Par une décision n° 22BX03111 en date du jeudi 13 février, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rappelé à l’État ses obligations relatives à l’hébergement d’urgence de toute personne sans-abri et en détresse et l’a condamné à verser à la communauté d’agglomération Pays basque près de 837 000 euros au titre du préjudice financier subi par cette dernière.
Communiqué de la Cour administrative d’appel de Bordeaux
La cour rappelle que la loi impose à l’Etat de prendre en charge les mesures relatives à l’hébergement d’urgence de toute personne sans abri et en détresse, à l’exception des mineurs et des mères avec nourrisson, dont l’accueil incombe au département. Cette compétence de l’Etat n’empêche pas l’intervention d’une communauté d’agglomération à titre supplétif. Elle fonde le droit de cet établissement public à obtenir la réparation des préjudices financiers en résultant en cas de carence avérée et prolongée de l’Etat.
Le Pays basque français a connu un afflux de près de 9000 personnes migrantes sans abri au cours de l’été 2018. Cette situation a conduit la communauté d’agglomération Pays basque à mettre en place un dispositif d’hébergement d’urgence destiné à accueillir temporairement ces migrants en transit vers d’autres destinations.
Ayant pris en charge les prestations d’hébergement des personnes ainsi mises à l’abri, la communauté d’agglomération Pays basque a demandé sans succès à l’Etat la réparation du préjudice financier en étant résulté.
Saisie du litige, la cour administrative d’appel rappelle tout d’abord les obligations de l’Etat auquel le code de l’action sociale et des familles a confié une compétence de principe en matière d’hébergement d’urgence de toute personne sans abri et en détresse. Reprenant les principes dégagés par le Conseil d’Etat dans sa jurisprudence, elle relève que cette compétence de l’Etat n’interdit pas toute action sociale de la communauté d’agglomération sur son territoire, tout en mettant l’accent sur le caractère supplétif de cette intervention communautaire et sur le fait qu’elle ne peut entraîner une obligation de remboursement par l’Etat qu’en cas de carence avérée et prolongée de celui-ci.
Après avoir relevé l’insuffisance du dispositif d’hébergement d’urgence mis en place par l’Etat dans le département des Pyrénées-Atlantiques, lequel comptait moins de 300 places d’accueil en 2019, la cour estime que la carence de l’Etat en matière d’hébergement d’urgence des personnes en situation de précarité est avérée et prolongée.
Elle en conclut que la communauté d’agglomération Pays basque était fondée à prendre en charge, à titre supplétif, des prestations d’accueil des migrants sans abri transitant en nombre sur son territoire pendant une période d’une durée significative et à demander à l’Etat le remboursement des sommes correspondantes. En conséquence, la cour condamne l’Etat à verser à cette communauté d’agglomération la somme de 836 740 euros en réparation de son préjudice.
L’État français a été condamné à rembourser la communauté d’agglomération Pays basque pour « carence » dans l’accueil de migrants sans abri, assuré par cette collectivité alors qu’il incombe aux services de l’État, selon une décision rendue hier. Un « effet de contagion » de cette jurisprudence est attendu.
Dans son arrêt, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rappelé les obligations de l’État en matière d’hébergement d’urgence de « toute personne sans abri et en détresse », à l’exception de certains cas comme les femmes enceintes et les mères isolées, prises en charge par les départements.
Suivant l’avis du rapporteur public, la cour a constaté une carence « avérée et prolongée » de l’État en raison de « l’insuffisance du dispositif d’hébergement d’urgence mis en place dans le département des Pyrénées-Atlantiques, lequel comptait moins de 300 places d’accueil en 2019 » malgré un afflux de 9 000 personnes migrantes sans abri au cours de l’été 2018.
Jurisprudence
« Les personnes migrantes, peu importe leur situation, sont des êtres humains et doivent être accueillies », a réagi auprès de l’AFP Me Pierre Cambot, avocat de l’agglomération.
Cette décision « impose à l’État de respecter sa propre compétence, à savoir l’hébergement d’urgence », a-t-il ajouté, disant s’attendre à un « effet de contagion » de cette jurisprudence à d’autres territoires et collectivités confrontés au même problème. « On pourra se prévaloir de cet arrêt pour obtenir gain de cause ailleurs », juge-t-il.
Un collectif d’associations a d’ailleurs annoncé jeudi le dépôt devant le tribunal administratif de Paris de deux recours contre l’Etat pour « carences » dans la lutte contre le mal-logement, dont l’un concerne l’hébergement d’urgence.
Pour accueillir ces populations très précaires transitant depuis l’Espagne, la communauté d’agglomération Pays basque (320 000 habitants), avait notamment créé un centre baptisé « Pausa », qu’elle finançait intégralement à hauteur de 900 000 euros annuels.
Cette structure, située à Bayonne, a accueilli plusieurs dizaines de milliers de personnes depuis 2019, pendant une durée moyenne de trois jours.
Pour la cour administrative d’appel, « la communauté d’agglomération Pays basque était fondée à prendre en charge, à titre supplétif, des prestations d’accueil des migrants sans abri transitant en nombre sur son territoire (...) et à demander à l’État le remboursement des sommes correspondantes ».
L’arrêt condamne l’État à verser 836 740 euros à la communauté d’agglomération, plus les intérêts. En octobre 2022, le tribunal administratif de Pau avait rejeté en première instance la requête de cette collectivité locale.
AFP