Russie : qui a commis les attentats de 1999 ? - Geopolintel
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Russie : qui a commis les attentats de 1999 ?

lundi 29 mars 2010

A la fin de l’été 1999, la Russie est secouée par une série de bombes meurtrières. Moscou désigne les coupables : les Tchétchènes. L’enquête du « Monde » révèle des accusations et des indices accablants pour le Kremlin. En août 1999, un millier de combattants tchétchènes et daghestanais, menés par le chef de guerre Chamil Bassaev et son associé saoudien Khattab, envahissent le Daghestan, petite république du Caucase voisine de la Tchétchénie et, comme elle, membre de la Fédération de Russie. Bassaev affirme vouloir venir en aide à des islamistes locaux prêts à l’insurrection. L’armée russe repousse les envahisseurs et quelques villages sont, au passage, réduits en poussière. Mais, surtout, la Russie se déclare « attaquée par le terrorisme international »– un danger dont le Kremlin n’a cessé d’agiter la menace ces dernières années, sans jamais réussir à en convaincre l’Occident.

A Moscou, un Boris Eltsine aux abois en profite pour changer de premier ministre, pour la deuxième fois en deux mois. Au falot Viktor Stépachine succède un inconnu, Vladimir Poutine, officiellement présenté le 9 août 1999 comme le dauphin du président.« Cet homme, c’est la solution finale du problème tchétchène », annonce Boris Eltsine en le présentant à la télévision. Formule de mauvais augure à laquelle, hormis les Tchétchènes, personne ne prête attention.

Ce moment constitue pourtant un tournant dans l’histoire russe récente, et la situation va prendre un tour nettement plus dramatique. Lorsque, le 24 septembre, Vladimir Poutine jure de « buter [les terroristes] jusque dans les chiottes » et renvoie les bombardiers en Tchétchénie, une série d’attentats vient d’ébranler la Russie. En moins de trois semaines, du 31 août au 17 septembre, de terribles explosions ont secoué successivement un centre commercial proche du Kremlin, une petite ville du Daghestan et, surtout, deux immeubles densément habités dans des quartiers populaires de Moscou, puis un autre immeuble dans une ville du Sud, Volgodonsk. Plus de 300 morts, des milliers de blessés. Le pays est plongé dans l’horreur, traumatisé. Les autorités russes montrent aussitôt les coupables du doigt : les Tchétchènes.

Que s’est-il passé pendant l’été 1999 ? Cet épisode fondateur du nouveau régime russe et point de départ de la deuxième guerre de Tchétchénie recèle tant de mystères et de contradictions que la question n’en finit pas de se poser : et si cette série d’attentats n’était qu’une machination ?

La rumeur, à l’époque, ne tarde pas à désigner le suspect numéro un : Boris Abramovitch Berezovski, « BAB », éminence grise du Kremlin, un des pionniers du « capitalisme » post-soviétique qui apparaît de plus en plus à l’époque comme l’un des grands maîtres du chaos russe. Ses liens avec les Tchétchènes les plus radicaux, et notamment avec Chamil Bassaev, sont connus. On le soupçonne d’avoir provoqué la plupart des enlèvements d’étrangers dans le nord du Caucase dont il se posait ensuite en libérateur, devant les écrans de ses chaînes de télévision. En septembre 1999, l’un de ses proches, jeune affairiste français, contacte Le Monde en Russie. Au téléphone, il a perdu sa belle assurance et lâche son ami : « Boris annonce d’autres attentats. Il est devenu fou. C’est fini, je n’ai plus rien à faire avec lui. Il doit penser que c’est en déchaînant le chaos qu’il pourra installer son homme fort au pouvoir. Et saisir au passage de nouveaux morceaux du gâteau russe, y compris la Caspienne. C’est pour ça qu’il a organisé l’invasion du Daghestan par les Tchétchènes. Bassaev a reçu 30 millions de dollars pour ça, et des armes. »

Dans la presse russe, des articles renforcent cette thèse. Les projets d’invasion du chef de guerre Chamil Bassaev, qui se voyait déjà en « émir » d’un Etat islamique de Tchétchénie et du Daghestan libérés du joug russe, étaient connus dans toute la région. Pourtant, les unités militaires russes ont été retirées de la frontière du Daghestan juste avant que les boeviki (combattants) y entrent, puis les ont laissés sortir. Le quotidien d’opposition proche du maire de Moscou, Iouri Loujkov, Moskovski Komsomolets, publie, après les attentats, une série d’extraits d’écoutes téléphoniques de Boris Berezovski conversant avec ses amis tchétchènes, proches de Bassaev. Ces derniers s’y plaignent de ne pas avoir reçu tout l’argent promis, ou de l’apparition d’avions qui bombardent les boeviki au Daghestan, « ce qui n’était pas prévu dans les accords ». Pour tout démenti, Berezovski se borne à qualifier ces enregistrements de « compilations malhonnêtes d’écoutes faites à des moments différents ». Mais selon le directeur du journal, l’agent du FSB (héritier du KGB) qui les a livrés a ensuite été assassiné.

Plus étonnant, le 12 octobre 1999, c’est au tour d’un quotidien appartenant à BAB lui-même, Nezavissimaïa Gazeta, d’écrire, sous la plume de son rédacteur en chef Vitali Tretiakov, un homme très informé et proche de Berezovski : « Il est absolument évident que les Tchétchènes ont été incités à entrer au Daghestan pour obtenir un prétexte légal au début de la phase active de la lutte contre les terroristes réunis en Tchétchénie. Il est clair que c’était une opération des services secrets (à ne pas confondre avec la destruction des immeubles) sanctionnée politiquement au plus haut niveau. »

Les lecteurs avertis de Vitali Tretiakov voient là un double message : d’accord, les preuves existent que BAB a joué un jeu trouble avec les terroristes, mais c’était pour le plus grand bien de l’oligarchie menacée et avec la bénédiction du « sommet » (le sommet, à ce moment-là, c’est la cellule de crise de l’opération « Héritier », qui agit au nom du président Eltsine reclus à l’hôpital ; elle est composée de BAB, du chef de l’administration présidentielle, Alexandre Volochine, de la fille du président, Tatiana, et de son futur mari, Valentin Ioumachev). Deuxième partie du message : n’allez surtout pas croire que ceux-là laisseront percer un jour leur implication dans l’organisation des attentats.

La précision, donnée entre parenthèses, est devenue indispensable. Car, entre-temps, il y a eu l’affaire de Ryazan. Celle qui a popularisé, plus encore que tout le reste, la thèse de la culpabilité du Kremlin et de ses services secrets.

Le 22 septembre au soir, un habitant de cette ville du cœur de la Russie aperçoit trois personnes transportant des sacs d’une voiture dans une cave. Il donne l’alerte, les agents du FSB local et la police arrivent, constatent que les sacs ressemblent à de l’explosif et sont reliés à un détonateur. L’immeuble est évacué dans la panique et le contenu des sacs analysé sur place : il se révèle être de l’hexogène, l’explosif utilisé dans les attentats précédents contre les immeubles. Le FSB local ouvre une enquête pour terrorisme, tout le monde se félicite de la vigilance du public et des autorités, à commencer par M. Poutine. Le surlendemain, coup de théâtre : le chef du FSB russe, Nikolaï Patrouchev, annonce que toute l’affaire n’était qu’un « exercice » de ses services pour tester l’état de préparation du pays, que les sacs contenaient du sucre et que le détonateur était un leurre.

Personne n’y croit. Car le revirement a suivi l’annonce de l’arrestation d’un couple d’agents du FSB – ceux qui ont posé l’explosif. Des journalistes recueillent des témoignages de responsables locaux, qui s’en tiennent à leur première version : il s’agissait bien d’explosifs, et ni les chefs locaux du FSB et de la police ni même le gouverneur de la région n’avaient été informés d’un quelconque « exercice ». Un soldat d’une base militaire voisine affirme qu’il a eu à garder, dans un local interdit d’accès, des « sacs de sucre » dont le contenu, des granulés jaunâtres, ne sucrait rien du tout.

Mais Ryazan passe presque aussitôt au second plan. Le 24 septembre, les dirigeants russes, M. Poutine en tête, tiennent un discours extrêmement belliqueux sur la Tchétchénie. Ils annoncent que les auteurs des attentats de septembre sont connus, mais qu’ils ont malheureusement réussi à s’enfuir vers la Tchétchénie. Une dizaine de noms sont publiés, dont aucun n’est tchétchène, même si cinq sont des Karatchaïs, originaires d’une autre république du nord du Caucase. Curieusement, notre homme d’affaires français proche de Berezovski avait évoqué une alternative envisagée au cas où l’invasion du Daghestan se révélerait impossible : celle d’envoyer les Tchétchènes « libérer » la république de Karatchaevo-Tcherkessie, où des wahhabis étaient très actifs et où BAB se fera, à l’automne, élire député à la Douma. Les « sacs de sucre » étaient d’ailleurs marqués comme provenant de cette république, où, pourtant, aucune sucrerie n’existe.

Parallèlement, les détails connus de l’enquête sur les attentats de Moscou révèlent des pressions pour en masquer les résultats. Par exemple, la maîtresse du principal suspect, le Karatchaï Atchimez Gotchiyaev, celui qui aurait loué les locaux où ont été entreposés les explosifs, a été arrêtée puis libérée la nuit même, « sans raisons connues », note le quotidien Kommersant. Bien connu des autorités, Gotchiyaev a été condamné par deux fois à des peines de prison et deux fois relâché prématurément. La version officielle sur les attentats varie sur un point important : le FSB annonce d’abord que l’explosif utilisé dans tous les cas est de l’hexogène. Le nom devient si commun que le premier écrivain russe à consacrer un livre à ce sujet l’intitule Monsieur Hexogène. Or, très vite, l’explosif devient officiellement du « salpêtre ammoniacal mêlé à de la poudre d’aluminium ». Explication : l’hexogène n’est produit, à grand coût, qu’à usage militaire et par les militaires. De source diplomatique, on apprend aussi que les dirigeants russes ont décliné toutes les offres de coopération des experts étrangers arrivés en toute hâte à Moscou, notamment des Américains et des Français. A cela s’ajoute la célérité tout à fait inhabituelle en Russie avec laquelle sont déblayés les débris des immeubles, alors que les Américains, l’année précédente, ont mis deux mois à examiner morceau par morceau les gravats de leurs ambassades au Kenya et en Tanzanie, trouvant ainsi de précieux indices.

Quatre mois plus tard, le 31 décembre 2000, Boris Eltsine démissionne. En mars 2000, Vladimir Poutine est élu président haut la main. L’opération « Héritier » a réussi. On n’a plus jamais reparlé des « sacs de sucre », ni des personnes qui les avaient posés à Ryazan. L’enquête du FSB local a été illégalement fermée. Les députés de la Douma n’ont jamais pu réunir les voix nécessaires pour ouvrir une simple enquête parlementaire, ni en janvier 2000, ni au printemps 2002.

Les Tchétchènes n’ont jamais cessé de nier leur culpabilité dans les attentats de 1999. Si ce n’est eux, qui donc, parmi les Russes, pourrait être derrière ? Boris Eltsine, semi-grabataire ? Vladimir Poutine, qui a toujours couvert les malversations de ses chefs ? Un chef suprême et inconnu, collectif ou non, de la mafia russe ? Ou bien Berezovski qui, dès 1997, assurait que l’élection présidentielle « se jouerait autour de la question tchétchène » ?

Le président tchétchène Aslan Maskhadov a très vite affirmé au Mondeque les attentats ont été organisés par le Kremlin pour déclencher une guerre électorale. Venant de lui, l’accusation n’a guère de portée. Mais le maire de Moscou, Iouri Loujkov, le présentateur vedette de NTV, Evgueni Kisselev, ou le financier américain George Soros accusent Berezovski, en termes plus voilés. Et, plus explicitement, Vladimir Jirinovski, certains communistes ou l’ex-candidat à la présidence Alexandre Lebed accusent « le Kremlin ».

FIN novembre 1999, l’ami français de BAB fournit une nouvelle interprétation : « Boris [Berezovski] n’y est pour rien. C’est le FSB qui a tout organisé. Pas un groupe isolé au sein du FSB, mais le FSB comme organisation. Il y a des preuves. » Autrement dit, Berezovski aurait, dès ce moment-là, décidé d’accuser le chef du FSB qui, à l’époque où les attentats étaient en préparation, était Vladimir Poutine ou son successeur, Patrouchev, agissant sous son autorité. En décembre, BAB se déclare en faveur de négociations avec les Tchétchènes les plus radicaux et accuse Poutine de « manquer de vision stratégique ». Clairement, l’initiative lui a échappé. D’autres sources moscovites confient au Monde que le scénario de BAB a été détourné par les généraux partisans de la guerre jusqu’au bout et de jeunes oligarques qui se sont émancipés de lui.

En conflit ouvert avec le président depuis l’été 2000, Berezovski, qui a choisi l’exil en France, puis en Grande-Bretagne, n’a toujours pas produit la moindre des preuves dont il menace Poutine. Sa conférence de presse à Londres, en mars 2002, convoquée à grand bruit, n’apporte rien de nouveau. Trois ans après, les zones d’ombre des attentats de 1999 restent entières, et les interrogations sur la prise d’otages de Moscou n’ont fait qu’accroître le doute.

Le Monde du 17-11-2002-
Sophie Shihab

Notes

[1] Deux attentats-suicide dans le métro de Moscou : au moins 37 morts

AP | 29.03.2010 | 12:43

Deux attentats-suicide dans le métro de Moscou ont fait au moins 37 morts et une centaine de blessés lundi matin à l’heure de pointe, selon les autorités russes, qui parlent de deux femmes kamikazes et privilégient la piste de rebelles du Caucase.

Le chef du Service fédéral de sécurité (FSB, ex-KGB), Alexandre Bortnikov, a affirmé lors d’un entretien télévisé avec le président russe Dimitri Medvedev que les premiers éléments de l’enquête suggéraient l’implication de terroristes liés à des rebelles du Caucase, région instable qui comprend notamment la Tchétchénie.

« Nous continuerons à combattre le terrorisme sans faillir et jusqu’au bout », a déclaré le président Medvedev.

Le ministre des Situations d’urgence, Sergueï Choïgou, a fait état d’un bilan total d’au moins 37 morts et 102 blessés, sans préciser le bilan pour chacune des deux stations frappées, selon les agences de presse russes.

La première explosion a tué au moins 23 personnes à la station de Loubianka, dans le centre de la capitale, un peu avant 8h (4H GMT ; 6h à Paris), a expliqué la porte-parole des services d’urgences de Moscou, Veronika Smolskaïa. Au-dessus de cette station se trouvent les principaux bureaux du FSB. La bombe se situait dans l’un des wagons, ont précisé les autorités.

Une deuxième explosion a touché la station de Park Koultoury 45 minutes après, faisant au moins 12 morts, a précisé Veronika Smolskaïa.

« Les premiers éléments que le FSB nous a communiqués font état de deux femmes kamikazes », a déclaré aux journalistes le maire de Moscou, Iouri Loujkov. AP

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