SUR L’INDÉPENDANCE
Une stratégie d’indépendance présente des aspects positifs et négatifs [1]. Les ressources naturelles et humaines d’un ensemble politiquement organisé ne doivent pas être exploitées à son avantage par un pouvoir extérieur exclusif. Le tissu des activités économiques internes est à protéger contre la déstructuration par le(s) pouvoir(s) étrangers. Les autorités publiques et privées d’une zone expriment et inscrivent dans leurs décisions des préférences de structures : pour l’industrie et la finance ; dans la production et les services. Seul le pouvoir politique dispose des moyens nécessaires pour contrebalancer les pouvoirs de domination. Seul un pouvoir fort est capable de réaliser « des changements importants au moyen de coalitions sociales et par l’acquiescement de la masse » [2].
Trois raisons justifient donc un pouvoir politique fort :
- Il peut proposer puis imposer un code de conduite entre groupes sociaux et groupes économiques.
- Il joue un rôle fondamental d’éducateur et entretient l’esprit public.
- Il détecte les centres de pouvoir étrangers et tranche, coalesce, filtre.
DÉVELOPPEMENT, PROGRÈS ET CROISSANCE
Le développement est un « changement des structures sociales et mentales qui engendre un entraînement réciproque de l’appareil de production par les populations et des populations par l’appareil de production ». Cette conception, affinée, aboutit à la recommandation d’un modèle de développement global, endogène, intégré, dont la synthèse fut présentée dans l’un de ses derniers ouvrages [3]. Le développement global « désigne une vue de l’ensemble des dimensions d’un tout humain et la diversité des aspects qui doit être assumée dans leurs relations ». Un développement intégré signifie « soit l’intégration plurirégionale, soit la meilleure cohésion des secteurs, régions et classes sociales. »
La démarche économique s’inscrit nécessairement dans un service social orienté au bien de l’homme et de la collectivité. Ni le développement, ni la croissance harmonisée (résultat de dynamiques complémentaires), ni le progrès ne résultent de mécanismes. Perroux souligna trois dimensions de la dynamique sociale :
a) l’impératif de promotion. La mobilité sociale verticale permet de dégager des élites. Malheureusement la démocratie libérale en tant que régime politique représentatif n’en sélectionne pas.
b) L’impératif de structuration, second aspect de la dynamique sociale, renvoie à l’agencement des activités et aux préférences de structures, dans le choix desquelles le politique tient un grand rôle.
c) L’impératif de participation, troisième composante, soulève la question sociale. François Perroux chercha toujours à éliminer le sentiment d’infériorité au sein de la classe ouvrière. Aussi développa-t-il deux aspects : la promotion du producteur ; la collaboration entre les divers groupes sociaux. Le producteur tire sa fierté du travail et la communauté de travail s’insère dans une économie organisée en tenant compte du principe professionnel. La collaboration entre groupes impose de dépolitiser les conflits de classe. La solution aux conflits du capital et du travail passe par la négociation et, en cas d’échec, par l’arbitrage public. Car le conflit est au cœur du capitalisme, dans l’entreprise, dont les structures internes doivent satisfaire la règle de l’autorité liée à la responsabilité. Un patron exerce l’autorité de la compétence. Le chef d’entreprise ne se ramène pas à « l’homme à poigne ».
L’EUROPE DANS LE MONDE
Dès 1954, Perroux exposa clairement la question des rapports entre l’Europe et ses composantes nationales [4]. Puisqu’il argumenta toujours en faveur d’un patriotisme qui respecte et propage la vie, il souligna la nécessité d’articuler de multiples espaces qui ne coïncident jamais : politiques, économiques, techniques, juridiques, religieux, culturels. L’invention technique d’une part et l’innovation économique d’autre part bousculent fréquemment et puissamment toutes les localisations, voire les monopoles les mieux institués, de sorte qu’il convient d’étudier attentivement les gagnants et les perdants à l’intérieur de ce grand ensemble européen.
Les forces d’intégration européenne émergeraient à condition de préciser trois questions : le déséquilibre entre les USA et l’Europe ; le développement des pays économiquement sous-développés et exploités par la finance américaine ; la normalisation des rapports Est-Ouest. Les modèles d’intégration, peu nombreux, soit l’unionisme, le fonctionnalisme ou le fédéralisme, présentent tous des faiblesses qu’il souligna régulièrement pour inciter à les surmonter. L’unionisme méconnaît les conflits entre les programmes des nations. Il faut de toutes façons régler la question monétaire, et assurer notamment la stabilité des changes qui joue un rôle fondamental dans la localisation des centres de production et dans la répartition des investissements. L’analyse fonctionnelle plaide pour la mise en place de pouvoirs intra-communautaires. Clarifions alors les relations entre chaque organe de pouvoir, les forces réelles sur lesquelles il s’appuie, les légitimations de son action. Toute organisation ne saurait être positive au prétexte de servir l’intégration européenne. Enfin le fédéralisme, économiquement, est ambigu. Plusieurs pouvoirs publics s’exercent sur un marché fédéral, multipliant les frictions. Et l’auteur citait Tocqueville pour qui un régime fédératif donnait prise à la propagande et à la pénétration étrangère.
Jusqu’à sa mort, ce grand Européen publia des articles soulignant les difficultés de l’Europe et encourageant ceux qui œuvraient dans une direction favorable à l’indépendance, à la puissance et à l’épanouissement des esprits. Aussi critiqua-t-il la dérive de Bruxelles vers un dirigisme tatillon, responsable de nombreux échecs au niveau des nations ; il s’alarma de même du fait que les textes des traités soient des textes à tout faire favorisant en pratique les grandes entreprises monopolistiques. Il ne cessa de s’inquiéter d’une Europe envahie et investie par des puissances étrangères, signe d’une mauvaise santé intellectuelle et morale des populations.
Or, être Européen, enseignait-il, c’est vouloir le rassemblement des Européens de vieille souche et souhaiter l’intensification de tous les foyers de pensée et d’action européens. Cet idéal demeure.
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