui viennent, dans la perspective des élections départementales et régionales qui, même si elles devaient être décalées au mois de juin, se dérouleront sur fond d’épidémie de covid-19. Groupe de travail transpartisan, mission d’information du Sénat, proposition de loi… les initiatives se multiplient.
Groupes de travail
Cela fait plusieurs mois que les sénateurs, en particulier, poussent dans le sens d’une réintroduction dans le droit électoral français du vote par correspondance, comme remède possible contre la montée de l’abstention. Jusqu’à présent, le gouvernement s’est montré plus que réservé sur le sujet, entre problèmes de faisabilité technique et questions éthiques. Et il est évident que l’exemple nord-américain de ces dernières semaines en fait hésiter plus d’un.
Rien d’étonnant donc que ce soit le Sénat qui, en premier, ait créé avant-hier une « mission d’information » issue de sa commission des lois, chargée « d’évaluer la faisabilité » du vote par correspondance, et qui devra rendre ses conclusions « avant la fin de l’année ».
Par ailleurs, le ministre de l’Intérieur a finalement accepté, avant-hier également, le principe d’un « groupe de travail consacré à la modernisation des outils électoraux », proposé par le MoDem. Ce groupe de travail, dans l’esprit du groupe des députés MoDem à l’Assemblée nationale, devra réunir « toutes les formations politiques, les associations d’élus et des personnalités qualifiées ». Y seront étudiées, outre le vote par correspondance, des questions telles que le vote électronique, les inscriptions sur les listes électorales, ou encore « l’amélioration de l’organisation et la sécurisation du processus électoral ».
La question complexe des « pressions »
Malgré tout, le ministre de l’Intérieur continue de se dire « hostile » à l’idée du vote par correspondance – rappelant d’une part que si celui-ci a été supprimé en France en 1975, sauf pour l’élection des représentants des Français de l’étranger, cela a été à la suite de « multiples fraudes ».
Se posent également des problèmes organisationnels liés au fait que beaucoup d’élections – à commencer par les régionales – sont à deux tours, avec une seule semaine séparant chacun d’entre eux, ce qui pose, entre autres, un problème bien réel de temps d’acheminement des enveloppes par La Poste.
Mais le principal argument du ministre pose un problème de fond : ce n’est pas la même chose de voter dans le secret de l’isoloir et chez soi, où aucune confidentialité n’est garantie et où des pressions peuvent être exercées. Gérald Darmanin considère donc qu’il restera opposé au principe du vote par correspondance « tant qu’on n’aura pas démontré que ce mode de vote permet l’absolue décision individuelle, sans pression communautaire ou de la part de la famille ».
Proposition de loi
Les sénateurs socialistes tentent de répondre à cette question à travers la proposition de loi, assez précise, qu’ils ont déposée le 14 novembre. Beaucoup plus fourni et détaillé que les éléments qui avaient été versés au débat par le Sénat jusque-là, ce texte vise à faire le tour de toutes les questions organisationnelles qui pourraient se poser.
L’exposé des motifs de ce texte est intéressant, dans la mesure où les auteurs du texte tentent de répondre par avance aux adversaires du système. Ils jugent la remise en place du vote par correspondance « indispensable du point de vue institutionnel et pratique », et la voient à la fois comme un moyen de garantir la tenue des élections dans de bonnes conditions pendant la durée de l’épidémie et de lutter contre l’abstention, en offrant aux citoyens, en plus de la possibilité de voter à l’urne, une « opportunité pratique ».
Les sénateurs socialistes balayent l’argument concernant le risque de fraude : « Nous ne sommes plus en 1975, mais au XXIe siècle. Les procédures de contrôle se sont renforcées avec le temps, les standards internationaux en matière de droit électoral se sont développés et les moyens informatiques qui font désormais notre quotidien offrent des solutions de contrôle et de sécurisation conséquentes. »
Ils jugent, en revanche, « recevables » les arguments sur le risque de « vote familial ». Recevable, mais non décisif : car pour eux, « il convient cependant de souligner que ce type de problématiques ne peut pas non plus être totalement écarté lors du vote en présentiel (ou par procuration), le poids de la famille ou d’autres liens pouvant ne pas être négligeable ».
Ils proposent également un moyen de remédier à un autre reproche fait au vote par correspondance : celui-ci interdirait aux citoyens de changer d’avis entre le moment où ils postent leur enveloppe et le jour du scrutin. Reconnaissant que « de plus en plus d’électeurs font leur choix dans la semaine qui précède l’élection, voire le jour même du scrutin ». Pour pallier ce problème, la proposition de loi contient un dispositif spécifique : un électeur qui a voté par correspondance pourrait tout de même aller voter à l’urne, s’il a changé d’avis. Les votes reçus par correspondance ne seraient comptabilisés « qu’à la fin du processus de vote » : à la fin des opérations, le président introduirait dans l’urne les enveloppes reçues par correspondance « après s’être assuré que l’électeur n’a pas déjà voté à l’urne ».
Ce texte servira-t-il de base aux discussions en cours, et le gouvernement va-t-il faire évoluer sa position sur le sujet ?
Quelle sera celle du Conseil d’État, voire du Conseil constitutionnel, qui seront certainement consultés ?
C’est tout le débat qui va se dérouler dans les semaines et les mois à venir.
Municipales : Laurent Hénart propose à Édouard Philippe le vote par correspondance
Le maire de Nancy, président du Mouvement Radical, était à Matignon mercredi soir pour évoquer les modalités d’un éventuel second tour des élections municipales fin juin avec les représentants de formations politiques. Il a notamment proposé la mise en place du vote par correspondance pour les personnes « empêchées ».
« Pour les Français, il est évident que l’épidémie est toujours en cours. […] Cette situation ne doit pas conduire une partie de la population […] à considérer que voter n’est pas possible pour eux » Après avoir été reçu à Matignon avec les autres représentants des formations politiques, le maire de Nancy et président du Mouvement Radical a adressé ce 20 mai un courrier à Édouard Philippe pour proposer des modalités « exceptionnelles » de tenue de scrutin. Le Premier Ministre a annoncé, mercredi soir, que le second tour se tiendrait en juin ou en janvier 2021.
Procurations numérisées et vote électronique
Laurent Hénart estime que cette période inédite est l’occasion de « donner de nouveaux outils à la démocratie. Plutôt que de se poser la question de la date, posons-nous les questions de modalités de vote », explique-t-il. Parmi ses propositions : « La possibilité de procurations multiples et numérisées et, surtout, la possibilité de vote par correspondance ».
- Dans l’hypothèse d’élections #municipales fin juin, j’ai demandé a @EPhilippePM des modalités exceptionnelles de #vote.
- Ces élections sont l’acte majeur de la #République des Territoires, elles ne doivent pas être considérées comme une formalité qu’il faut finir d’expédier. https://t.co/3XNutkyzsO
— Laurent Hénart (@LaurentHenart) 21 mai 2020
Le maire de Nancy, candidat à sa succession, et qui s’était retrouvé en ballottage défavorable à l’issue du premier tour le 15 mars dernier , craint que les conditions sanitaires actuelles empêchent une partie de l’électorat de se déplacer : les seniors, les personnes malades ou les publics à risque. « Et s’ils ne se déplacent pas pour voter, ils ne se déplaceront pas plus pour aller faire une procuration. » Laurent Hénart a aussi évoqué, lors de cette réunion, la possibilité du vote électronique « qui éviterait la séquence compliquée du dépouillement ».
Pour les prochaines élections
Ces propositions ont été « bien reçues sur le principe » lors de la réunion, fait savoir Laurent Hénart. Reste que leur mise en place paraît compliquée dans un délai si court. Mais le maire de Nancy envisage ces modifications sur le long terme : « L’ensemble de ces conditions sera tout autant à considérer si le scrutin est finalement organisé à l’automne, option qui semble la plus sage », écrit le président du Mouvement Radical. « D’autant que nous avons d’autres échéances électorales à venir : les Départementales et les Régionales en 2021 et la Présidentielle en 2022 »