Cela fait des années que nous nous évertuons à convaincre le personnel politique ou la haute administration de Bercy que l’on ne peut voir l’emploi progresser en France sans des mesures fiscales beaucoup plus vigoureuses que les plafonds de déductions misérables de l’Avantage Madelin ou l’ISF-PME , encourageant la « défisc ».
Mais que ce soit sous Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy, nous nous sommes heurtés à l’intérêt poli, masquant leur indifférence, de ceux qui tiennent les leviers de commande à l’Assemblée nationale ou des hauts fonctionnaires de Bercy. Ils n’étaient pas concernés. Tout avait été fait dans le domaine fiscal et même au-delà ; ce n’était pas de plus d’incitations dont nous avions besoin mais de moins de « dépenses fiscales », le nouveau nom dont furent affublées ces incitations par la droite, sous la houlette de son rapporteur général du budget à l‘Assemblée nationale, Gilles Carrez.
Nous nous sommes rendu compte que tout ce beau monde ne s’émouvait pas car ils n’avaient aucune idée de la catastrophe qui s’annonçait et qui est en train de se dérouler sous nos yeux : un chômage que l’on ne peut plus contenir et qui est en train d’exploser.
Nous avions sollicité une rencontre de l’ex-Premier ministre avec une dizaine de parlementaires, pour lui demander que l’INSEE, notre pythie officielle, lance une enquête sur la création d’entreprises et d’emplois et tire la sonnette d’alarme.
Nous attendons encore le rendez-vous.
Également, il y a deux ans, nous avions pu rencontrer le directeur de l’INSEE de l’époque, Jean-Philippe Cotis, énarque, maintenant à la Cour des comptes, pour lui dire : le nombre de personnes employées en France dans le secteur marchand (par opposition au secteur public) est de 30% inférieur à celui des Britanniques et des Allemands, donc notre économie ne peut plus être compétitive, et l’écart ne cesse de s’aggraver. Nous créons 100.000 emplois nouveaux de plus par an là où les Allemands en créent 300.000. Au lieu d’alerter l’opinion, l’INSEE continue d’annoncer avec satisfaction que nous sommes devenus les champions de la création d’entreprises avec plus de 500.000 entreprises créées par an ; et l’Institut laisse publier sur Eurostat que nous créons 500.000 emplois par an , comme les Allemands, alors que les trois quarts ne sont que de la fumée. [1].
Réponse de l’intéressé : c’est probablement exact mais je ne peux le dire car nous sommes en période pré-électorale.
L’INSEE ne fait pas son travail.
Il ne donne pas aux Français les informations économiques qui sont pour eux les plus importantes.
C’est pourtant l’un des instituts de statistique de loin les plus dispendieux d’Europe (voir article joint « l’INSEE obèse »).
Ceci est la conséquence du quasi-monopole sur l’information économique de base dont il jouit : non seulement il a le monopole sur la collecte de l’information de base, recensement, enquêtes emploi, etc. que seul l’État a les moyens de payer, mais, alors que dans la plupart des autres pays de l’OCDE, cette information brute est traitée par des instituts de recherche du secteur privé, l’INSEE a complètement éliminé une recherche privée autonome en s’arrogeant droit de traiter seul cette information, ce qui lui assure de ne plus pouvoir être critiqué.
Nous n’avons donc plus de source économique fiable. Et une dictature de la pensée économique unique.
Nous l’avons dit dans une bonne dizaine d’articles : l’INSEE est sous la botte des syndicats et de celle de Bercy, deux forteresses de la bureaucratie française. Il ne publie rien de ce qui pourrait mettre en péril ces deux forteresses.
Ils ont partie liée. Le personnel de l’INSEE est fonctionnaire et en ne disant rien sur l’échec de toutes les politiques de Bercy en matière de création d’emploi depuis 30 ans, en évitant de prévenir que le feu est dans la cave, il laisse les Français complètement déboussolés, incapables de comprendre pourquoi la maison brûle. Et comme le rôle des pompiers croît au fur et à mesure que le feu s’amplifie, plus il y a de chômage, plus il faut de mesures, plus indispensable est Bercy, auquel l’INSEE est rattaché.
Pas question de dénoncer les pressions syndicales qui interdisent de parler des conséquences du SMIG sur le chômage. Pas question de dire aux Français que nos créations d’emploi sont faméliques depuis plus de 10 ans. Pas question de leur dire que nous fabriquons deux fois moins d’entreprises à forte croissance ou des gazelles que les Anglais ou les Allemands. Pas question de diriger le regard sur la politique irresponsable et imbécile de Bercy consistant à empêcher les investisseurs privés de créer des entreprises (en faisant croire que nous avons des incitations fiscales mais qui ne sont que de la « défisc ») .Pas question de montrer que tous les financements de la création d’entreprises ou de l’innovation par l’État ont été des échecs.
Il faut au contraire pousser les organismes publics comme Oséo, la Caisse des Dépôts ou la BPI. Cela fait des postes pour les copains et plus de syndiqués. Les jeunes sans emplois de la Plaine Saint Denis n’y verront que du feu et continueront d’accuser un capitalisme rapace ou la droite sarkozyenne de tous leurs maux.
Arrêtons d’accuser des fantômes et mettons les vrais responsables en accusation ; sinon, nous n’avons aucune chance de reprendre un jour le chemin de la croissance.
[1] C’est à rapprocher des deux rapports d’activité INSEE de 2010 et 2011 où le même directeur de l’INSEE, dès l’introduction, se félicite des travaux de la commission de remplacement du PIB par le BIB, le Bonheur Intérieur Brut, constituée de Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, tous nommés par Nicolas Sarkozy et tous, comme on le sait, ardents défenseurs du capitalisme entrepreneurial et de l’emploi