Il est vrai qu’à la minute présente, chacun serre les fesses… l’Otan se tâte sur la conduite à tenir après que la défense antiaérienne syrienne eut abattu un avion espion venu tester la défense syrienne, mal lui en a pris, il est allé au tapis. Et tous de s’interroger pour savoir si l’occasion doit ou devait être exploitée, oui ou non pour donner l’estocade à Damas alors que les désertions chez les officiers se multiplieraient [3]. Ainsi à “bord d’Air Force One“ [4] le porte-parole du président Obama Jay Carney estimait que les “défections“ – mot américain politiquement correct pour désigner la trahison - au sein de l’armée, les combats proches de Damas et la destruction d’un avion turc par la Syrie, annonçaient la fin prochaine du régime Assad… « Le régime de Bachar al-Assad perd lentement son emprise sur le pays » ! Oui da, cependant une semaine auparavant, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov avertissait fermement la Communauté atlantique que « la Russie ne tolérerait pas que l’on rejouât une seconde fois le scénario libyen »… qualifiant d’irréaliste la prétention des Occidentaux d’exiger la démission du président el-Assad, rappelant « qu’au minimum plus de la moitié de la nation syrienne avait cautionné le régime à l’occasion des récentes élections législatives » [5].
Montée graduelle de la tension Est/Ouest
Néanmoins la tension monte graduellement au fil des heures et des échanges confidentiels – hors séances officielles – qui se multiplient à Bruxelles au Quartier général de l’Otan. Ce 26 juin - AFP - à Ankara, le Premier ministre turc Erdogan annonçait au groupe parlementaire du Parti islamiste de la Justice et du développement – AKP - que la Turquie soutiendrait la rébellion requalifiée en “peuple syrien“ jusqu’à la chute du régime baasiste : « Le peuple syrien est notre frère. La Turquie soutiendra le peuple syrien de toutes les manières nécessaires jusqu’à ce qu’il se sauve de l’oppression, des massacres, de ce dictateur sanguinaire et de sa clique ».
Pire, à l’heure où les instances de l’Otan examinaient la plainte d’Ankara, pilier oriental de l’Alliance atlantique, le Premier ministre turc avertissait que son pays riposterait à toute violation de sa frontière par la Syrie « les règles d’engagement des forces armées turques ont désormais changé. Tout élément militaire qui présentera un risque ou un danger à la frontière turque venant de Syrie, sera considéré comme un cible »… Stigmatisant en outre « un acte hostile et une attaque lâche… ce dernier événement montre que le régime d’Assad est devenu une menace claire et proche pour la sécurité de la Turquie comme pour son propre peuple »… Affirmant avec aplomb que le Phantom F-4 avait abattu était en mission d’entraînement dans l’espace atmosphérique international et non dans l’espace syrien, alors que de toute évidence l’appareil se livrait à une mission de repérage et de test des défense antiaériennes syriennes….
« La Turquie ripostera [par conséquent] en temps opportun et avec détermination... L’amitié de la Turquie est précieuse mais son courroux est aussi féroce ». Les Chypriotes grecs savent en effet depuis l’Opération Attila de juillet et août 1974, que les soldats turcs n’y vont pas de main morte [6]… M. Erdogan, grand humaniste, est donc ouvertement parti en croisade contre Damas, se gardant bien de préciser que l’aéronef détruit observait la bande côtière de Tahira au large de laquelle se trouverait l’un des gigantesques gisements de gaz naturels de Méditerranée orientale, poches dont la présence est avérée depuis quelques années… Si la Turquie, à l’occasion d’un conflit, récupérait la ville de Tahira, elle pourrait alors faire valoir ses droits sur ce gisement en vertu de droits revendicables au regard de sa zone d’exclusivité économique. L’indignation du Premier ministre turc n’est de ce point de vue que celle de l’ogre convoitant la proie qui passe à portée de crocs.
Pour nous résumer, notons que l’incident de frontières aériennes serait intervenu à 1 Km en mer du port de Latakieh, lui-même situé à quelque 90 Km de la base navale russe de Tartous et qu’un aéronef turc de secours aurait lui aussi essuyé le feu des batteries syriennes probablement servies par des Russes… que l’affaire s’est déroulée le jour où le ministre syrien des Affaires extérieures Walid al-Moualem était en déplacement à Moscou ! D’autre part, cet événement a eu lieu moins d’une semaine après que les Anglais eurent bloqué en Écosse un cargo russe - en annulant sa police d’assurance - transportant deux hélicoptères de modèle ancien venant du port de Kaliningrad sur la Baltique ; William Haig Secrétaire aux Affaires étrangères s’étant bruyamment prévalu de ce coup d’éclat à la Chambre des Communes… Incident qui coïncide d’autre part avec le durcissement de la position russe sur le dossier syrien, Lavrov allant jusqu’à refuser d’évoquer la question avec son homologue turc Ahmet Davutoglu lors d’un échange téléphonique… Nous avons au final, un superbe cas d’école de “diplomatie coercitive“ qui aura prouvé, tant à Ankara qu’à la Maison-Blanche, que les systèmes anti-aériens syriens sont pleinement opérationnels et létaux, qu’à ce titre la supériorité militaire turque n’est pas aussi avérée que ça, qu’elle connaît des limites, qu’il existe en outre un prix à payer pour des ingérences répétées et croissantes dans les affaires de Damas et qu’au bout du compte, la crise n’est pas confinée au seul territoire syrien, mais qu’elle peut s’étendre quasi automatiquement à l’ensemble de la Région…
La Méditerranée orientale sera l’un des champs de bataille de la guerre géoénergétique à venir
La lutte géoénergétique [7], en dehors des appétits expansionnistes israéliens déguisés en exigence de sécurité territoriale, est sans aucun doute l’une des clefs explicatives de la guerre de basse intensité que le camp occidentaliste – régimes islamistes turc et wahhabites associés aux puissances atlantiques – livre à la Syrie pour s’emparer des commandes et de son territoire. Précisons que la “proie“ syrienne posséderait aussi dans son sous-sol, selon toutes apparences, ses propres gisements gaziers… le pays représente par ailleurs un enjeu réellement stratégique en tant que couloir d’acheminement des énergies fossiles depuis le bassin de la Caspienne et l’Asie centrale via la Turquie, en contournement de l’espace continental russe, cela à destination… d’Israël et de l’Europe. Signalons la concurrence féroce qui oppose les projets russe et américain d’approvisionnement énergétique de l’Union européenne… projets russes North Stream en partenariat avec l’Allemagne et South Stream contre l’américain Nabucco… or ne nous faisons pas d’illusion qui détiendra la clef du robinet énergétique tiendra l’Europe, enjeu d’une fantastique bataille dont bien peu – exception faite de quelques initiés – ont aujourd’hui pleinement conscience.
Ce pourquoi Israël devrait, tôt ou tard réannexer la Bande de Gaza et occuper durablement certaines parties du Liban afin de pouvoir s’approprier les poches qui s’étirent le long de la bande littorale, du Zagros au Sinaï. Des accords d’exploitation ont déjà été signés entre Tel-Aviv et Nicosie, prévoyant l’installation à demeure d’une force armée d’une vingtaine de milliers d’hommes de Tsahal à Chypre… Curieusement, les esprits tourmentés - dont nous sommes – ne peuvent s’empêcher d’établir un rapport entre la contamination de la crise grecque à Chypre en dépit de son rôle de paradis fiscal au profit des oligarques russes, l’île n’étant par parvenue à échapper - pas plus que tout autre pays ayant largement subventionné sa clientèle électorale et favorisé sans vergogne la dégénérescence graisseuse de l’État - au piège de la dette… de larges mâchoires généreusement ouvertes par les prêteurs, conseilleurs et philanthropes façon Goldman Sachs.
Réfléchissons : des États Chypre et la Grèce pris à la gorge par leurs créanciers et la faillite imminente sont à des proies idéales, prédestinées dans un premier temps, de par la générosité du Marché, à saigner leurs populations, puis à brader leur patrimoine immobilier et naturel, ce à quoi la Grèce a procédé en vendant par exemple le port du Pirée à la Chine populaire… Stade ultérieur, la Grèce aux abois, prisonnière de l’€uro, se donnera in fine au plus offrant lorsqu’il s’agira d’exploiter les gisements gaziers que recèle la mer Égée. Une Grèce qui eut tout intérêt à sortir de l’€uro et à s’en tirer par elle-même, comme vient de le faire l’Islande ou l’a accompli la Suède de la fin de la décennie 1990 [8], celle-ci n’ayant mis que sept petites années pour se sortir - par la seule intelligence et la détermination de sa classe dirigeante - du marasme où elle avait plongé. Même topo pour Chypre qui ne pourra que faire d’amples concessions à ses partenaires, l’État hébreu, les majors américains… ou russes pour sortir du puits financier où elle patauge actuellement !
On comprend mieux dans ce contexte, les propos historiquement incongrus de l’ancien apparatchik et kgébiste soviétique Vladimir Poutine venu rétribuer de paroles verbales ses éventuels partenaires et rivaux israéliens pour le jour où il s’agira de fixer les termes d’un éventuel partage géoénergétique de la Région, gazier en particulier. Les mots ne coûtent pas cher et officiellement l’ordre international et la Babel mondialiste aussi branlants soient-ils , parviennent encore à se maintenir sur le sable du mensonge… un sable bétonné et armé par le pouvoir médiatique et les lois démocratiques garantes de l’amnésie des masses.
On comprendra ici que la géopolitique n’est pas un divertissement pour les Demoiselles de St Cyr, qu’il est toujours questions de double voire de triple langage, d’équilibres fortement instables entre les fidélités conjoncturelles et des jeux d’intérêts à long terme. La partie sera rude. On en prendra la mesure sachant que Moscou, attentif à ne pas déplaire exagérément à ses futurs partenaires de l’Organisation mondiale du Commerce [9] - OMC – n’aurait pas finalement livré à la Syrie les systèmes de missiles S300 hypersoniques à longue portée – des armes capables de descendre des bombardiers furtifs B1, fleurons de la flotte aérienne de combat des É-U – pour ne livrer à Damas que des dispositifs de défense à moyenne portée, autrement dit des système de protection rapprochée juste bons à neutraliser les Phantom F4 de l’armée turque.
Sans conclure…
Si la guerre devait éclater au Proche-Orient – notre frontière orientale à quelques heures de vol de l’Hexagone – et déborder sur l’Union européenne, Chypre et la Grèce membres de l’UE étant en première ligne, nombre de nos jeunes gens - professionnels ou non et leur à leur corps défendant - seront éventuellement jetés dans la bataille ! Auront-ils le choix ? Il est bon de rappeler que la conscription, l’appel sous les drapeaux, ne sont pas abrogés, que ces dispositions ne sont que suspendues depuis 1995 !
Mais qui se préoccupera au fond de connaître les vrais tenants et aboutissants de la guerre ? Et que pèsera dans le concert des nations une France qui se sera défaussée de sa dissuasion nucléaire, une intention bien arrêtée dans l’ultra majorité présidentielle et que certains caciques socialistes et Verts, les Rocard, Quilès et Cohn-Bendit [10] s’emploient désormais assidument à faire passer dans l’opinion. Quelques novices se jetteront peut-être dans la guerre avec l’ardeur d’une jeunesse adepte des jeux de rôle vidéos, [11] ceux-là où l’acteur possède “n“ vies de rechange… la réalité vraie n’est hélas pas aussi rose ! Aussi ne leur conseillerons-nous pas de partir la fleur au fusil, “comme en quarante“, croyant au mieux sauver un peuple martyr d’un tyran sanglant, au pire défendre la civilisation contre l’obscurantisme islamique… ces Islamistes que l’Occident anciennement chrétien promeut dans nos murs en bâtissant ou en laissant bâtir de somptueux édifices de culte, et hors murs, en les armant et en les poussant à détruire le dernier pouvoir laïc du Levant, garant de la paix intercommunautaire et protecteurs des minorités chrétiennes.
Léon Camus 27 juin 2012