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Accord Hamas-Fatah

Entretien avec M. Jean Michel Vernochet

jeudi 12 mai 2011

M. Jean Michel Vernochet, vous êtes expert en relations internationales. Les groupes palestiniens ont signé aujourd’hui un accord de réconciliation. Cet accord doit être officialisé demain dans la capitale égyptienne en présence du chef du bureau politique de Hamas et le président de l’Autorité autonome palestinienne mais la réaction israélienne à cet accord est très négative. Le premier ministre israélien a appelé le président de l’Autorité autonome palestinienne à abandonner cet accord. Quelle est votre analyse sur le sujet ?

JMV. Diplomatiquement parlant et au regard de leur influence dans la région, le 51e état de l’Union nord américaine et le 28e membre de l’Union européenne, je veux parler d’Israël, est en train de perdre du terrain. Cet accord doit être cosigné au Caire ce qui d’abord signifie une nette inflexion dans la politique régionale égyptienne.

Autrement dit l’engagement direct du gouvernement provisoire égyptien dans une relance du processus de paix. Cela laisse entendre, entre autres, que les nouvelles autorités égyptiennes n’entendent certainement plus aujourd’hui se voir dicter leur conduite par Washington, Londres ou Tel-Aviv.

Doit-on d’ailleurs parler vraiment de processus de paix ? Toutes ces dernières années nous avons pu vérifier que depuis au moins quatre décennies l’État hébreu n’a jamais voulu sincèrement ni la paix ni d’un règlement quelconque du conflit l’opposant à la nation palestinienne.

Au contraire, les négociations de paix n’ont jamais été qu’un moyen particulièrement habile de faire reculer la paix. Ce que l’un faisait, l’autre le défaisait aussitôt. À ce propos, précisons que ce qu’avait fait par exemple Menahem Begin avec l’Egypte, n’était pas du tout destiné à faire avancer la paix mais à asseoir la position régionale d’Israël, à lui assurer la neutralisation du pays le plus peuplé du Proche-Orient et un adversaire potentiellement redoutable.

Quant aux Accords d’Oslo ils auront été enterrés deux ans après leur signature avec la dépouille d’Ytzhak Rabin assassiné en novembre 1995. Ces accords de paix n’auront été qu’un espoir aussitôt déçu, un feu de paille sans suite mais sur le mythe duquel les occidentaux ont pu faire prospérer jusqu’ici la chimère d’une paix négociée.

Enfin le désengagement de Gaza par M. Sharon, à présent un mort-vivant, nul n’ignore que celui-ci ne cherchait pas la paix mais essentiellement à se dégager de Gaza qui constituait un fardeau ingérable pour l’État hébreu. Les Palestiniens enfermés dans la Bande, mis en bouteille en quelque sorte comme le Djinn de la légende, ne devait en principe plus en sortir. C’était sans compter sur la révolution égyptienne…

L’accord de réconciliation Hamas/Fatah avec le parrainage de l’Égypte devrait en toute logique faire avancer les choses. C’est donc quelque chose de très positif mais c’est justement ce caractère « positif » qui gêne visiblement Israël. En fait, Tel-Aviv n’en veut pas de réconciliation intra palestinienne parce que le Likoud ne veut pas d’accord du tout, il veut des palestiniens divisés, si possible en deux camps hostiles, et cela parce qu’il ne veut pas négocier. C’est une fin de non recevoir !

Le Likoud veut pouvoir entretenir dans l’opinion publique internationale, l’image de Palestiniens qui ne désarment pas, des Palestiniens versant facilement dans le terrorisme, bref des Palestiniens dangereux pour Israël et pour l’Occident tout entier. Le gouvernement hébreu de ne veut pas de réconciliation, parce qu’il ne veut pas que le peuple palestinien parle d’une seule voix, parce qu’il craint la négociation qui l’obligerait à abattre ses cartes et apparaître à visage découvert. Parce qu’il ne veut pas et n’a jamais voulu la paix c’est ce pourquoi il craint si fort mainteanant la création d’un État palestinien reconnu par une majorité de pays à travers le monde.

Comment en effet poursuivre une sournoise politique de colonisation sans de bons prétextes pour la justifier ? Si le Fatah et le Hamas se réconcilient, le Hamas par la force des choses s’assoira lui aussi à la table des négociations, ce qui vaudra de facto reconnaissance de l’État d’Israël. Ce qui priverait le Likoud de son diable le plus utile. En outre il ne veut à aucun reconnaître le Hamas comme un interlocuteur valable. En un mot cet accord de réconciliation du Caire est une catastrophe pour M. Netanyahou.
Notons que cette politique du Likoud prend véritablement en otage la population israélienne elle-même. La jeunesse israélienne, tout comme la jeunesse du monde arabe est lasse de la guerre et des tensions, elle n’aspire qu’à une chose : pouvoir s’épanouir, construire sa vie en accédant aux facilités d’une modernité raisonnable.

Les israéliens sont donc très inquiets même irrités par cet accord de réconciliation parce que cet accord ouvre la voie à la création d’un état indépendant palestinien, n’est-ce pas ?

JMV. À travers le monde il y a plus de 110 pays prêt à reconnaître la Palestine en tant qu’État, soit une bonne moitié des États membres des Nations unies. Paris laisse maintenant entendre que la France serait favorable à cette option et en débat actuellement avec ses partenaires de l’Union européenne souhaitant, par ce biais, une relance du processus de paix. Une position qui a aussitôt déclenché la colère de Tel-Aviv où la presse n’a plus de mots assez durs pour qualifier la trahison du président Sarkozy. Il est prévu que M. Netanyahou vienne à domicile adresser des remontrances à M. Sarkozy. Sans doute pour le prévenir qu’il fera bloquer sa réélection l’an prochain, en 2012. M. Netanyahou en a vraiment le pouvoir et M. Sarkozy le sait, tout comme d’ailleurs M. Obama…

En fait la Palestine a perdu dix ans. En 2002 la Communauté européenne était déjà prête à reconnaître un État palestinien créé unilatéralement. Aujourd’hui, dix ans après, le nouvel État, s’il voit le jour, va se trouver confronté à un problème majeur, celui de sa continuité territoriale. Nous avons actuellement deux Palestine, Gaza et la Cisjordanie. Or cette dernière est peu à peu dévorée par des colonies israéliennes qui ne cessent de s’étendre et réduisent le territoire palestinien comme peau de chagrin. De ce point de vue l’État palestinien existera mais ce sera sans véritable assise territoriale.

Sincèrement je ne vois pas comment l’on pourra parvenir à faire coexister des réalités aussi contradictoires. D’un côté un refus opiniâtre de conclure cette « paix des braves » dont avait rêvé Rabin, refus assorti en sous-main d’une volonté farouche, mais dissimulée, de chasser définitivement les Palestiniens de leurs terres. De l’autre des hommes désunis, souvent rivaux qui se trouvent placés devant un terrible fait accompli, la colonisation, autrement dit la conquête silencieuse de leur pays, avec la complicité tacite de la Communauté internationale.

Peut-être faudrait-il à ce stade se résoudre à retrouver la voie de la sagesse en se préparant à fonder « un seul État pour deux peuples » ? Quelle autre issue trouver si l’on exclut tout retour à une réactivation du conflit, et si l’on veut en finir avec six décennies de guerre larvée en faisant vraiment la Paix ? En un mot si l’on veut arrêter une fois pour toutes de discuter à l’infini de « processus », de « feuilles de route » et autres balivernes destinées à gagner du temps pendant que les colonies grandissent et que la Cisjordanie se fait chaque jour de moins en moins palestinienne.
Quoi qu’il en soit, je pense que la création de cet État palestinien, aussi inabouti soit-il dans un premier temps, est une étape indispensable pour retrouver le chemin vers la Paix. Une étape également décisive pour amener à un changement nécessaire de direction à l’intérieur de l’État hébreu. Il faut en effet qu’Israël, pour sa survie, change en effet de stratégie et accepte enfin le dialogue. Un dialogue authentique, non biaisé, non plombé par la mauvaise foi et les arrières pensées, qui constituera de facto une reconnaissance réciproque des interlocuteur en présence.

À partir de là tout deviendra envisageable. Cela ne se fera évidemment pas sans concessions réciproques ni sans révisions déchirantes. Personne pour le moment n’imagine qu’il soit ainsi possible de trouver un accord sur Jérusalem… mais le temps aidant, aucun statu quo n’est impossible, les solutions existent, et si Dieu le veut, elles finiront à s’imposer à tous.

Source : French.irib.ir

1er Mai 2011

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