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Zbigniew Brzezinski :« Nous devons éviter le risque d’une extension du conflit au Pakistan »

Octobre 2008 - Propos recueillis par Julien Nessi

dimanche 4 avril 2010

Zbigniew Brzezinski : « La politique étrangère américaine ne va pas changer significativement. Elle implique des raisons philosophiques sur la manière dont les Etats-Unis doivent conduire le monde. Il y a une certaine opportunité pour Barak Obama sur ces questions. »

Ancien conseiller à la sécurité nationale du Président Jimmy Carter, de 1977 à 1981, Zbigniew Brzezinski soutient la candidature de Barak Obama à l’élection présidentielle. Spécialiste de politique étrangère américaine, il est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la géopolitique et les relations internationales. Ses commentaires et analyses sur le rôle de l’Amérique dans le monde, la stabilisation de l’Irak, les relations entre l’Occident et la Russie ou encore la nouvelle guerre froide dans le Caucase apportent un éclairage précieux dans cette période d’intense activité diplomatique. Entretien exclusif recueilli à l’issue d’une rencontre informelle organisée par l’édition française de Foreign Policy.

Cyberscopie - Pensez-vous que la politique étrangère américaine va changer au lendemain des élections du 4 novembre ?

Zbigniew Brzezinski - « La politique étrangère américaine ne va pas changer significativement. Elle implique des raisons philosophiques sur la manière dont les Etats-Unis doivent conduire le monde. Il y a une certaine opportunité pour Barak Obama sur ces questions. »

Cyberscopie - Pensez-vous que les Etats-Unis devraient renforcer leur présence militaire en Afghanistan ?

Zbigniew Brzezinski - « Je ne suis pas en faveur d’une militarisation à outrance sur le terrain en raison de l’instabilité dans les zones tribales du Pakistan. Nous devons éviter le risque d’une extension du conflit au Pakistan. Je ne suis pas en faveur non plus d’un désengagement militaire de l’Afghanistan. »

Cyberscopie - Les attentats du 11 septembre ont marqué une rupture sur le plan des relations internationales.
Que pensez-vous de la guerre contre la terreur lancée par l’administration Bush ?

Zbigniew Brzezinski - « Je pense qu’il y a une différence de nuance entre le choc émotionnel provoqué par les attentats du 11 septembre sur l’opinion publique et la manière dont l’administration Bush a politisé le problème. L’universalisation de la guerre contre la terreur a contribué à une perception démagogique du problème, justifiée par la politique en Irak. Ce n’est pas bon ni pour la politique américaine, ni pour le système international. Il y a donc une nuance entre la compréhensive indignation du peuple américain et l’exploitation délibérée de l’administration Bush pour une politique dogmatique et démagogique. »

Cyberscopie - Comment interpréter la récente crise entre la Russie et la Géorgie : s’agit-il d’un sursaut d’orgueil nationaliste russe ou, selon les experts russes, d’une tentative d’encerclement de la Russie par les Etats-Unis ?

Zbigniew Brzezinski - « La thèse de l’encerclement géopolitique de la Russie illustre une ignorance géographique : comment encercler le plus large pays au monde, qui a 11 fuseaux horaires, un pays qui opère sur différents fronts marins (mer, océan)… Le besoin d’expansion de la Russie pose un réel problème pour la stabilité internationale. Le véritable enjeu n’est pas l’encerclement géographique mais la volonté de puissance de la Russie. La question de savoir comment la Russie se prépare à vivre dans le XXIe siècle selon les standards du XXe siècle est, à mon avis, la plus pertinente. Le respect des lois internationales et de l’intégrité territoriale, la résolution des crises par des accords et des compromis sont à l’arrière plan. Bien entendu, cette question s’applique aussi aux Etats-Unis. »

Cyberscopie - Pensez-vous que l’Otan devrait intégrer l’Ukraine dans ses rangs ou cela pourrait être interprété par la Russie comme un signe d’agressivité ?

Zbigniew Brzezinski - « La question de l’intégration de l’Ukraine dans l’Otan n’est pas pertinente aujourd’hui. Les Ukrainiens voudraient rejoindre l’Otan mais doivent d’abord conduire un référendum sur cette question. Les Géorgiens sont plus anxieux en ce qui concerne leur adhésion à l’Otan, ils sont clairement en situation d’attente. Quoiqu’il en soit, il faut reconnaître que l’Otan n’a pas été conçue pour s’opposer à la Russie. Cette organisation militaire a pour vocation de garantir la stabilité et d’assurer la sécurité militaire de ses membres. Les pays d’Europe de l’Est souhaitent intégrer l’Otan car ils se sentiront plus en sécurité que s’ils devaient assurer eux-mêmes la défense de leurs territoires. Les récents événements en Géorgie ont montré que les pays frontaliers avec la Russie se sentent menacés. Je pense qu’il y aura moins de risques de conflit frontalier si une organisation régionale assure la sécurité des frontières. Cependant, le véritable enjeu n’est pas de savoir si la Géorgie ou l’Ukraine doivent intégrer l’Otan, mais s’ils seront autorisés à entrer dans l’Otan en fonction de leur degré de préparation. »

Cyberscopie - A l’issue du conflit géorgien, la Russie a reconnu unilatéralement l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, deux territoires séparatistes appartenant à la Géorgie. Moscou a utilisé l’exemple du Kosovo pour faire valoir sa décision. Quelle est votre analyse de la situation ?

Zbigniew Brzezinski - « Il y a deux différences majeures entre le Kosovo et les territoires séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Premièrement, le Kosovo est définitivement plus large géographique-ment que l’Ossétie du Sud et plus important en terme de population. Le Kosovo compte 2 millions d’habitants tandis qu’en Ossétie du Sud, il y a seulement 70 000 habitants. Beaucoup de pays membres des Nations Unies sont moins peuplés que le Kosovo. Deuxièmement, le Kosovo a été victime de cas massifs et flagrants de génocide, ce qui a provoqué les réactions des Etats-Unis et de l’Europe. Enfin, si la Russie est aussi sensible aux aspirations nationalistes de l’Abkhazie ou de l’Ossétie du Sud, c’est en raison des velléités d’indépendance de la Tchétchénie. Les Tchétchènes sont moins d’un million d’habitants tandis que les Ossètes du Sud sont 70 000. Qui a le plus le droit à l’indépendance ? Les Tchétchènes ou les Ossètes ? »

Cyberscopie - A l’échelle de la planète, pensez-vous que les revendications des petites nations constituent une source d’instabilité ?

Zbigniew Brzezinski - « Oui et non. Objectivement, si ces processus d’indépendance se déroulent dans la violence, cela contribue à l’instabilité ; mais il peut y avoir des divorces pacifiques, regardez ce qui s’est passé en Tchécoslovaquie, la République tchèque et la Slovaquie se sont séparées en paix. La Slovénie et la Croatie ont aussi connu un divorce tranquille… En fait, tout dépend de la nature de la séparation et comment elle est menée par les protagonistes. »

Cyberscopie - D’un point de vue géostratégique, comment les changements climatiques peuvent-ils changer les lignes de fractures et les relations entre les puissances ?

Zbigniew Brzezinski - « Avant de se poser cette question, il convient de reconnaître que la définition de « changement climatique » est une vision purement occidentale. La notion de développement durable, par exemple, traduit une vision ethnocentriste du développement par rapport aux critères occidentaux. Dans ces conditions, dupliquer en Afrique ou en Asie un mode de vie que l’on trouve dans les rues de Paris ou de New York n’a pas de sens. Il faut donc commencer par redéfinir la notion de changement climatique. Il est clair que les changements climatiques à l’échelle mondiale vont avoir des incidences sur les relations entre les Etats. »

Propos recueillis par Julien Nessi

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