Getty, Rockefeller : quand les financiers soutiennent des activistes écologistes
Plusieurs collectifs écologistes ont fait parler d’eux ces dernières semaines. A leur chevet, des héritiers de compagnies pétrolières, qui comprennent l’intérêt de financer ce type de mobilisations.
Des blocages routiers de plusieurs heures, des mains collées au sol près devant l’Assemblée Nationale : le collectif Dernière Rénovation a replacé dans l’actualité un répertoire d’actions militantes plutôt offensif cette semaine. Des actions qui suivent celles de Just Stop Oil, autre mouvement militant qui s’est récemment signalé en faisant mine de dégrader des tableaux, notamment les Tournesols de Vincent Van Gogh à la National Gallery de Londres.
Des actes de désobéissance civile, effectués au nom de la défense du climat et afin d’attirer l’attention du grand public sur le dérèglement climatique, en renversant un ordre des priorités jugé inadapté à l’urgence. Avec quelques dommages collatéraux : les deux militants qui s’étaient collés contre la vitre protégeant le célèbre La Jeune Fille à la Perle de Johannes Vermeer ont été condamnés par le tribunal de La Haye à deux mois de prison, dont un avec sursis.
Dernière Rénovation comme Just Stop Oil bénéficient pour autant de soutiens médiatiques et financiers suffisants pour endosser d’éventuelles poursuites. Les deux organisations font partie du réseau A22, structurée en avril dernier autour d’une nouvelle déclaration commune :
« Nous ne sommes pas là pour sensibiliser, supplier ou divertir. Nous sommes là pour forcer le changement requis pour que ce monde advienne. Nous sommes là pour forcer les gouvernements à réduire drastiquement leurs émissions de CO2, rien de moins. Nous sommes là pour des actions, pas des mots. Nous avons un plan. »
Getty, Kennedy et Rockefeller
Le réseau est notamment appuyé par un bailleur de fonds américain baptisé Climate Emergency Fund, lancé en 2019 par trois membres fondateurs. D’abord Trevor Nelson, entrepreneur à succès et ancien de la fondation Bill & Melinda Gates, proche d’Howard Warren Buffett, petit-fils du financier le plus connu de Wall Street. Mais aussi Rory Kennedy, fille du sénateur Bob Kennedy, et représentante de la famille présidentielle américaine.
Aileen Getty a aussi apporté dès le lancement du fonds un apport personnel de 600.000 dollars. Et pour cause : la troisième cofondatrice est l’héritière de l’empire Getty, fondé par son père John Paul Getty, un magnat... des énergies fossiles. Propriétaire de la Getty Oil Company, il était en son temps considéré comme l’homme le plus riche de la planète.
Un musée privé sur les hauteurs de Los Angeles expose encore de riches collections d’art moderne, fruit des investissements du milliardaire ; mais ses enfants ont tourné la page du pétrole en 1984, huit ans après sa mort. Une fortune de 5,4 milliards de dollars leur échoit alors. Son frère Mark fonde l’agence d’images Getty, mais Aileen prend le chemin du militantisme : diagnostiquée séropositive dans les années 80, elle s’engage contre le VIH.
Avant de soutenir, donc, les activités écologistes. Dans une tribune récente donnée au média britannique The Guardian, elle explique pourquoi.
« Je pense que la crise climatique a progressé à un point où nous devons prendre des mesures fortes pour tenter de changer de cap, sur une planète qui devient de plus en plus invivable. Mon soutien à l’activisme climatique est une affirmation de l’intérêt de la désobéissance civile, comme voie la plus rapide vers le changement. Nous n’avons plus de temps pour autre chose qu’une action climatique rapide et complète. »
Un soutien qui en rappelle d’autres, comme celui apporté par deux arrière-petits-enfants Rockefeller, Rebecca Rockefeller Lambert and Peter Gill Case, à l’Equation Campaign, une structure finançant et accompagnant juridiquement les militants. Un investissement personnel de 30 millions de dollars avait été concédé, accompagné de dons de la Fondation Rockefeller elle-même, ou d’Open Society, la fondation de George Soros.
Les grands argentiers fréquentent en outre souvent des célébrités au sein des plateformes de philanthropie. Le réalisateur de Don’t Look Up Adam McKay, film Netflix dont l’impact sur les débats climatiques avait été global, fait ainsi partie du conseil d’administration du Climate Emergency Fund.
10 milliards de dollars de soutiens financiers en 2021
Les fonds revendiquent souvent un répertoire d’actions militantes radicales, et ont largement contribué à faire émerger le groupe Extinction Rébellion à la fin de la dernière décennie : le groupe de désobéissance civile avait été appuyé par un chèque du Climate Emergency Fund.
Il a aussi soutenu des collectifs issus du monde scientifique, comme le Scientist Rebellion : au printemps dernier, des scientifiques de renom se sont collés au siège de la banque JPMorgan, l’accusant de financer les énergies fossiles. Le physicien médaillé de la NASA Peter Kalmus avait par exemple fait partie des interpellés.
Les soutiens aux groupes militants radicaux sont considérés comme rentables par les organisations philantropiques, y compris d’un point de vue strictement financier : une étude parue dans la Stanford Social Innovation Review expliquait au printemps que l’impact des mobilisations liées à de la désobéissance civile était moins coûteuse en émissions de gaz à effet de serre, et plus rentable en termes d’impact politique et médiatique, que le simple financement d’ONG traditionnelles.
Un argument de poids : si le financement du militantisme climatique progresse, il demeure encore faible. ClimateWorks estimait dans son dernier rapport que sur les 750 milliards de dollars investis par des organisations philantropiques, seulement 6 à 10 milliards étaient consacrés au climat.