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Libye, Syrie : un projet géopolitique qui ne se comprend que sur la longue durée...

Leon Camus

lundi 25 juillet 2011

Ou le calendrier des guerres programmées… Pourquoi la France, cette malheureuse est-elle embarquée militairement en Libye et diplomatiquement en Syrie dans d’infernales galères prétendument au service des droits humains ? Car est-ce bien là le fond de la question ? Un doute raisonnable est en effet permis en ce domaine.

Chacun peut constater avec quelle fougue Paris enfourche ces temps-ci le blanc destrier des indignations vertueuses contre des hommes avec lesquels Paris avait affiché hier d’éclatantes réconciliations. D’abord avec Bachar el Assad, le maudit accusé d’avoir commandité le meurtre de Rafic Hariri en 2005, cet ex Premier ministre libanais et grand ami de l’ex président Chirac. Les accusations ayant fait long feu, certains témoins ayant été convaincus de mensonges et d’affabulations, il a bien fallu se résoudre à désigner un autre coupable politiquement incorrect, en l’occurrence le Hezbollah, le « Parti de Dieu »… accessoirement acteur fondamental de la vie publique libanaise.

Bachar le paria revenu temporairement en grâce, assiste au défilé du 14 juillet 2008, en compagnie il est vrai d’une cinquantaine de chefs d’État invités pour une grand messe euroméditerranéenne. Le 28 mars précédent Bachar el-Assad recevait à Damas le libyen Mouammar Kadhafi qui de son côté avait décliné l’invitation du président Sarkozy, lui ayant opposé une verte fin de non-recevoir au motif que l’« idée » même d’une Union pour la Méditerranée n’était à ses yeux qu’un « appât » et pour tout dire « une sorte d’humiliation » : « Nous ne sommes ni affamés, ni des chiens pour qu’ils nous jettent des os » ! Ce mauvais état d’esprit n’était peut-être pas si sot que cela comme l’avenir le prouvera ? Pourtant à la mi décembre 2007, le bouillant Colonel allait être reçu à Paris, mais en invité d’honneur cette fois et en grande pompe… jusqu’à être autorisé de planter sa tente bédouine sur la pelouse de l’Hôtel Marigny afin que le Guide de la Jamahiriya libyenne puisse y recevoir ses invités « conformément à la tradition du désert, qu’il respecte à la lettre ». Ah mais ! Paris valait bien une messe et le premier client miraculeux décidé à acquérir une poignée de Rafales (invendables) valait bien d’avaler quelques couleuvres voire des anacondas ! Oubliés les infirmières bulgares et tant d’autres sujets mineurs de fâcheries (le malheureux vol d’UTA ?)...

Autre temps, autres mœurs, les deux hommes hier salués pour leur retour d’enfants prodigues dans le giron démocratique de la Communauté des croyants dans les insignes vertus du libre Marché - à l’instar du libre renard dans le libre poulailler – sont aujourd’hui les bêtes noires de la communauté internationale réduite aux acquêts : É-U + UE (France, Royaume-Uni, l’Italie en proie à la vindicte de ses Marchands de Venise, ses Shylock intimes, ayant fait piteuse défection) + Israël, 28e États de l’UE et 51e état de l’Union américaine... Une belle brochette parlant haut et fort au nom de la planète entière. À ceci prêt que si Russie et Chine se sont, volens nolens, laissées forcer la main en votant la Résolution 1973 relative à la protection des civils dans la Libye en guerre civile, chacun sait que réitérer la même manœuvre – et nul ne s’y risque – au détriment de la Syrie se verrait immédiatement sanctionné au Conseil de Sécurité par un veto catégorique des deux membres permanents précités (sur cinq : É-U, France, GB).

En Libye l’échec de l’Otan devient chaque jour de plus en plus patent, les arsenaux sont vides et il ne suffit plus (en dépit d’une guerre des communiqués triomphalistes), aux « oppositions » (les tribus et le lumpenprolétariat islamiste de la Cyrénaïque en rébellion contre à l’État central et la Tripolitaine) de recevoir in situ les exhortations enflammées du triste sire BH Lévy, lequel tisse l’étoffe de sa médiocre gloire parisianiste avec la vie des autres ! Mais faire couler des flots de sang dans des guerres atroces (Yougoslavie, Irak, Soudan…) n’a jamais vraiment perturbé nos petits marquis si joliment autoproclamés « nouveaux philosophes » ! En vérité mieux vaudrait les nommer brandons de discorde à l’instar du mauvais dieu Loki, des gens dont la science infuse se réduit à manier le verbe comme un fouet pour faire se battre les montagnes… Revenons aux dissidents libyens armés et désormais encadrés par les forces spéciales de l’Otan (R-U et France rappelons-le exclusivement), mais qui marquent désespérément le pas, et ce malgré les roulements de tambours de la grande presse qui ne manque pas une occasion d’exalter leur bravoure et de stigmatiser les exactions réelles et supposées des forces loyalistes.

Ne parlons pas plus du décompte macabre des morts dans les manifestations qui se succèdent en Syrie comme vagues sur la grève… Or nous avons connu cette même presse plus fine bouche lorsque l’aviation de Tsahal bombardait en 2006 les infrastructures et la population libanaises, lorsque les israéliens en guise d’adieu disséminèrent des centaines de milliers de micro mines au moyen de bombes à fragmentation sur le Sud Liban ou encore lorsqu’ils allumèrent délibérément (assortissant leur vilenie de sempiternelles excuses a posteriori) un poste d’observation des Nations Unies liquidant d’un seul coup au but cinq casques bleus… Une presse résolument modérée lorsqu’il s’est agi de faire le (lourd) bilan de l’Opération Plomb durci en janvier 2009, treize cents morts civils passées par pertes et profits…

Bref, une presse partiale et amnésique impuissante à chercher les vraies causes – pas forcément cachées d’ailleurs – des malheurs frappant les Nations souveraines méritant (« on » le dit) d’être classées parmi les États voyous et à ce titre, traitées comme tels. Parce qu’enfin les crises ne tombent pas du ciel sans crier gare, elles s’annoncent de longues années à l’avance, elles naissent, grandissent, prennent corps sous nos yeux, encore faut-il savoir et vouloir les voir : la crise financière de septembre 2008 était annoncée à cor et à cris deux ans auparavant… or personne, surtout pas les politiques, n’avaient tenu compte des signaux d’alarme ! Et à ce propos, si l’on se donne la peine de remonter le temps sur une courte décennie, l’on commencera à entendre d’une tout autre oreille les commentaires vengeurs annonçant dans nos lucarnes domestiques la fin imminente des deux dictateurs, autrement dit d’hommes qui ne se sont pas totalement pliés, et assez vite, aux impérieux diktats de la Communauté internationale (… réduite aux acquêts).

En 2002, le 6 mai, John Bolton Sous-Secrétaire d’État de GW Bush donnait une conférence à l’Heritage Foundation [1] dans laquelle Cuba, la Syrie et la Libye venaient rejoindre l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord sur la Liste noire de l’Axe du Mal. Il y dénonçait notamment la Syrie pour sa possession « de réserves de gaz neurotoxique sarin [2]… laquelle poursuivrait le développement de l’agent VX, plus dangereux encore et plus puissant ». Simultanément, le Secrétaire à la Défense, M. Rumsfeld rappelait que la Syrie figurait toujours sur la Liste noire des États soutenant le terrorisme international (nous sommes un an et demi après le 11 sept.) et qui « s’est associée au [mouvement extrémiste] Hezbollah en acheminant des terroristes, du matériel terroriste, des équipements et des explosifs à travers la vallée de la Bekaa ». Un an et une guerre plus tard, le commentateur de Radio France Internationale Elio Comarin, le 14 avril 2003, plus lucide que la moyenne, n’hésitait pas à en déduire que « ces prises de positions semblent indiquer que Washington a [déjà] choisi sa prochaine cible ».

Le 10 mai 2002, le même Bolton, un homme prévoyant envoyait une lettre au Secrétariat général des Nations Unies pour annuler la décision du Président Clinton de participer à la création d’une Cour Pénale Internationale. L’Amérique n’entendait en effet, en vue des guerres imminentes (un an après fer et feu s’abattront sur l’Irak), exposer, ne serait-ce que d’un poil, ses militaires à une justice qui ne doit s’appliquer qu’aux vaincus… et non à des soldats auxquels la bride serait bientôt lâchée avec le beau résultat que l’on sait : six cent mille, un million de morts en Irak pour 9 ans d’occupation ?!

En fait, le principe d’une attaque simultanée de la Libye et de la Syrie avait été adopté à Washington quelques jours seulement après les attentats du 11 Septembre. Le général Wesley Clark ancien commandant en chef de l’Otan avait, le 2 mars 2007 à l’occasion d’un entretien télévisé [3], en témoignait sans aucune ambiguïté et livrait le palmarès gagnant des sept États devant être détruits « dans les cinq ans » par les États-Unis d’Amérique : Irak, Syrie, Liban, Lybie, la somalie, Soudan et in fine, l’Iran. Alors aujourd’hui qu’en est-il ? L’Irak, c’est fait ; le Soudan est en bonne voie de décomposition ; la Libye, c’est en cours ; quant aux autres ils sont plus que jamais dans le collimateur d’Israël et des É-U, et pour tout dire, en ce qui concerne la Syrie, le ton monte graduellement… Le Liban et l’Iran ne perdent, eux, certainement rien pour attendre.

Maintenant en ce qui concerne Paris, contrairement à ce que le lecteur pourrait imaginer le tournant n’a pas été pris en 2007, mais depuis belle lurette, mais ceci est une autre histoire…

Notes

[1John R. Bolton, Under Secretary for Arms Control and International Security, « Beyond the Axis of Evil : Additional Threats from Weapons of Mass Destruction ». Remarks to the Heritage Foundation, Washington, DC, May 6, 2002. http://www.mtholyoke.edu/acad/intre...

[2Gaz utilisé avec un succès très médiocre par la secte Aum dans le métro de Tokyo en mars 1995, le Sarin étant ainsi présent de facto comme cauchemar potentiel dans tous les inconscients des classes politiques occidentales.

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