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Eric Lombard, banquier de l’Etat profond, prend les commandes de Berçy

mardi 24 décembre 2024

Macron en a toujours rêvé, privatiser la sphère publique comme la Caisse des Dépôts et consignations, garantie de l’Etat pour les paiements.

Eric Lombard est un banquier diplômé d’HEC, il a travaillé à la BNP pour devenir conseiller auprès des ministres de l’économie et des finances de 1992 à 1993 sous Pierre Bérégovoy et Michel Sapin.
Il est retourné dans le privé à la BNP Paribas pour le secteur fusion acquisition et l’assureur Generali et a fini à la Caisse des Dépôts et consignations.

Un pantouflage et un rétro-pantouflage pour finir comme ministre de l’économie est un bon parcours pour un membre de l’Etat Profond français.

Selon Mediapart, le numéro deux de la Caisse des Dépôts et consignations , Olivier Sichel a démissionné de la fonction publique et a aussitôt été réembauché avec un contrat de droit privé. Mediapart a obtenu le fameux contrat qui offre à son bénéficiaire des indemnités de départ sulfureuses, proches de celles en vigueur dans les groupes du CAC 40.

C’est un retour d’ascenseur bien connu du métier pour récompenser une action qui a profité à des acteurs qui parasitent notre administration comme ce duo de pieds nickelés.

Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des Dépôts et consignations percevait une rémunération de l’ordre de 450 000 euros annuels auxquels il n’aurait pas droit s’il était resté sous statut public comme ses prédécesseurs.

Macron ne s’est pas opposé à cette privatisation des dirigeants de la haute sphère public française.
Olivier Sichel bénéficie d’un « golden parachute » (indemnité forfaitaire due en cas de licenciement hors faute grave ou lourde) comme les dirigeants des boîtes du CAC40, à hauteur d’un an de salaire !
La Caisse des Dépots et Consignation s’est vautrée dans la corruption généralisée et la privatisation.
Mais comme tout n’est que corruption dans ce pays, revenons sur le scandale du moteur de recherche Qwant.
Emmanuel Macron et la Caisse des dépôts ont soutenu le moteur de recherche français Qwant, qui devait concurrencer Google. Un rapport de la direction interministérielle du numérique a informé que ce moteur de recherche à la française fonctionnait grâce à Microsoft et percevait 20 millions d’euros de la part de l’Etat.

Révélations : Qwant, boulet d’État

Emmanuel Macron et la Caisse des dépôts continuent de soutenir le moteur de recherche prétendument français, censé concurrencer Google, alors qu’il fonctionne grâce à l’américain Microsoft et qu’il est mis en cause dans un rapport de la direction interministérielle du numérique. Subvention de plus de 20 millions d’euros, obligation de l’installer dans chaque administration, actionnaires sulfureux et ramifications troubles… Enquête au cœur de la start-up nation.

Ce devait être le fleuron de la French Tech, l’une des promesses les plus ambitieuses de la start-up nation : Qwant, le moteur de recherche français dédié au respect de la vie privée de ses utilisateurs, qui promettait de mener le combat contre les géants de la Silicon Valley au nom de la « souveraineté » technologique.

Fondé en 2011 par les hommes d’affaires Jean-Manuel Rozan, Eric Léandri et Patrick Constant, souvent présenté par la presse comme le « Google français », Qwant est devenu en janvier dernier le moteur de recherche officiel de l’administration française, qui l’installera par défaut sur tous ses ordinateurs. Au même moment, la Caisse des Dépôts et Consignations (bras financier de l’Etat) a décidé de réinvestir dans la start-up, faisant suite à plus de vingt millions d’euros dépensés ces dernières années.

Sur le papier, cela pourrait passer pour une success story. Mais en réalité, Qwant ne marche pas, ou mal. Ses résultats sont tirés principalement du moteur de recherche Bing, de Microsoft ; ils sont souvent datés, peu fiables, peu pertinents, limités en nombre. C’est le constat tiré par la Direction interministérielle du numérique (DINUM) dans une note confidentielle datée du mois d’août 2019, que Le Média s’est procurée. Certains éléments de cette note avaient déjà été révélés dans Acteurs publics en janvier 2020, mais elle n’avait pas été publiée dans son intégralité, comme s’y était pourtant engagé le secrétaire d’État au numérique, Cédric O.

La note a été rédigée par des agents de la direction interministérielle du numérique (alors Dinsic, aujourd’hui DINUM), assistés de confrères de l’ANSSI (l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), du ministère des Armées et de l’École normale supérieure. Tous ont été chargés de réaliser un audit d’une journée chez Qwant, en vue de son installation sur les ordinateurs de l’administration publique. Malgré leur prudence initiale, les auditeurs pointent du doigt des failles importantes dans le service offert par la start-up, conseillant ainsi de conditionner son utilisation dans l’administration à une série de changements dans le cœur du moteur de recherche. Un avis manifestement ignoré par le gouvernement.

Suite à un second audit réalisé en septembre 2019 en l’espace de quelques heures, les inspecteurs de la DINUM recommandent finalement dans une note remaniée « la signature de la note généralisant l’installation par défaut de Qwant au sein de l’administration » car, assurent-ils alors, « Qwant [se trouve] en cours de migration de son moteur d’une première version limitée techniquement vers une nouvelle version plus aboutie ». Mais en mai 2020, cette seconde version « à l’état de prototype » au moment de l’audit n’était toujours pas mise en service.

Concernant la première version de Qwant (la seule disponible), la DINUM est catégorique : le moteur de recherche « souffre de plusieurs limitations : - une difficulté à passer à l’échelle, notamment en termes de nombre de pages web traitées ; - une difficulté à gérer un rafraîchissement fréquent des pages web déjà visitées pour en capturer les modifications ; - une impossibilité d’utiliser l’index en temps réel pour les recherches des utilisateurs ». Un motif de satisfaction toutefois : les auditeurs semblent reconnaître à Qwant sa capacité à préserver la vie privée des utilisateurs - contrairement à Google - mais rappellent que « d’autres moteurs de recherche pourraient revendiquer la satisfaction du premier critère de respect de la vie privée ». Et eux ne bénéficient pas de fonds publics…

La note s’interroge ensuite sur « l’utilisation de Bing, [le moteur de recherche de Microsoft], en sous-traitance de Qwant ». Le cœur d’un moteur de recherche, c’est son « index ». Plus un index est vaste, plus un moteur de recherche est performant. L’index de Google est par exemple bien plus grand que celui de ses concurrents, ce qui explique que l’entreprise américaine détienne à elle seule 91% du marché (en 2019), contre 2,55% pour Bing, deuxième dans le classement.

De fait, Qwant s’appuie principalement sur la technologie Bing de Microsoft pour son propre moteur de recherche. L’opacité de la relation exacte entre Bing et Qwant, et plus largement de la performance de l’index de Qwant exaspèrent les inspecteurs de la DINUM : « La situation concernant l’articulation de la capacité de recherche Web propre de Qwant avec Bing est peu claire », écrivent-ils, d’autant plus que « l’équipe constate que Qwant ne sait pas répondre précisément aux questions concernant enchaînement exact des traitements et ne sait pas quantifier son niveau d’utilisation réelle de Bing ». Les auditeurs ne peuvent pas « exclure un scénario dans lequel l’essentiel des réponses viendrait in fine de Bing ».

Entre 63% et 75% de dépendance à Bing...
Pour Qwant, qui proclame depuis longtemps que son moteur est « souverain », ces constats sonnent comme un désaveu. En annexe de la note, l’analyse technique des auditeurs se fait à la fois plus sévère et précise. Il y est relevé « des incohérences dans les durées de maintien en cache des différentes données, qui pourrait entraîner une situation dans laquelle les résultats de recherche sont composés quasi-exclusivement de résultats Bing depuis plusieurs mois ». Et d’y décrire un « fonctionnement par lots » qui souffre « de certaines limitations » et « qui [rend] par exemple difficile un rafraîchissement très régulier de certaines pages Web ».

En clair, la DINUM reproche à Qwant l’ambiguïté de fond sur la manière et l’ampleur de l’utilisation de Bing, mais également le fait que les résultats proposés par Qwant sont souvent datés - un vrai problème pour un moteur de recherche qui a l’ambition d’être utilisé par l’ensemble des fonctionnaires de l’État.

Les inspecteurs recommandent ainsi « de conditionner la signature de la note instaurant la généralisation de l’installation par défaut de Qwant à trois conditions : 1. une vérification dans les locaux de Qwant des affirmations de remise en place de l’indexeur et de la mesure de 60% de dépendance à Bing, ainsi qu’une vérification de la méthode de calcul de cette dépendance ; 2. la transmission quotidienne à la DINSIC du taux de dépendance à Bing ; 3. l’acceptation d’une clause de revoyure lors de la mise en place de la version 2 du moteur aux environs de janvier 2020 », accompagnée par « un nouvel audit » ».

Janvier 2020, c’est le moment qu’a choisi le secrétaire d’État Cédric O pour annoncer la généralisation de Qwant sur les postes informatiques de l’administration publique… alors que l’entreprise n’a toujours pas proposé une nouvelle version de son produit (pourtant nécessaire) aux internautes. Contacté par Le Média, le cabinet de Cédric O n’a pas donné suite à nos demandes d’explication, et reste étrangement silencieux.

Avant cette annonce ministérielle de janvier, les inspecteurs de la DINUM se sont en fait rendus une deuxième fois chez Qwant, en septembre 2019, pendant quelques heures. Les auditeurs mandatés semblent alors mettre un peu d’eau dans leur vin, après avoir récupéré un « indicateur d’autonomie ». Si ce dernier indique une évolution positive du recours à l’américain Bing, il est frappant de constater que les taux de dépendance de Qwant à l’égard de la société de Microsoft sont encore considérables. Ainsi, en juillet 2019, sept ans après sa création, le moteur de recherche, annoncé comme « souverain », utilisait Bing dans plus de 75 % de cas. Fin septembre, ce taux de dépendance avait baissé à 65 %. Autrement dit, près des deux tiers des requêtes web auprès de Qwant étaient encore traitées par Bing de Microsoft.

Révélations - Qwant, boulet d’État

Depuis, rien n’a évolué : dans une enquête publiée en avril sur le site NextINpact, le journaliste Jean-Marc Manach a examiné la dépendance de Qwant par rapport à Bing, en constatant que le service offert est toujours lacunaire et tout aussi dépendant du géant américain. Mis à l’épreuve, le moteur de recherche souverain fournit encore des résultats datés, dirige vers des pages qui n’existent pas ou qui ne sont pas mises à jour, ou affiche des théories complotistes en tête des résultats.

Reste un véritable mystère. Malgré ses failles patentes, l’entreprise jouit depuis un certain temps d’un soutien financier régulier de l’Etat. La consécration de Qwant par le gouvernement comme moteur de recherche officiel de l’administration ainsi que le capital injecté par la Caisse des Dépôts dès janvier 2017 viennent récompenser un produit dont l’efficacité est mise en question par ces mêmes institutions.

La Caisse des Dépôts au secours de Qwant
La Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), le bras financier des pouvoirs publics, détient aujourd’hui 20% de l’entreprise et compte réinvestir prochainement. L’objectif est notamment de sortir Qwant du rouge : l’entreprise aurait perdu 10 millions d’euros en 2017, et jusqu’à 11,2 millions d’euros en 2018. En mai 2020, la société n’avait toujours pas publié ses comptes de 2018, dérogeant à toutes les règles comptables habituelles.

Interrogée, la Caisse des Dépôts et Consignations nous a répondu par mail que « Qwant, qu’elle accompagne depuis sa création, est déjà un succès. En effet, un moteur a émergé dans la durée face aux autres grands moteurs ». Une définition singulière du « succès », puisque Qwant détient 0,78% du marché en France, moins qu’Ecosia, le moteur allemand qui s’appuie sur Bing.

Plus étonnant encore, pour le bras financier de l’Etat, Qwant répond à toutes les attentes : « Les audits sont satisfaisants et permettent donc à la Banque des Territoires (groupe CDC) de renouveler sa confiance en Qwant ». Ajoutant : « L’objectif est de capitaliser sur les fondamentaux technologiques démontrés de la société […]. Qwant doit disposer des moyens d’accélérer son déploiement dans les entreprises, notamment dans les secteurs industriels sensibles ».

Mystère dans le mystère, ce nouvel engagement de la Caisse des Dépôts est assorti d’une véritable reprise en main de l’entreprise… qui ressemble à une mise sous tutelle. Éric Léandri, PDG depuis 2016, l’un des actionnaires co-fondateurs de la société depuis 2011, a été écarté de ses fonctions. Officiellement, il a pris la tête d’un « comité consultatif chargé de définir les grandes orientations stratégiques de l’entreprise ». Dans les faits, il a perdu son pouvoir, son salaire, son bureau, et sa voiture de fonction (une Tesla). Ses plus proches - de hauts cadres qui étaient décriés par le reste des salariés - ont également été poussés vers la sortie.

Qwant s’est ainsi doté depuis janvier d’un « conseil de gouvernance » présidé par Antoine Troesch, directeur de l’investissement de la Banque des Territoires, l’une des directions de la CDC. Pour remplacer Léandri, la Caisse a choisi l’ancien directeur général adjoint, Jean-Claude Ghinozzi, un ancien cadre de… Microsoft : « J’ai rejoint Qwant alors que j’étais dans un grand groupe technologique [Microsoft, NDLR], justement pour travailler sur une alternative souveraine, centrée autour du respect de l’utilisateur et de sa vie privée », déclarait-il à Libération.

Dans le cadre de cette enquête, Le Média a tenté sans succès de rencontrer le nouveau dirigeant. Qwant n’a pas souhaité faire davantage de commentaires quant à sa situation financière et ses relations avec son actionnariat, tout en soulignant que « les audits réalisés depuis l’été dernier » ont « démontré notre capacité à développer notre indépendance technologique ».

En réalité, cela faisait plusieurs mois que certains actionnaires de la start-up essayaient par tous les moyens de remplacer Eric Léandri, tout puissant patron depuis 2016. Car l’année 2019 n’avait pas été tendre en termes de couverture médiatique. Différents médias, du Figaro au Canard Enchaîné, avaient relaté les difficultés de la start-up et pointé les responsabilités de la direction, accusée d’un style de management discutable.

La CDC, le bras financier de l’Etat qui a investi depuis 2017 plus de 20 millions d’euros dans le projet, commence alors à s’interroger sur le management interne ou les salaires dispendieux des cadres dirigeants, selon le site d’information La Lettre A. Mais le véritable coup de tonnerre est sonné par Mediapart, qui révèle qu’Eric Léandri faisait l’objet, jusqu’à la fin 2016, d’un mandat d’arrêt européen dans le cadre d’une enquête au sujet d’une escroquerie en Belgique. Interrogé peu de temps après par le site Clubic, Léandri préfère évoquer un complot contre son entreprise : « Il y a des gens qui sont allés très loin pour nous déstabiliser, je vous le confirme. Je sais qui et à quel poste, mais je ne peux pas en dire plus ».

Des patrons « protégés au plus haut niveau »
Suite aux alertes dans la presse, une bataille s’enclenche à l’intérieur de l’institution financière entre les pro et anti-Léandri : « La révélation qu’il a eu par le passé un mandat d’arrêt européen contre lui a fini par le décrédibiliser totalement au sein de la direction de la Caisse », analyse un ancien salarié. À la manœuvre, Olivier Sichel, un inspecteur des Finances, ex-PDG de Wanadoo (l’ancienne filiale internet de France Telecom), nommé directeur général adjoint de la Caisse en décembre 2017, et devenu également le patron de la Banque des Territoires. Le même Sichel qui « dès 2017, [alors qu’il était à la CDC, NDLR] a poussé à fond Qwant », selon un ex-conseiller de Mounir Mahjoubi, ex-secrétaire d’Etat au numérique…

Quoi qu’il en soit, à l’automne 2019, c’est lui qui mène la bataille contre Léandri au sein de la Caisse des Dépôts : « Dès que Sichel a dit qu’il fallait débrancher Léandri, il y a eu une levée de boucliers du côté des pouvoirs publics. Il y a eu des pressions sur la Caisse. Au plus haut niveau, on a beaucoup aidé le patron de Qwant. Il a de vraies protections. La consigne était qu’il fallait protéger le soldat Léandri. La Caisse devait donc lui trouver une sortie honorable, mais il n’y mettait pas du sien, ce qui nous a rendu la tâche encore plus ardue », nous confie un proche d’Olivier Sichel.

« La Caisse a brandi un véritable ultimatum, en conditionnant sa nouvelle aide au départ de Léandri de la direction de la société », analyse un ex de Qwant. L’action d’Olivier Sichel contre Éric Léandri en a froissé plus d’un au sein même de la Caisse des Dépôts où Qwant bénéficie de soutiens en interne. Au point qu’une note confidentielle, produite au sein de la direction, et synthétisant un scénario de sortie pour Léandri, a fini par « fuiter » auprès de Qwant. Preuve supplémentaire qu’Eric Léandri et son compère Jean-Manuel Rozan disposent de réseaux et relais puissants.

D’ailleurs, depuis qu’ils ont co-fondé Qwant, les deux associés historiques n’ont jamais lésiné sur les symboles de puissance. Plutôt que d’opter comme n’importe quelle autre start-up pour des locaux modestes dans les arrondissements parisiens à la mode du 10e ou 2e, ils ont préféré s’installer luxueusement au 7, rue Spontini dans le 16e arrondissement, juste à côté du palace parisien le Saint James (où ils avaient leurs habitudes), à deux pas de l’avenue Foch et de la porte Dauphine. L’immeuble de verre de cinq étages où loge Qwant, pour 100 000 euros par mois, appartient en réalité à la Fradim, une société immobilière possédée par la famille Hariri, très proche de Jacques Chirac. Mais pour Qwant, ces locaux ostentatoires (et bien trop coûteux pour une jeune société qui vit sous perfusion d’investissements publics) vont bientôt faire partie du passé : à la Caisse des Dépôts, Olivier Sichel a donné l’ordre à Jean-Claude Ghinozzi d’y mettre un terme. Le prochain déménagement des locaux parisiens de Qwant est donc d’ores et déjà acté.

En réalité, au cœur de l’Etat, le dossier Qwant est devenu si sensible que chacun tente aujourd’hui, par tous les moyens, de se dédouaner de ses propres responsabilités. Un vrai changement. Car ces dernières années, la Macronie s’est particulièrement investie pour soutenir cette société qui devait représenter la success story de la start-up nation. « Une start-up nation est une nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une start-up. Je veux que la France en soit une », avait affirmé le futur président Emmanuel Macron en avril 2017 dans la dernière ligne droite de sa campagne, suscitant les espoirs de nombreux entrepreneurs du numérique.

Depuis, le chef de l’État n’a pas manqué une occasion de promouvoir le capitalisme numérique à la française : présence au salon Vivatech organisé chaque année à la porte de Versailles par Les Échos (dont le propriétaire est Bernard Arnault) et Publicis, promotion du label « French Tech » par l’État, visites à la « station F », ce lieu parisien créé par le milliardaire Xavier Niel, censé accueillir des centaines de start-up…

Mais le premier signe tangible d’une symbiose entre la Macronie et Qwant est un tweet d’Emmanuel Macron lui-même le 14 avril 2015, alors qu’il est ministre de l’Économie de François Hollande : « Bravo au nouveau @Qwantcom ! Un Google français en marche ». Une fois à l’Elysée, ses troupes continuent de soutenir à toute occasion Qwant.

Le 14 juin 2018, les ministres Bruno Le Maire et Mounir Mahjoubi se déplacent ainsi à l’inauguration des nouveaux locaux de la société dans le 16e arrondissement, à deux pas de la très chic avenue Foch : « Le résultat, il est là. Il y a un moteur de recherche, français. Il y a une entreprise digitale française de premier plan, et demain, il y aura une entreprise européenne digitale de premier plan, et c’est essentiel à nos yeux », lance Le Maire devant le PDG d’alors, Eric Léandri, tout sourire

Au début du quinquennat, Éric Léandri « était tout le temps fourré à l’Elysée », selon un ancien salarié de la société. Le PDG de Qwant a d’ailleurs participé à plusieurs voyages officiels à l’étranger, dont celui d’Emmanuel Macron en janvier 2018 en Chine. Un peu plus tard, en octobre 2018, Léandri donne la réplique au chef de l’Etat lors d’une visite de ce dernier à la station F. En octobre 2018, le ministre Bruno Le Maire réitère ses compliments à l’égard de Qwant.

De son côté, l’associé d’Eric Léandri, le financier Jean-Manuel Rozan, n’a jamais caché sa sympathie pour le président de la République, au point d’écrire un livre en son hommage : « Macron maillot jaune », sa réponse personnelle aux Gilets Jaunes.

Forcément, en mai 2019, c’est au tour du nouveau secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O - auparavant conseiller à l’Elysée, chargé des participations publiques et de l’économie du numérique, ancien trésorier d’En Marche ! pendant la campagne - de soutenir explicitement Qwant lors du salon Vivatech, en le présentant comme « le seul [moteur de recherche] capable de répondre aux attentes du gouvernement ».

C’est dans ce climat triomphal que tombent les premières révélations des journaux sur le management de Qwant. Pour ne rien arranger, au même moment, un petit entrepreneur du numérique, Marc Longo, fondateur dirigeant de l’Annuaire Français, critique ouvertement sur Twitter le service proposé par Qwant, contestant à de multiples reprises sa qualité de moteur de recherche souverain, révélant pour la première fois sa dépendance à Bing.

Marc Longo en était même arrivé à écrire aux parlementaires en mode lanceur d’alerte. Ses multiples prises de position lui ont valu d’être poursuivi en 2019 par Qwant au tribunal de commerce de Paris pour « dénigrement ». En appel, les poursuites contre Longo ont finalement été abandonnées. Entre temps, le journaliste d’investigation Jean-Marc Manach, spécialisé dans le numérique, qui a mené plusieurs enquêtes de fond dans lesquelles il démontre les insuffisances de la technologie Qwant, a subi de nombreuses pressions comme il le relate dans NextINpact.

Un actionnariat qui ressemble au bottin mondain
Des entrées à l’Elysée, des événements de communication avec des ministres… Décidément, Eric Léandri et Jean-Manuel Rozan ne sont pas deux entrepreneurs comme les autres. C’est qu’ils disposent de réseaux puissants.

L’étude de l’actionnariat de Qwant confirme toute l’étendue du carnet d’adresses du duo : un vrai bottin mondain de la politique et des affaires. Parmi les personnalités à avoir investi dans la société à travers les holdings Angels 1 & 2 - créées en janvier 2017 juste après la décision de la Caisse des Dépôts d’y investir alors 15 millions d’euros -, on trouve ainsi Thierry Gaubert, conseiller et ami de Nicolas Sarkozy, un acteur clé du « dossier Karachi », ce système de rétrocommissions sur des contrats de sous-marins vendus au Pakistan et de frégates destinées à l’Arabie Saoudite, système que la justice soupçonne d’avoir permis le financement de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995.

Par le passé, Thierry Gaubert avait ses entrées à la Caisse des Dépôts. De 2007 à 2011, l’homme d’affaires a même été administrateur de Icade, sa filiale immobilière. Selon les journalistes Martine Orange et Laurent Mauduit de Mediapart, l’ami de Nicolas Sarkozy y aurait joué un rôle lors d’obscures opérations financières. Au conseil d’administration de cette filiale de la Caisse, Gaubert côtoyait plusieurs personnalités qui deviendront bien plus tard des proches d’Emmanuel Macron : Augustin de Romanet, alors PDG de la Caisse des Dépôts et aujourd’hui PDG d’Aéroports de Paris (ADP), Serge Grzybowski, alors PDG d’Icade, et aujourd’hui directeur de l’immobilier d’ADP, ainsi que Agnès Pannier-Runacher, alors directrice adjointe et des finances de la Caisse des Dépôts, et aujourd’hui secrétaire d’Etat auprès de Bruno Le Maire.

À l’origine, Agnès Pannier-Runacher est l’un des discrets piliers d’En Marche. Référente du mouvement dans le 16e arrondissement de Paris, cette inspectrice des finances passée par HEC connaît très bien Alexis Kohler, le tout puissant secrétaire général de l’Elysée, et le plus proche collaborateur d’Emmanuel Macron : ils sont tous les deux issus de la même promotion Averroès de l’ENA. Mais Pannier-Runacher est également proche de l’équipe de Qwant : elle a même organisé à l’été 2019 une réunion de la section d’En Marche du 16e arrondissement dans les locaux parisiens de la société.

Thierry Gaubert fut également le proche conseiller de l’ancien patron des Caisses d’Épargne, Charles Milhaud, lui aussi soutien de Nicolas Sarkozy. En juillet 2008, c’est d’ailleurs le groupe Caisse d’Épargne qui rachète Trustmission, une société spécialisée dans l’envoi sécurisé de documents, qu’Éric Léandri dirigeait depuis 2005. D’abord comme directeur-adjoint puis comme président, il assure alors « la conception et réalisation de la plate forme de dématérialisation à valeur probante », ainsi que la « revente au groupe Caisse d’Epargne Banque Palatine », comme l’indique son CV personnel que Le Média s’est procuré.

Parmi les autres actionnaires présents dans la holding Angels 2, on trouve aussi l’ancien producteur de télévision Claude Berda (le B du groupe AB Productions, créateur d’Hélène et les Garçons), via sa holding luxembourgeoise CB Lux. Berda avait participé en octobre 2016 à un dîner de levée de fonds pour Emmanuel Macron organisé chez Marc Grosman à Uccle, la banlieue chic de Bruxelles, autre actionnaire de Qwant et fondateur de la marque Celio.

D’autres personnalités, pourtant bien éloignées du monde de la « tech » ou de la « start-up nation » ont aidé Qwant en devenant actionnaires comme l’ancien ministre Philippe Douste-Blazy, un ami proche de Jean-Manuel Rozan et un soutien d’Emmanuel Macron en 2017, mais également l’homme d’affaires Franck Ullmann-Hamon, administrateur du magazine Marianne, le grand financier Michel Cicurel, ancien président de la Compagnie financière de Rothschild, ou encore le banquier genevois Robert Pennone, via la GS Banque SA (devenue One Swiss Bank), spécialisée dans « la navigation fiscale », c’est-à-dire les « structures légales déclarables qui permettent d’alléger la charge fiscale ».

« Robert Pennone, à l’origine, c’est LE réviseur bancaire de Genève, c’était les yeux du régulateur, tout le monde le connaît, il est passé aujourd’hui côté business. Je pense que GS Banque a dû porter des actions de Qwant pour un tiers qui ne souhaite pas apparaître… », nous explique un initié du petit monde bancaire de Genève. Pennone est en tout cas un proche de l’avocat Thierry Ulmann, qui a eu pour client le cabinet panaméen Mossack Fonseca, contraint à la fermeture en mars 2018 suite aux révélations des Panama Papers, et qui est l’ami d’enfance d’un autre avocat genevois, Christian Fischele, un temps administrateur de l’une des sociétés d’Alexandre Djouhri, comme l’expliquent les journalistes Simon Piel et Joan Tilouine, dans leur livre l’Affairiste. Cette Genève si secrète…

Qwant sauvé par Alex Springer et Emmanuel Macron
C’est qu’à l’origine Jean-Manuel Rozan est né dans la cité helvétique, haut lieu du système bancaire international. Après des études à Paris, c’est à New York, au beau milieu des années 1980 et de l’argent-roi, qu’il navigue entre la finance et la jet set, y ouvrant durant quelques mois le restaurant « la Coupole » (en référence à la célèbre brasserie parisienne), puis devient trader à Wall Street, notamment pour la puissante banque Indosuez.

Au tout début des années 1990, Rozan rejoint Paris et la banque Duménil-Leblé, dirigée par le banquier Alain Duménil, avant de lancer sa propre société de conseil en finance. À cette époque, il fait la rencontre de Vincent Bolloré qui commence à construire son empire. Si ses réseaux sont principalement dans la finance, sa véritable passion reste l’équitation. Cavalier émérite, il pratique le saut d’obstacles en compétition. Habitant en pleine forêt de Fontainebleau, à deux pas du village de Barbizon, cet éleveur de chevaux a également ses habitudes du côté de Deauville, où habite Thierry Gaubert, et de la Normandie, où se trouvent de nombreux haras. Bien loin du profil d’un génie en informatique de la Silicon Valley…

Justement, quand Jean-Manuel Rozan et Éric Léandri cofondent Qwant en 2011, les premiers temps sont durs. Les deux hommes se sont rencontrés trois ans plus tôt, quelques temps après la vente de Trustmission à la Caisse d’Épargne. Rozan, le financier, s’allie alors avec Léandri, l’ingénieur (selon son CV, le businessman a obtenu un diplôme d’ingénieur en télécom au début des années 1990).

S’attaquer au marché des moteurs de recherche où Google est en position de monopole, le challenge n’est pas mince. D’autant qu’à ses débuts, la start-up française se cherche encore un marché de niche : « Dès 2013, Qwant est sur le point de crever, nous rapporte d’ailleurs un ancien de la boîte. Rozan et Léandri essayent tout pour sauver leur mise de départ. C’est alors qu’arrive l’affaire Snowden, les thématiques de la vie privée et de la souveraineté numérique commencent à s’imposer dans le débat public, notamment en Allemagne, où le plus important groupe de presse du pays, Axel Springer, a commencé sa croisade contre Google. C’est seulement à ce moment-là que Rozan et Léandri vont se positionner sur ces thématiques, et ça va finir par payer : Axel Springer décide presque miraculeusement d’investir 5 millions d’euros dans l’aventure ». Cette année-là, Rozan, alors PDG de Qwant, promet aux médias la production prochaine d’un nouveau moteur de recherche d’une quinzaine de langues dans 30 pays.

Ce n’est qu’un mirage. « Ces gens-là ont d’abord voulu faire un coup financier », maugrée un ponte de la « tech » française. « À l’époque, Qwant a table ouverte dans toutes les institutions, à l’Assemblée Nationale, au ministère de la Défense, à la Région Île-de-France… », se souvient un ancien conseiller ministériel sous le quinquennat Hollande. Rozan et Léandri déploient effectivement un lobbying particulièrement insistant auprès des pouvoirs publics tout au long du quinquennat de François Hollande. Le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, est approché, mais aussi le cabinet de Fleur Pellerin, secrétaire d’Etat au numérique sous Ayrault… sans grand succès. La banque publique d’investissement concède toutefois en 2014 une modeste subvention de 450 000 euros.

À peine un an plus tard, Qwant se retrouve de nouveau tout proche d’un dépôt de bilan. Entre 2014 et 2015, le chiffre d’affaire de l’entreprise baisse ainsi de 91,5 %, passant de 1,2 million d’euros à un très modeste 101 800 euros.

Comme dans les plus belles histoires, alors que tout semblait perdu, Rozan et Léandri voient leurs espoirs de lobbying enfin exaucés. Le ministre de l’Économie de l’époque Emmanuel Macron et son équipe prennent fait et cause pour Qwant. La nouvelle secrétaire d’Etat au numérique, Axelle Lemaire, bien qu’entretenant de très difficiles relations avec Emmanuel Macron, est obligée de suivre l’impulsion donnée par le ministre de l’Économie. Au plus haut niveau de l’État, Qwant a alors le vent en poupe. Sollicitée à plusieurs reprises au cours de cette enquête, l’ancienne secrétaire d’État, travaillant aujourd’hui pour le cabinet de conseil Roland Berger, n’a pas donné suite à nos appels.

En avril 2015, l’élection présidentielle est encore loin, mais Emmanuel Macron se positionne déjà du côté du camp des start-up pour se donner une image de « modernité ». Le jeune ministre de l’Économie affirme, en compagnie de son homologue allemand, Sigmar Gabriel, une vision commune qui vise l’émergence de « champions » européens capables de concurrencer les GAFA. Le « défi, c’est de faire croître ces acteurs pour en faire des champions », affirme alors le patron de Bercy. L’effet du soutien d’Emmanuel Macron pour Qwant est immédiat : dès l’automne, la start-up signe un accord avec la Banque européenne d’investissement, lui donnant accès à un prêt de 25 millions d’euros.

À la même période, un entrepreneur français, Eric Mathieu, fondateur de la société Xilopix, propose lui aussi un moteur de recherche à la française, dénommé Xaphir. Il multiplie alors les rendez-vous auprès des responsables économiques et politiques pour récupérer des investissements, sans succès. Manquant de fonds, Xilopix sera racheté pour une bouchée de pain (200 000 euros) par Qwant en 2017.

Amer, Eric Mathieu est aujourd’hui convaincu que l’aide publique dont a bénéficié son concurrent a empêché le développement de son entreprise : « En 2016, alors qu’on cherchait de nouveaux investisseurs, Qwant est devenu un moteur de recherche franco-allemand avec le soutien de François Hollande et Angela Merkel. Les organismes publics comme la Caisse des Dépôts ou la Banque européenne d’investissement ont misé sur Qwant. Cela a refroidi nos associés. Cela a tué Xilopix. Pourtant, nous avons réussi à sortir Xaphir en mai 2017. Mais nous n’avions plus de cash pour continuer. […] J’ai refusé de vendre la technologie de Xilopix à des Chinois comme Ali Baba. Car j’ai toujours voulu faire un moteur de recherche souverain pour la France et l’Europe. Qwant a repris le site d’Épinal et les effectifs. Mais des 35 personnes de Xilopix, il ne reste plus que deux ingénieurs », explique-t-il dans les colonnes de Vosges Matin.

Tropisme africain et réseaux corses d’Eric Léandri
Que pouvait bien peser un petit entrepreneur comme Éric Mathieu, installé à Épinal, face aux réseaux de Jean-Manuel Rozan et Eric Léandri ? Énième trace d’un poids politique hors mesure. Et qui commence à donner le vertige.

Fin 2016, Rozan passe les commandes à Léandri à la tête de Qwant. « À un moment donné, fort de ses soutiens au cœur de l’Etat, Léandri s’est senti intouchable », témoigne un acteur de l’époque. Pourtant, malgré ses connexions au plus haut niveau, la direction de Qwant n’arrive pas à intéresser les industriels français : « En réseautant dans la Macronie, Léandri et Rozan ont eu accès à de grands patrons, mais jamais ces gens n’ont investi un seul centime », constate un initié.

Plusieurs réunions sont organisées entre Qwant et les cadres du groupe Bolloré, mais ces dernières ne débouchent sur aucun projet concret. En 2017 est aussi sollicité l’un des papes de la « tech » française, Xavier Niel, propriétaire de Free, alors proche d’Emmanuel Macron… Peine perdue, le magnat ne donne pas suite : « Xavier a un avis très réservé sur Qwant », nous confie l’un de ses proches.

« Léandri se prenait pour un PDG du CAC 40 alors que sa boîte faisait péniblement 5 millions d’euros de chiffre d’affaires », raille aujourd’hui un ancien salarié qui se souvient par ailleurs que « Léandri avait toujours mille projets en parallèle, ça partait souvent dans tous les sens, il a même voulu se lancer dans le téléphone chiffré ! Même si tous ces projets n’aboutissaient pas forcément, cela lui permettait d’avoir des liens avec tout l’écosystème du numérique français. Résultat, ils sont bien peu à avoir ouvertement critiqué Qwant, alors qu’ils sont nombreux à être réservés sur la technologie proposée ».

Le passé d’Eric Léandri brasse large et s’étend de la Corse à l’Afrique. Le businessman y a longtemps travaillé, notamment au Rwanda, pour une entreprise informatique indienne. Mais sur son CV, on ne trouve pas trace de ses pérégrinations passées, même si sa holding personnelle fleure bon l’aventure puisqu’elle s’appelle la Léandri Mining Corporation. C’est en Afrique qu’il fait la connaissance d’un compatriote corse, Philippe Micaelli, spécialisé dans la cybersécurité. Via sa société Vesco (l’homme est originaire de la commune de Vescovato, proche de Bastia en Haute-Corse), cet ancien militaire, parrain de l’un des enfants d’Eric Léandri, investira un million d’euros dans Qwant, et deviendra même le directeur du « business development ».

En Corse, Eric Léandri connaît beaucoup de monde. Il est proche d’un autre entrepreneur du numérique, Pierre Noë-Luiggi, l’ancien PDG d’Oscaro.com, le numéro 1 des pièces détachées sur internet. Il a également fait en sorte d’installer la filiale Qwant Music à Ajaccio, permettant à la start-up de bénéficier des fonds européens de développement régional (Feder) à la hauteur de deux millions d’euros. Eric Léandri a grandi dans la préfecture de la Corse du Sud. Son père Jean-Paul fut employé à l’Eden Roc, un grand hôtel situé route des Sanguinaires, qui a appartenu à Jean-Jé Colonna. Son oncle était Christian Léandri, un ex-policier tombé dans le banditisme et assassiné en 1990.

À Ajaccio, Léandri soigne donc particulièrement ses relations publiques en multipliant les sponsorings d’équipes de sport : 30 000 euros pour une équipe de hand, 70 000 euros pour une équipe de volley, mais surtout près de 100 000 euros pour le club de foot GFCA, le Gazélec d’Ajaccio, considéré par les services de police comme proche de la « bande du Petit bar », qui a aujourd’hui la haute main en Corse du Sud, comme le révélait en juillet dernier une enquête de l’Équipe. Désormais, l’actuelle direction de Qwant conteste l’existence de tels contrats de sponsoring. En 2019, les joueurs du Gazélec ont pourtant arboré le logo du moteur de recherche sur leurs maillots, et ont même visité les locaux parisiens de la société un an plus tôt.

Quand il dirigeait Qwant à Paris, Eric Léandri n’hésitait pas ainsi à sur-jouer de ses origines corses vis-à-vis de ses salariés. En témoigne cette scène : en juin 2019, le patron convoque tous les collaborateurs parisiens au 5e étage dans la grande salle de réunion de la société : il est persuadé que certains d’entre eux parlent à la presse.

Quelques mois plus tôt, comme le révèle Jean-Marc Manach dans l’une de ses enquêtes, lors d’une réunion de recadrage rassemblant une quarantaine de salariés, le même Éric Léandri présenta un schéma PowerPoint pour expliquer « comment ça se passe chez moi en Corse au sujet de la confiance : un meurtre a été commis, il y a deux suspects : SUSPECT 1, SUSPECT 2. Si SUSPECT 1 balance SUSPECT 2 à la police, SUSPECT 2 va en prison et quand il sort il se venge et tue SUSPECT 1 », et vice-versa. A contrario, si « aucun des deux ne balance l’autre à la police, personne ne va en prison et tout le monde est content. Donc moi bien entendu je veux que ce soit comme ça entre nous », concluait le président. Selon des proches de l’ancien directeur général, il s’agissait alors d’une plaisanterie. Ambiance…

Mais le grand ami d’Eric Léandri, c’est Paul Marcaggi. Il possédait il y a une quinzaine d’années un cabinet médical à Ajaccio et était employé par la police nationale comme légiste en Corse-du-Sud. C’est lui qui est intervenu le soir du meurtre du préfet Claude Érignac, le 6 février 1998, puis qui a avancé l’hypothèse que le tueur devait être de grande stature - donc plus grand qu’Yvan Colonna, le tueur présumé - avant de revenir en partie sur ses déclarations.

Après son départ de la police, Marcaggi s’est lancé dans les affaires, notamment en Chine et en Afrique. Dans l’Empire du milieu, il a fondé WEI World, un cabinet de consultants à Pékin, et il a co-fondé Eusino, à Suzhou, près de Shanghai, avec Qian Wang, un ancien responsable commercial du groupe Airbus. C’est tout naturellement qu’Eric Léandri lui a proposé de diriger Qwant China, représentant Qwant en Asie. En 2019, Éric Léandri est d’ailleurs revenu en Chine pour essayer de trouver des fonds, sans succès.

Pour autant, l’action de Paul Marcaggi a-t-elle finalement permis à Qwant de disposer de soutiens chinois ? Fin mars, en pleine crise sanitaire du Covid-19, il a été annoncé que Qwant allait équiper par défaut l’ensemble des téléphones proposés par le géant chinois Huawei en France, en Allemagne et en Italie. Les deux entreprises se connaissent bien : à ses débuts, Qwant, « moteur souverain », ne s’est pas gêné pour utiliser des serveurs Huawei !

C’est en tout cas Paul Marcaggi qui permet à Éric Léandri de rencontrer l’année dernière Bernard Squarcini, le « squale », l’ancien grand patron du renseignement intérieur sous Nicolas Sarkozy (il a dirigé entre 2008 et 2012 la DCRI, fusion d’une partie des RG et de la DST). À l’époque, Eric Léandri tente de savoir qui cherche à lui nuire à la tête de Qwant. Pour défendre ses intérêts ainsi que ceux de Qwant, il va s’adjoindre les services de la grande avocate Marie-Alix Canu-Bernard, compagne d’Ange Mancini, ancien coordonnateur national du renseignement (CNR) sous Sarkozy (et au début du quinquennat Hollande), également proche de Bernard Squarcini. Côté politique, Léandri peut également compter sur l’aide du député François Pupponi, l’ancien maire de Sarcelles, ex-lieutenant de Dominique Strauss-Kahn. [MAJ 20/05 : Monsieur Pupponi précise « n’être jamais intervenu pour Qwant » et « avoir rencontré Monsieur Léandri deux fois par des amis communs ».]
Un lobbyiste proche de Benalla et Macron

Pour faire valoir leur point de vue auprès des pouvoirs publics et des milieux d’affaires, Eric Léandri comme Jean-Manuel Rozan vont également faire travailler de nombreux lobbyistes, comme Léonidas Kalogeropoulos, ou l’ancien haut diplomate Gérard Errera, également conseiller du fonds d’investissement américain Blackstone… Eric Léandri reçoit aussi le soutien de son ami Laurent Bourrelly, un temps conseiller chez Qwant, installé en Andorre - un geek qui aime écrire sur le blanchiment d’argent. « Une partie des fonds de Qwant est en fait partie en lobbying ! », déplore un salarié de l’équipe actuelle. En septembre 2017, la start-up avait ainsi recruté Léonard Cox, l’ancien chef de cabinet de Pierre Gattaz au Medef, pour 159 000 euros brut, pour s’occuper des « affaires publiques ». Pour le même salaire annuel, Qwant recrute un an plus tard Sébastien Ménard comme « conseiller en stratégie ».

Sébastien Ménard connaît bien les rouages politico-administratifs pour avoir travaillé par le passé dans les cabinets de droite de Renaud Dutreil et de Roger Karoutchi. Mais si Qwant l’a recruté, c’est que le jeune homme s’est très tôt investi dans l’aventure présidentielle d’Emmanuel Macron, n’hésitant pas à présenter l’ancien ministre de l’Économie comme un « ami ». En 2016, Ménard travaillait auprès de Patrick Toulmet, patron de la Chambre des Métiers de Seine-Saint-Denis à Bobigny, autre figure d’En Marche !, proche de Brigitte Macron, et propulsé depuis délégué interministériel au développement de l’apprentissage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

C’est à la Chambre des métiers de Bobigny qu’Emmanuel Macron avait annoncé sa candidature présidentielle en novembre 2016. C’est justement durant la campagne que Sébastien Ménard se rapproche d’Alexandre Benalla, et de son comparse Ludovic Chaker, premier salarié d’En Marche responsable des meetings, et actuellement toujours chargé de mission à l’Elysée auprès du chef d’état-major particulier. En juillet 2018, l’acteur Tom Cruise, scientologue revendiqué, sera présenté au couple Macron à l’Elysée, en présence d’Alexandre Benalla. Deux jours plus tôt, l’ancien responsable de la sécurité de la campagne Macron était présent avec Sébastien Ménard et Ludovic Chaker à la soirée organisée à la Tour Eiffel avec toute l’équipe du film Mission Impossible : Fallout.

Les réseaux de Sébastien Ménard, devenu proche de Jean-Manuel Rozan, sont multiples : en plus de la politique, il a fait en effet ses premières armes en télévision en devenant le directeur général de Mistral Production (qui avait la franchise du jeu Intervilles). Il est aussi très proche de Bernard Chaussegros, ancien patron d’Euromédia (ancienne boîte de plateaux télés), désormais consultant auprès de Vincent Bolloré, mais également de Gérald Brice-Viret, patron de Canal + (depuis la prise de contrôle par Bolloré), avec qui il partage de nombreux amis au Maroc.

C’est en puisant dans son carnet d’adresse que Sébastien Ménard organise pour Eric Léandri un voyage en Russie, ou lui permettra d’intervenir en juin 2019 au Sénat sur la… souveraineté numérique.

Les réseaux de Qwant sont donc complexes et multiples. Leurs méandres au cœur même de la Macronie interrogent aujourd’hui sur le soutien que l’État et le gouvernement ont apporté à cette start-up depuis tant d’années. Pour quelles raisons le secrétaire d’État au Numérique, Cédric O, n’a-t-il pas souhaité expliquer au Média sa décision de placer l’ensemble des ordinateurs de l’administration et même des sociétés publiques sous Qwant ? Pourquoi un tel silence ? Les liens du passé seraient-ils devenus à ce point encombrants ?

Depuis le départ d’Eric Léandri de Qwant en janvier 2020, le nouveau PDG, Jean-Claude Ghinozzi, ainsi que ses deux principaux actionnaires, la Caisse des Dépôts et le groupe Axel Springer, tentent par tous les moyens de remettre les choses dans l’ordre. Leurs premières décisions ? Embaucher des anciens de Microsoft France. Si de nombreux cadres sont partis de l’entreprise depuis trois mois, Sébastien Ménard, l’ami revendiqué du président Macron, travaille toujours pour la start-up.

Pour l’heure, Jean-Claude Ghinozzi tente par tous les moyens de faire profil bas. Ce n’est pourtant pas l’avis du flamboyant Eric Léandri qui a dénoncé récemment dans L’Obs l’inutilité et la dangerosité pour les libertés publiques de l’application StopCovid que le gouvernement souhaite imposer aux Français. Cette prise de position de l’ancien président de Qwant, toujours présent au board de la société, a amené la nouvelle direction à prendre ses distances dans un communiqué : « Qwant ne s’associe en rien aux déclarations publiques de son co-fondateur et ancien président, Eric Léandri, au sujet de l’application StopCovid ».

Pour Qwant, les défis à venir s’annoncent très difficiles à relever. Comme nous le rappelle un initié du numérique français : « Il existe au monde actuellement deux moteurs de recherche américains, deux chinois, et un russe. Et il ne faut jamais oublier qu’il ne peut émerger de grands moteurs de recherche sans l’aide de la puissance publique. Car ces moteurs peuvent être également les yeux et les oreilles de gouvernements. Ce n’est pas qu’un problème économique et industriel, c’est aussi un problème social et culturel ».

Dans ces conditions, un vrai projet anti-Google aurait besoin de centaines de millions d’euros par an pour espérer grappiller quelques parts de marché. Encore faut-il développer une technologie prometteuse… Les slogans sur la « start-up nation » et les « réseaux » politiques et d’influence ne suffiront pas. Qwant, quoi qu’en disent ses nouveaux patrons, en raison de son histoire trouble et de ses faibles potentialités, est loin de renouer avec le succès si cher à Emmanuel Macron et sa start-up nation…

Contactés par Le Média, les cofondateurs de Qwant, toujours actionnaires, Patrick Constant, Eric Léandri et Jean-Manuel Rozan, n’ont pas donné suite, ou nous ont renvoyé vers l’actuelle direction du moteur de recherche.

Le Media

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