Un dévoiement inouï de la légalité internationale
On a vu depuis comment des intentions louables à l’origine se trouvent vite dévoyées par d’habiles récupérateurs… comme chacun sait l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions ! Sur la base des travaux d’une Commission indépendante, en 2005 l’Assemblée générale de l’ONU insère dans sa déclaration finale la notion de « devoir » incombant en dernier ressort à la Communauté internationale en vue de protéger les populations victimes de leurs propres dirigeants ! C’est sur cette base qu’est votée le 17 mars 2011 au Conseil de Sécurité la résolution 1973 relative à la Libye, laquelle autorise « toutes mesures nécessaires… sauf occupation étrangère d’aucune sorte pour la protection des populations et des zones civiles menacées d’attaque ».
Un premier détournement du texte intervient deux jours plus tard avec la déclaration du Sommet de Paris : « Nous assurons le peuple libyen de notre détermination à être à ses côtés pour l’aider à réaliser ses aspirations et à bâtir son avenir et ses institutions dans un cadre démocratique », et M. Sarkozy d’ajouter « nous plaçons l’intervention imminente sous les auspices de la conscience universelle… Nous intervenons pour permettre au peuple libyen de choisir lui-même son destin ». Nous sommes déjà ici très au-delà de ce pourquoi le Conseil de Sécurité avait donné son feu vert, et l’on serait tenté de demander ici au président de tous les Hexagonaux de quoi il se mêle au lieu de sortir le pays de la crise ?
Une France se constitue d’entrée de jeu partie prenante, partisane dans un conflit qui n’est pas le sien. La présidence s’engage dans le camp du Loup contre l’Agneau du fabuliste. Agneau ne signifiant pas que M. Kadhafi soit un saint innocent - la question n’est pas là, en l’occurrence le droit comme modus vivendi entre les nations ne se réduit pas la morale - mais symbolise l’arbitraire de la relation du fort au faible. Les loups ne se croquent pas entre eux préférant des agneaux aux pattes malagiles… l’Afghanistan militairement et démographiquement ne représentait rien ; quant à l’Irak elle était à genoux après treize années de blocus et venait de détruire ses derniers missiles à coutes portées parce que leur rayon d’action était de 180 Km au lieu des 150 autorisés par les Résolutions du CS [3]. Il est en effet plus facile de détruire un ennemi désarmé et mal en point que de s’attaquer à un adversaire en parfait ordre de bataille… ce pourquoi l’Otan na pas mené d’offensive terrestre en Serbie se contentant de réduire à néant depuis les airs le potentiel économique du pays.
Le 21 mars à Bruxelles le Ministre Juppé – aficionado des déclarations contradictoires tant il est convaincu que l’opinion, abonnée permanente à TF1, oublie d’un jour à l’autre les propos et la présentation des événements de la veille - fait quelque peu marche arrière, histoire d’embobiner les sceptiques, les masses devant toujours être mises au pied du mur : « Cette résolution nous demande de protéger les populations civiles contre les exactions du régime Kadhafi. C’est ce que nous faisons. Elle ne nous demande pas de mettre en place un autre régime ».
Le 28 mars les duettistes Sarkozy et Cameron enchaînent : « Il n’y a de solution durable que politique… Ainsi que le souligne la résolution de la Ligue arabe, le régime actuel a perdu toute légitimité. Kadhafi doit donc partir immédiatement ». Les forces aériennes de l’Otan commencent alors à faire pencher la balance du bon côté, celui des amis de M. Lévy ci-devant missi dominici du staff élyséen ! L’Otan, hors caméras, fait intervenir drones de repérage et des hélicoptères de combat et dépêche sur les divers théâtres d’opération des conseillers, autrement dit des éléments des forces spéciales, elle livre armes et équipements. Autant d’actions exorbitantes d’une légalité internationale a minima. Des dérives qui apparaitront en plein jour lorsque M. Nagy-Bocsa, posant à Tripoli au seigneur de guerre, évoquera un plan d’opération fondé essentiellement sur une étroite coordination entre insurgés et missions aériennes de l’Otan.
Le 20 août, le Conseil National de Transition, vitrine politique de la rébellion partie de Benghazi, déclare que l’offensive « Sirène » qui allait aboutir à la prise de Tripoli, se déroule en coordination avec « l’Otan qui y est largement impliquée » [4]. Qui dit mieux ? La rébellion annonce alors la capture de Saïf al-Islam, fils chéri et héritier putatif du colonel Kadhafi, lequel fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. Une arrestation ainsi confirmée deux jours plus tard par le Procureur de la Cour, Luis Moreno-Ocampo. L’information se révélera être du pipo et une remarquable ruse destinée à démoraliser et démobiliser les combattants loyalistes de la capitale. Reste que les médias ont relayé avec gourmandise une information a priori suspecte de bidonnage !
Timisoara bis, les ossuaires de dromadaires transmutés en charniers kadhafistes
Car tout dans cette guerre est plus ou moins tissé de tromperie, plus ou moins grossière, comme le rend évident l’interminable préparation de l’assaut contre Syrte où nombre de civils se trouvent aujourd’hui piégé… une sordide répétition de la prise, en Irak, de Falloujah par les troupes américaines dans la nuit du 6 au 7 novembre 2004 à grand renfort de bombes au phosphore. Une bataille qui se prolonge, démontrant par là même que les choses sont encore loin d’être terminées a contrario de ce qu’affirment en chœur l’Otan et le CNT. Là encore les civils sont en première ligne, c’est à dire dans la ligne de mire d’une coalition constituée en principe pour leur porter secours… mais la faute en revient exclusivement aux assiégés qui « les prennent en otage ». Dixit la presse indépendante !
Des médias indépendants et en mal de scoop, à tel point qu’ils nous ont sorti sans rire une resucée du charnier de Timisoara. Mais à la place des corps rafistolés extraits d’une morgue, les macchabées étaient cet fois-ci des dromadaires dont les os déterrés blanchissent maintenant sous le soleil de Satan [5]. Mais pourquoi se fatiguer lorsque « nos » correspondants de guerre - le plus souvent assez ignorants de tout et davantage préoccupés de raconter leurs « coups » aux bars d’hôtel que de suer sang et eau sur le terrain – peuvent se fournir directement à bonne source : à savoir auprès des Services de communication de l’Alliance atlantique qui leur fournit reportages, images, vidéos clef en main… du préfabriqué-prémonté que les journalistes se contentent d’adapter suivant leurs besoins. Du prédigéré en somme qui explique le comique involontaire d’informations régulièrement démenties, évidemment falsifiées, presque burlesques à force d’être controuvées [6]. Mais finalement ça passe dans l’épaisseur du trait, car le chaland (le consommateur d’info lambda) n’a pas de tribune pour râler !
Ainsi donc à l’Otan, trucages et montages sont les deux mamelles de la politique de communication… impossible cependant de tout verrouiller et il arrive que les chefs eux-mêmes s’emmêlent les pinceaux et mangent le morceau. Au moins aux yeux et à l’oreilles de ceux dont l’esprit chagrin et critique reste en éveil. Un cas parmi cent autres : l’Otan a officiellement disparu des écrans radars télévisuels. On ne parle plus en effet ces temps-ci dans les lucarnes que des insurgés partis à la conquête des dernières « poches » de résistance. Pourtant l’Otan le moins discrètement du monde continue à prodiguer son appui aérien et ses bombes au profit exclusif des forces rebelles adoubés par la l’UE et le reste du monde [7] !
Quand l’Otan alimente le Djihad international
Dans ce contexte euphorique, le général Vincent Tesnière, numéro deux de l’état-major multinational de l’Otan, profitant d’un point de presse en Italie, à Poggio Renatico, n’a pas manqué d’insister – avec une belle inconscience - sur le rôle déterminant des drones armés dans la phase actuelle du conflit. Matériels réinjectés récemment par les Américain, nul n’ignorant que les drones tueurs sont les outils d’excellence pour la protection de civils pris au piège d’une ville encerclée ! Or le général Tesnière - affirmant avec un cynisme consommé et assez peu de jugeote - qu’il n’y aura pas – oh grand jamais ! - de « désignation des cibles depuis le sol car nous n’avons pas de coordination avec les forces anti-Kadhafi… et que nous ne sommes pas au service des rebelles ». Bonjour le carnage. Alors que ce haut gradé nous dise sur quoi il tire et comment il identifie ses objectifs sachant qu’il fallait au début du conflit plusieurs jours de repérage et qu’aujourd’hui une heure à peine suffit ?
Mais ce qu’oublie de dire notre brave ganache, c’est que l’Otan a égaré une dizaine de millier de missiles sol-air Sam-7 sortis des arsenaux de la Jamahiriya. Un fait consternant que vient de confirmer un autre parmi les chefs d’état-major de l’Otan, l’amiral Giampaolo Di Paola, dont les propos ont été repris le 2 octobre par le site de Der Spiegel. Cocassement cela ressemble à du déjà vu, comme au temps où les entrepôts de l’Armée Rouge étaient pillés, les armes et les matériels revendus pour alimenter les guerres fratricides du Continent africain [8].
2’40 chrono pour le discours de Bengazi… l’apothéose de M. Sarkozy, un triomphe à sa mesure !
La France a donc participé à une campagne militaire tout en trompe l’œil dont le rideau n’est pas encore tombé suer la scène finale. Un épisode peu reluisant où la France s’est mise au diapason des anglo-américains lesquels ont coutume de faire la guerre du haut des airs, et pour le reste advienne que pourra ! Une guerre aérienne qui selon les dernières estimations, aurait causé la mort d’environ 50.000 personnes… cela pour vraisemblablement installer aux portes de l’Europe une base avancée de l’Islam radical !
50 000 cadavres et 2 minutes 40 de vaine gloriole - traduction comprise - à Benghazi pour M. Nagy-Bocsa où il a prononcé un indigent laïus devant une foule clairsemée et des caméra filmant en plan serré pour donner l’illusion de la multitude. N’est pas de Gaulle qui veut et Benghazi n’aura été ni les 500 000 Québécois du 24 juil. 1967 à Montréal, ni Phnom Penh le 1er sept. 1966 devant deux cent mille asiatiques. [9]. Désireux d’escamoter sa calamiteuse politique intérieure, M. Sarkozy prononçait le 15 sept. dernier un discours – peut-on d’ailleurs le qualifier de discours ? - sur la place de la Liberté à Benghazi, ville d’où partit la rébellion anti-kadhafiste.
Discours dont nous vous livrons la version intégrale, elle vaut son pesant de haricots, elle donne la mesure de la France actuelle et celle de ses élites : « Jeunes de Benghazi, jeunes de Libye, jeunes Arabes, la France veut vous dire son amitié et son soutien. Vous avez voulu, vous avez voulu la paix, vous avez voulu la liberté, vous voulez le progrès économique. La France, la Grande-Bretagne, l’Europe seront toujours aux côtés du peuple libyen. Mais, amis de Benghazi, nous vous demandons une chose, nous croyons dans la Libye unie, pas dans la Libye divisée. Peuple de Libye, vous avez démontré votre courage. Aujourd’hui, vous devez démontrer un nouveau courage, celui du pardon et celui de la réconciliation. Vive Benghazi, vive la Libye, vive l’amitié entre la France et la Libye »
Deux minutes 40 pour 50 000 morts, un pays dévasté, le Maghreb en cours de déstabilisation, des flots de jeunes migrants aux visages hâves, aux regards brûlants, toujours plus nombreux dans nos rues et l’Europe qui s’enfonce dans la crise… il ne nous reste plus qu’à reconduire M. Sarkozy à la tête de l’État, car assurément, il aura maintenant du mal à faire pire !
Léon Camus - 3 octobre 2011