Au demeurant, l’homme à abattre s’appelle désormais Saïf al-Islam, fils aîné du Guide, dauphin et héritier des secrets de son père… Un spectre de chair et d’os destiné n’en doutons pas, à hanter Ganelon McBeth de Nagy Bocsa. Tout n’est donc pas achevé avec la « Libération » de la Libye et tout n’est pas encore réglé avec le martyr du Raïs tombé en combattant comme il l’avait souhaité et annoncé. S’ouvre en effet, dès aujourd’hui, devant le pays fraîchement libéré d’intéressantes perspectives de luttes intestines intertribales… Car ce n’est pas demain la veille que la libre Libye retrouvera un homme en mesure de fédérer – fût-ce d’une main de fer - la mosaïque ethnique qui le compose.
L’Irak est plus lointain, la Libye nous fait quasiment face. Soyons donc reconnaissant aux factotons de la Grande Amérique, les Blairs, Sarkozy et Berlusconi, dont la brillante initiative aura abouti en fin de compte, à installer à notre porte des Émirats islamiques – bientôt rebaptisés, soyons en sûr, pour la circonstance, sur le modèle turc du Parti pour la Justice et le Développement – dont le prosélytisme militant, voire conquérant, nous réserve certainement d’agréables surprises.
Révolution… Mort où est ta victoire ?
Révolution, nom pompeux donné à une guerre civile très ordinaire et bien sanieuse avec les 150 000 morts et les 100 000 blessés que revendique le Conseil national de transition [2]... oubliant de dire que ce ne sont pas les forces armées du Raïs défunt qui en sont la cause mais la furie des assaillants au sol appuyé per les forces aériennes d’une coalition tripartie, É-U/R-U/République française, hexagonale et sarkozienne. Alors quand le Figaro du 21 octobre veut nous faire croire que la guerre n’aura creusé nos déficits publics que de 300 millions d’€, l’on a beaucoup de mal à ne pas sourire face à une telle éhontée menterie … car il faudrait - par exemple - adjoindre à ce modeste bilan les coûts exorbitants liés au « dégâts collatéraux »… ainsi les1500 blessés libyens pris en charge gratis pro deo par les hôpitaux d’Île de France. C’est ce que ne dit pas le Figaro : la guerre n’émarge pas seulement sur la ligné budgétaire des dépenses militaires, mais sur bien d’autres chapitres, celui de la Santé entre autres.
Il n’y a donc eu finalement à travers le monde– outre les ineffables duettistes Cameron-Sarkozy - que l’inénarrable Obama pour se féliciter de façon particulièrement inconséquente du lynchage de Kadhafi sans se rendre compte que les trois quart de l’Afrique pleure un bienfaiteur grand pourvoyeur [3] en hôpitaux, dispensaires, écoles, bourses étudiantes, infrastructures… une réalité qui cadre mal avec la légende noire tissée autour du fantasque colonel, vraisemblablement ethniquement juif par sa grand-mère [4] et né – peut-être - des œuvres d’un Corse naufragé du désert [5]
Un enfant perdu renié par Eretz Israël, terre de promission, qui semble avoir voulu avancer ses pions aussi vite que les rebelles progressaient à travers les ruines – fumantes – de villes naguère prospères. En mai dernier c’est le quotidien israélien Yediot Aharonot qui mange le morceau en publiant les termes d’un accord vraisemblablement conclu entre le Conseil national de transition et Tel-Aviv en vue d’établir en Libye une base militaire israélienne aux Monts verts, à proximité de la frontière algérienne. En contrepartie Israël s’engageait à obtenir la multiplication de frappes aériennes de l’Otan contre les forces loyalistes et l’adhésion renforcée des pays arabes à la cause des rebelles. C’est sans commentaire.
Le triomphe de Babar Sarkozy… une Bérézina diplomatique
Maintenant il va falloir payer la facture diplomatique de la Libération libyenne close par l’assassinat en forme d’apothéose du Guide. C’est une Libye riche hier encore – insistons : une sorte d’austère pétromonarchie laïcisante épanouie sur la rive Sud de la Méditerranée - et par voie de conséquence objet de convoitise, qui vient de tomber, avec armes et bagages, sous l’empire de la Charia [6]. Au Conseil de Sécurité, Russie, Chine, Brésil et Inde qui ont laissé faire et laissé passer la Résolution 1973, ont été en somme ridiculisés. On ne les y reprendra pas sitôt. Pire, la trahison du mandat onusien par les puissances directrices de l’Otan et le sabotage avéré et délibéré des négociations conduites au printemps dernier par des pays tiers (Afrique du Sud entre autres) avec la Jamahiriya libyenne (comme ce fut le cas en 1990 avec l’Irak et en 1999 avec la Yougoslavie), ont définitivement ruiné le principe de « protection des population » adopté en 2005 par les Nations unies. À l’avenir des massacres de civils pourront être perpétrés à travers le monde sans que la Communauté internationale se croie obligée de bouger le petit doigt.
Or la guerre est assimilable à une réaction en chaîne. L’on sait quand et comment elle commence, mais nul ne maîtrise les événements qui en découlent à plus ou moins court ou long terme. Comment la Libye va-t-elle se reconstruire ? Retrouver un régime stable alors que les rivalités tribales ancestrales peuvent se donner à présent libre court dans un territoire surarmé travaillé par des mouvements salafistes ? Le triomphe de M. Sarkozy risque à ce titre d’être de courte durée. Mais ce sera à l’arrivée à la France et à l’Europe d’honorer une note qui s’annonce salée. Et ce n’est pas le pétrole libyen qui nous sauvera quand il faudra partager le gâteau avec toutes les puissances, déclinantes ou émergentes, assoiffées d’or noir et prêtes à en découdre pour s’en octroyer le monopole.
Léon Camus - 25 octobre 2011