Réforme de la police judiciaire : « c’est vraiment la dissolution de la PJ »
Charles, officier en police judiciaire en Région Grand est, explique pour jhm quotidien la nocivité, selon lui, de la réforme envisagée par Gerald Darmanin.
La fronde de la police judiciaire (PJ) contre le projet de réforme du ministre de l’Intérieur Gerald Darmanin a franchi un nouveau cran, ce vendredi 7 octobre, avec le limogeage d’Eric Arella, directeur zonal de la PJ à Marseille et légende vivante de la lutte contre le grand banditisme, au lendemain d’un accueil glacial du Directeur général de la police nationale (DGPN), Frédéric Veaux, par ses troupes phocéennes. De nombreux personnels et officiers de la PJ se sont spontanément rassemblés, ce vendredi à 16 h, devant les Hôtels de police, en signe de protestation. Un temps annoncée par plusieurs médias, la démission de Jérôme Bonet, directeur central de la police judiciaire, a été démentie par le ministère de l’Intérieur. Nous republions ci-dessous le témoignage anonymisé d’un officier en police judiciaire, que nous avions recueilli début septembre, et qui expliquait le pourquoi de sa colère contre les projets de la place Beauvau.
La réforme de la police judiciaire engagée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a suscité cet été une bronca sans précédent au sein de la police judiciaire (PJ), qui dénonce un projet actant, en réalité, sa disparition et un contrôle politique accru des enquêtes. Un officier en PJ de la Région Grand est a accepté, sous couvert d’anonymat, de témoigner pour jhm quotidien.
C’est une fronde sans précédent qui a saisi, cet été, la police judiciaire (PJ). Vent debout contre le projet de réforme de la police initié par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, nombre d’officiers de la PJ ont créé, le 17 août dernier, l’Association nationale de la police judiciaire (ANPJ), indépendante et apolitique, pour faire valoir leur point de vue. En l’espace de quinze jours seulement, plus d’un millier, sur les quelque 5 670 personnels de la PJ, ont adhéré à l’association. Par ailleurs, 1 400 d’entre eux ont envoyé un rapport, faisant part de leur opposition et de leur malaise, au Directeur central de la PJ.
Droit dans ses bottes, le ministre de l’Intérieur a fait savoir, mercredi 31 août, que « la police ne peut être le seul endroit où l’on ne se réforme pas ».
Officier en police judiciaire au sein de la Région Grand est, Charles* a accepté de se confier à jhm quotidien. D’ores et déjà adhérent à l’ANPJ, il explique qu’en l’état, la réforme signera tout simplement la mort de son métier, avec des conséquences désastreuses sur l’efficacité des investigations en matière de haute délinquance. La raison ? Le projet prévoit tout simplement le regroupement de l’ensemble des polices – sécurité publique, police judiciaire et même police aux frontières – sous l’égide d’un directeur départemental.
« Un magma informe » pour la police judiciaire
Résultat, les actuels enquêteurs en police judiciaire seront amenés à devoir régulièrement délaisser leurs investigations pour opérer, par exemple, en maintien de l’ordre ou même en contrôle routier. « Sur le principe, il y a un constat : l’investigation au niveau de la sécurité publique est défaillante. Attention, je ne jette pas la pierre sur mes collègues, qui font ce qu’ils peuvent en étant déjà à 120 % de leur capacité et 600 dossiers environ par policier. Il y a une réponse pénale qui n’est donc pas toujours adéquate pour ce type de petite délinquance. Le constat est juste mais la réponse qui y est apportée est extrêmement mauvaise », analyse Charles, qui ne cache pas sa colère devant la dilution annoncée de son métier dans « un magma informe ».
« Il faut savoir que, en PJ, on s’occupe de ce qu’on appelle le spectre haut de la délinquance : les homicides, le grand banditisme, les infractions en col blanc, etc. Ce volet d’investigations est évidemment incompatible avec la gestion de la délinquance au quotidien. Nous n’avons pas la même temporalité », poursuit l’officier.
Au-delà du risque de voir ses enquêtes hachées par des sollicitations en sécurité publique, Charles s’inquiète également des conséquences de la refonte administrative : « Cette idée de départementalisation est absurde. La PJ est l’héritière des Brigades du Tigre, créées par Georges Clemenceau justement pour ce type de délinquance qui n’a que faire des frontières départementales. Il va de soi que, sur ces enquêtes, nous serons amenés à toujours évoluer sur plusieurs départements. Et nous nous retrouverons confrontés à plusieurs directeurs départementaux (Ndlr : DDPN, directeur départemental de la police nationale) en même temps, chacun avec ses consignes. Lequel aura la prééminence ? C’est écrit nulle part. Et je ne parle pas de nos besoins matériels, en véhicules, ordinateurs portables, téléphones, qui seront alors partagés au sein de toute la police ».
- « Est-ce l’objectif caché ? On le pense. C’est en tout cas la conséquence »
Charles Officier en police judiciaire (PJ) dans le Grand Est
Enfin, c’est surtout pour rien de moins que l’indépendance des enquêtes, autrement dit pour la séparation des pouvoirs, que Charles s’inquiète en priorité. Et y voit volontiers l’objectif secret du projet de réforme. « C’est vraiment la dissolution de la PJ. Est-ce l’objectif caché ? On le pense. C’est en tout cas la conséquence », assène Charles, avant de relever que procureurs et magistrats instructeurs se voient retirer totalement la désignation de leurs enquêteurs. « Nous serons totalement sous la coupe du directeur départemental qui rend compte au préfet, donc au pouvoir politique. Que va-t-il se passer lorsque nous seront amenés à enquêter, par exemple, sur un élu, ami ou ennemi du pouvoir en place ? Ou sur un chef d’entreprise avec des enjeux économiques et d’emploi à la clef ? Le secret de l’enquête ne sera plus là, le risque de pressions devient énorme ».
Pour le coup main dans la main avec les enquêteurs de la PJ, l’Union syndicale des magistrats (USM) l’a d’ailleurs dénoncé expressément, dans une lettre adressée aux ministres de l’Intérieur et de la Justice. « Police et justice ont parfois des désaccords mais, au fond, nous sommes dans le même bateau. Et il est en train de couler », conclut Charles, amer mais certainement pas résigné.
Nicolas Corté