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Obama et le droit de la guerre

dimanche 13 décembre 2009

Le 10 décembre, le président des Etats-Unis d’Amérique, Barack Obama, s’est rendu à Oslo pour recevoir son prix Nobel de la paix. « Nous pouvons infléchir le cours de l’histoire vers davantage de justice », a-t-il déclaré. Il a aussi invoqué le droit d’agir unilatéralement pour défendre sa nation.

L’expression « droit » renvoie à celle de « droit de la guerre », qui implique l’existence de lois liant les belligérants, réglant leur conflit et, de ce fait, les plaçant sur un pied d’égalité, dans une reconnaissance mutuelle, en tant que forces légitimes, organisées, dotée d’une violence autorisée par l’appareil étatique qui l’incarne.

À ce titre, ce « droit » touche au domaine juridique (toutes les formes ritualisées d’échanges martiaux ou diplomatiques) et à l’éthique, en ce que des normes morales viennent limiter les tentations barbares, le débridement sauvage, en les canalisant, et en rendant licite la brutalité dans des cas répertoriés. La guerre n’étant pas une œuvre particulièrement charitable, il est évident qu’elle est destinée à causer la mort et la souffrance, voire à les recevoir. La sauvagerie est d’outrepasser la mesure qui rend efficace cette finalité létale. Au-delà, en effet, l’auteur risque de perdre son statut de belligérant conforme, du moins dans l’opinion, s’il en est. A ce moment, il échappe au sort que le droit, qu’il ne respecte plus, lui attribuait selon l’idée de ce qu’on se fait de ce qui est humain.

Le droit de la guerre possède donc quelque parenté avec les usages du duel, dont les moindres détails enrobent la férocité d’un cérémonial qui l’humanise, la civilise, et même la sacralise, si elle est mise au service de hautes valeurs.

En principe, le jus in bello impose le respect de vertus chevaleresques (loyauté, refus d’attitudes et de moyens indignes) et met en avant, les devoirs que l’on doit aux plus faibles, aux civils, aux prisonniers, aux vaincus. Il est l’un des préceptes les plus anciens et les plus universels. Outre les valeurs spirituelles qui en assurent le bien-fondé depuis au moins le code d’Hammurabi, qu’elles soient religieuses, ou humanitaires (depuis Grotius), souvent explicitées dans le marbre, ce droit est pour le moins une précaution, puisqu’il présuppose la réciprocité des bons procédés, et en même temps une mesure anticipatrice de bon gouvernement, le vainqueur éventuel n’ayant aucun intérêt à faire disparaître une source de profit par l’extermination et l’appauvrissement de l’adversaire, surtout civil.

Bien que présent en tous siècles et en toutes latitudes, le droit de la guerre a bien sûr souffert de nombreuses exceptions (il n’est qu’à lire la Guerre du Péloponnèse de Thucydide, et suivre pas à pas la progression du caractère atroce des hostilités, qui durèrent une trentaine d’années). Il a présenté également des perceptions fluctuantes de ce qui était permis ou non par le progrès de l’armement et de la stratégie. Aussi serait-il grotesque de critiquer l’usage de l’arc et des flèches, sous l’ombre qu’ils sont des armes de lâches et peuvent servir à frapper un brave de dos, quand on a pris maintenant l’habitude de bombarder à coups de missiles.

Néanmoins, le droit de la guerre concerne la définition du casus belli, les modalités de déclarations de guerre, le respect des ambassadeurs, les conditions possibles d’éviter la guerre, le respect des lieux d’asile, la distinction entre les civils et les militaires.

Chaque Nation a droit de se défendre, comme l’affirme justement Obama. Les États-Unis possèdent donc ce jus ad bellum.

Selon ce jus, la guerre, qui n’est pas un objectif en soi, doit permettre in fine une sortie politique, une possibilité pour le vaincu d’être reconnu dans sa légitimité et ses moyens d’existence. Dans ses fondements antiques, elle relevait d’un fait de nature autant que d’une nécessité de culture, ayant pour elle la permanence d’un événement récurrent mettant en prise les communautés, et contribuant à forger des solidarités et des valeurs collectives. Malgré les exactions inévitables, elle n’avait guère pour objectif l’éradication complète de l’ennemi, parce qu’au même titre que toutes les forces qui gouvernent le cosmos, elle était saisie comme une fatalité et comme la matrice de l’ethos aristocratique. La guerre idéologique n’était pas connue de l’Antiquité.

Certes, les Occidentaux ont pu arguer de l’esprit de liberté pour faire la guerre aux barbares, mais Alexandre, s’il voulut venger l’incendie du temple d’Athéna, prôna la fusion des races macédonienne et perse, et Rome intégra sans les fondre des peuples innombrables. Les morts n’excédaient pas ce que la dure contrainte de la guerre exigeait, et il ne s’agissait pas de convertir ceux qui pouvaient garder leurs dieux, et même leurs lois. Le droit de la guerre, pour peu qu’il représentait au minimum un idéal, se manifestait alors comme un mode de piété, une déclinaison du culte qu’on rendait aux injonctions sacrées, au même titre que le sacrifice pour les vivants et la sépulture pour les morts.

Il en va tout autrement quand le judéo-christianisme (promu principalement par les sectes calvinistes) et sa version sécularisée, sous couvert des droits de l’homme, vont régir le monde des hommes et ses inévitables conflits. En effet, l’acte d’agresser un autre peuple va dès lors se fonder sur l’intention et se parer d’arguties morales. L’autre va donc être attaqué non parce qu’il constitue un danger suffisant, ou bien, plus prosaïquement parce qu’il laisse espérer, par sa défaite, un surcroît de butin, mais parce qu’il est doté d’une méchanceté essentielle, de défauts rédhibitoires qui le placent d’emblée, comme le scélérat romain, hors du champ de l’humain. Carl Schmitt a bien analysé cette dérive dans son texte « Le nomos de la Terre ».

Selon lui, cette eschatologie guerrière, cette croisade, qui pense en finir avec les maux inhérents à la nature humaine (la malignité, l’injustice, l’inégalité etc.) voue l’humanité à la guerre perpétuelle. La paix, c’est la guerre.

Le droit d’ingérence n’a plus de limites autres que la foi de l’agresseur et le pur droit subjectif de juger, à partir de ses propres postulats, l’adversaire ainsi rabaissé à l’étiage du sauvage, de l’animal. La parousie est toujours à reconstruire dans le feu et le sang, et dans la destruction complète des sources diaboliques. Le souci de l’espace, du territoire, est remplacé par la quête sans cesse remise à jour d’une fin des temps devant aboutir à la paix perpétuelle.

Lorsque donc Obama invoque la paix, la justice, la liberté, il modèle son discours belliciste sur des valeurs idéologiques marquées profondément par ce substrat religieux (même désacralisé) assez dénué de réalisme pour le rendre non seulement inopérant par rapport à ses propres buts, mais aussi singulièrement dangereux, puisque durablement belligène.

Peut-il donc se réclamer du droit ?

Les Talibans n’ont en effet jamais été conçus comme des soldats ni l’Afghanistan comme une Nation « normale ». Le terme employé pour les désigner est « terroristes » et « base du terrorisme ».
Les ennemis ne sont donc pas considérés comme des soldats, mais comme des civils usant de moyens (il)légaux pour combattre. L’intervention se transforme en simple opération de police. Les délinquants sont accusés de se servir de la « Terreur », dont on ne voit pas bien ce qui la différencie de ce que peut ressentir un civil qui subit les foudres d’un missile, mais qui a l’avantage de réduire ses auteurs à la situation de barbares inhumains. Par cette connotation hyperbolique largement répandue par les medias, on a rendu admissible le camp de concentration de Guantanamo, qui échappe à toute légalité.

La captivité des prisonniers afghans a été soumise au caprice des vainqueurs, au-delà de tout contrôle des instances étatiques autres que l’armée. En outre, chaque mois, chaque semaine, voit son lot de massacres de civils par des aéronefs, avions, hélicoptères ou drones. Les morts se comptent pas milliers comme autant de malheureuses victimes de dégâts collatéraux. Pire : aucune perspective politique, faute de considérer l’ennemi comme légitime, ne peut être envisagée. Seule la captivité, ou la destruction totale, apparaît comme une issue, ce qui ne peut que susciter haine et fanatisme dans l’autre camp, et donc une poursuite du « Terrorisme ».

En vérité, si l’on ne regarde pas d’un peu trop près les raisons pour lesquelles l’Amérique est entrée en guerre contre une Nation perdue aux confins du Moyen Orient, enclavée dans cette pétaudière qu’est une Asie centrale hautement stratégique, si l’on évite de se demander qui a créé le système Taliban, Al Qaïda, Ben Laden, qui sème le bruit et la fureur dans cette partie du monde, sans parler des circonstances occultes de l’attentat du 11 Septembre, si l’on prend acte du soutien de l’ONU et de l’aide militaire apportée par l’OTAN, par des subalternes vassalisés de l’Ultrapuissance américaine, on est en droit de douter du bien-fondé de la guerre menée par Obama, expédition quasi « néocoloniale » qui constitue une véritable agression contre un État par définition réputé souverain, et du droit moral, sinon légal, à la poursuivre.

Claude Bourrinet pour Geopolintel
11 décembre 2009

Notes

[1] Voir le texte : Obama, du rêve à la réalité

[...] Barack Obama a décidé d’augmenter le budget de la défense américaine et fait ainsi mieux que son prédécesseur George Bush en la matière. Le projet de budget 2010 pour l’Etat fédéral américain comprend une enveloppe totale de 663,7 milliards de dollars pour la défense, incluant le coût des guerres en Irak et en Afghanistan, soit une hausse d’environ 1,5% sur un an. Le gouvernement demande une enveloppe supplémentaire de 130 milliards de dollars pour financer les guerres en Irak et en Afghanistan en 2010. [...]

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