Les candidats peuvent-ils empêcher Marine Le Pen d’accéder à l’Elysée ?
Quatre ans avant de se présenter à la présidence française, Nicolas Sarkozy a avoué en 2003 que son esprit était tourné vers la fonction suprême et « pas seulement quand il se rasait » tous les matins, dans une phrase mémorable qui traduisait son ambition précoce. Ce commentaire a marqué le début de sa longue et difficile lutte pour succéder à son patron, Jacques Chirac, ce qu’il a fait en 2007. Aujourd’hui, quatre ans avant que les Français n’élisent un successeur à leur président actuel, une course non déclarée pour succéder à Emmanuel Macron éclate également parmi ses lieutenants actuels et anciens.
La Constitution française n’autorise un président qu’à effectuer deux mandats consécutifs (même si, après avoir quitté ses fonctions en 2027, alors qu’il n’aura que 49 ans, M. Macron pourrait présenter une nouvelle candidature cinq ans plus tard). Cela lui laisse encore beaucoup de temps pour essayer de remodeler la France, et il ne donne aucun signe de lassitude pour son travail, ni de réduction de ses ambitions. Il a récemment promis de continuer à gouverner « jusqu’au dernier quart d’heure » de son mandat.
Pourtant, les successeurs potentiels au sein du vaste camp centriste de M. Macron sont parfaitement conscients non seulement qu’il n’y a pas de successeur naturel unique parmi eux, mais aussi qu’ils ne peuvent pas s’y prendre trop tard s’ils veulent se démarquer. Tout le monde a à l’esprit la nécessité de trouver un candidat crédible pour affronter la droite dure de Marine Le Pen, que M. Macron a battue à deux reprises lors d’un second tour de scrutin pour la présidence.
Trois candidats semblent penser qu’ils ont ce qu’il faut.
Le plus voyant est Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur au franc-parler, nommé par M. Macron pour sécuriser son flanc droit. Le 27 août, il a organisé un grand événement politique, autour de saucisses et de frites, dans la ville industrielle de Tourcoing, dans le nord du pays, dont il a été maire. Cette rencontre, censée être l’occasion de discuter de stratégie politique, n’a pas manqué d’être marquée du sceau de l’ambition personnelle. Elisabeth Borne, la première ministre, a été dépêchée en urgence sur place pour le rappeler à l’ordre. Fils d’un patron de bar et d’une femme de ménage, M. Darmanin se présente comme un homme politique qui, contrairement aux techniciens arides qui siègent à ses côtés au cabinet, comprend les soucis quotidiens. Si les politiciens traditionnels ne parviennent pas à trouver un moyen d’attirer le vote des classes populaires et moyennes, a-t-il déclaré en décrivant une description de poste taillée sur mesure pour lui, la victoire de Mme Le Pen en 2027 sera « tout à fait probable ».
Un candidat plus discret mais non moins résolu est Edouard Philippe, ancien premier ministre de M. Macron. Comme M. Darmanin, il est issu du parti conservateur des Républicains, et est en tête des sondages en tant qu’homme politique français le plus populaire, avec 55 % d’approbation. Cela représente 13 points d’avance sur Mme Le Pen en neuvième position et 18 points d’avance sur M. Darmanin en dix-huitième position, selon l’Ifop, un institut de sondage. M. Macron se trouve à la 23e place, avec 32 %. Un nouveau sondage publié le 3 septembre suggère que M. Philippe est le candidat le mieux placé pour séduire à la fois le centre et la droite conservatrice en 2027, loin devant M. Darmanin. Cela vaut également pour les électeurs de l’opposition de droite.
Comme le font les hommes politiques français, M. Philippe marquera la rentrée en publiant, le 13 septembre, un nouveau livre décrivant sa vision et ses liens avec la France. Après avoir quitté le gouvernement en 2020, il a fondé son propre mouvement politique, Horizons, qui siège au parlement au sein de la coalition minoritaire de M. Macron. M. Philippe est également maire du Havre, une ville portuaire de Normandie. Cela lui donne une position commode pour paraître semi-éloigné des manœuvres politiques quotidiennes à Paris. Ceux qui ont vu M. Philippe récemment disent qu’il est en effet fermement concentré sur la préparation de 2027.
Un troisième candidat potentiel est Bruno Le Maire, le ministre des finances, un autre ancien républicain et le deuxième homme politique le plus populaire, avec une cote de 46 %. Plus discret en public sur ses aspirations personnelles, et plus souvent aperçu dans des salles de réunion de sommets internationaux sans air, il a été vu cet été en manches de chemise saluant avec enthousiasme des vacanciers sur un col alpin. Au début de l’année, ce technocrate en costume d’apparat a suscité l’inquiétude en publiant un roman osé. M. Le Maire a été ministre des finances pendant la plus longue période ininterrompue de la Cinquième République, créée en 1958. Mais il se peut qu’à un moment donné, il ressente le besoin de passer à autre chose s’il veut élargir son champ d’action et travailler sur ses propres chances.
D’autres aussi seraient en train de réfléchir, comme Jean Castex, un autre ex-premier ministre, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, ou encore Gabriel Attal, 34 ans, ministre de l’Education nationale. Chacun d’entre eux devra trouver un équilibre délicat entre le désir de rester fidèle à M. Macron, à qui ils doivent leur poste, et la nécessité politique de se distancer du président impopulaire, qui a été confronté à des grèves et à des émeutes cette année. Même s’il avait la possibilité de désigner un héritier, cela pourrait ne pas lui être favorable.
Quatre ans, c’est long, et M. Macron lui-même était un conseiller peu connu dans les coulisses bien avant sa première candidature à l’élection présidentielle.
Il n’existe pas non plus de processus organisé au sein de son parti, Renaissance (anciennement En Marche), pour choisir un candidat.De toute façon, le parti manque de racines et, dans sa forme actuelle, il ne survivra peut-être même pas au président.
Pourtant, la menace d’une présidence Le Pen confère une grande urgence à la question.La dirigeante de la droite dure attend tranquillement son heure, en s’asseyant poliment sur les bancs parlementaires de l’opposition et en essayant d’avoir l’air d’une présidente en devenir. M. Macron n’aime peut-être pas penser à la planification de sa succession. Mais l’héritage le plus douloureux pour un dirigeant qui a beaucoup fait pour moderniser la France serait que sa présidence de deux ans soit suivie par son élection, tout comme celle de Barack Obama l’a été par celle de Donald Trump.