Médias, Israël et armes chimiques
Notons à ce propos une nouveauté remarquable, quelques grands médias – dont Euronews – ont pour la première fois dimanche dernier, le 22, parlé des éléments d’Al-Qaïda infiltrés en Syrie signalant leur entrée sur le territoire de la République depuis l’Irak et à flot continu. Quelle trouvaille ! Mais pourquoi ce soudain émoi ? Parce qu’Israël entend éventuellement prendre prétexte des armes chimiques syriennes [1]- dont l’existence est reconnue depuis hier par le ministre des affaires étrangères, une façon de prendre les devants et de couper court aux rumeurs obligatoirement malveillantes - pour intervenir afin qu’elles ne tombassent point entre les mains imprévisibles des djihadistes. Djihadistes qu’a indirectement armés Tel-Aviv en soutenant la politique de Washington, laquelle a donné ou laissé toute latitude à Riyad et Doha pour armer les susdits takfiristes.
Ehud Barak ministre israélien de la Guerre, déclarait donc vendredi 21, que Tsahal était prête à intervenir militairement en Syrie au cas où Damas transférerait des missiles sol-sol à longue portée ou des armes chimiques au Hezbollah, notamment en détruisant d’éventuels convois syriens [2]. L’argument de la “guerre contre le terrorisme“ étant inusable, celui-ci servirait en outre à légitimer de nouvelles ingérences au Liban comme Ely Karmon “chercheur en problématique stratégique et en contre-terrorisme“ du Centre interdisciplinaire d’Herzliya en Israël, en annonce déjà la probabilité.
Il est bon en effet d’anticiper - plusieurs coups à l’avance - lorsque l’on veut déplacer ses pions. Autrement dit préparer le terrain en vue de toute éventualité. Remarquons que les djihadistes combattant sur le territoire syrien ne deviennent un problème que lorsqu’il “risqueraient“ de s’emparer d’armes potentiellement létales à grande échelle. Les mensonges s’emboîtant les uns dans les autres, il s’agira de lire à travers les lignes : ce ne sont pas les mercenaires djihadistes venus des quatre coins de l’Arabie malheureuse – et de Libye frais aguerris – qui représenteraient une menace mais la crainte du gouvernement hébreu de voir transférer certaines de ces armes au Hezbollah alors que la situation se dégrade dangereusement au Liban… et que Tsahal pourrait chercher à exploiter cette situation en y trouvant un prétexte à intervenir massivement.
Là est la vraie question, Damas va-t-il, veut-il assurer les arrières de son allié libanais, ou répondre à ses attentes, le Hezbollah ayant une conscience aigüe de ce que serait sa vulnérabilité une fois le régime bassiste tombé ? Au demeurant, la grande interrogation, avant l’exposition au grand jour de l’affaire des armes chimiques, était de savoir si les forces juives interviendraient avant ou après la chute d’el-Assad. Avant pour nettoyer le terrain ce qui permettrait d’ouvrir un front supplémentaire contre Damas – il existe déjà mais ne tourne pas à plein rendement, rappelons que ce sont les villes proches de la frontière libanaise qui se sont embrasées les premières, Hama et Homs – afin de donner le coup de grâce au pouvoir légal.
Après la chute du régime – ce qui permettrait de limiter la casse en hommes et matériels – dans la perspective d’occuper à partir du Golan de nouvelles portions du territoire syrien… sous divers motifs, au nombre desquels les fameuses armes chimiques ou la nécessité de juguler les forces salafistes. Dans tous les cas pour supprimer - ou tenter de - l’épée de Damoclès que sont les dizaines de milliers de missiles de tous calibres dangereusement dardés vers Eretz Israël.
La bataille de Damas… Télégramme du front
Mardi 24 juillet 14h - Réseau Voltaire. « La bataille de Damas est terminée. Plus aucune poche de combat. En 9 jours, plus de 4000 Contras [3] ont été tués et plus de 3700 ont été faits prisonniers. Il y a très peu de dégâts matériels au regard de l’intensité des combats. Les rues ont déjà été nettoyées et l’ont répare déjà les bâtiments endommagés. L’université reste fermée jusqu’à dimanche. L’activité économique a repris, les magasins sont ouverts. Les Contras ont fuit (ce que les gouvernements occidentaux appellent “un repli tactique“), mais il doit en rester cachés dans la ville. Des accrochages sont donc toujours possibles. Les habitants restent sur leurs gardes. Venu de Turquie, un autre groupe de Contras a attaqué Alep.Des journalistes occidentaux sont “embedded“ [incorporés] dans les troupes des Contras (pour se faire inscrire, contacter le service de presse du cabinet d’Erdogan).Les parachutistes de la 4e division sont en train de repousser les Contras d’Alep. Cette bataille s’annonce courte, les Contras étant cette fois moins nombreux et l’armée plus déterminée. L’armée israélienne est toujours en état d’alerte, prête à attaquer. Elle a déclaré le Golan zone militaire ».
Certains n’apprécient peut-être pas le Réseau Voltaire. Celui-ci a l’énorme avantage d’être sur le terrain depuis un bail et son “télégramme“ corrobore ce que les médias grand public annonce ce 24 juillet. Seuls les chiffres peuvent être l’objets de réserves, et encore ! Ceux qui après l’attentat de “décapitation“ escomptaient un basculement de l’édifice institutionnel se trompaient. Ce qui a fait la faiblesse du régime jusqu’à présent, à savoir l’extrême rigidité de ses structures adossées à un parti unique (ce dont il est assurément à blâmer), fait aujourd’hui sa force. Comme eussent dû normalement le faire les poutrelles d’acier des Tour Jumelles conçues pour résister à un impact majeur, l’État syrien a montré son aptitude à encaisser un coup direct, celui d’un attentat magistral ayant “décapité“ les têtes de son dispositif de sécurité nationale [4].
Notons que cette offensive du Têt [5] nouvelle manière, et plus encore l’attentat coïncidaient avec le vote au Conseil de sécurité d’une Résolution s’adossant à l’Article 7 de la Charte de Nations Unies, Résolution qui ouvrait la porte à une intervention extérieure ! Il est à supposer que l’offensive lancée sur Damas combinée à la décapitation de l’état-major sécuritaire5 – la rumeur s’étant aussitôt répandue que le président el-Assad avait été lui aussi blessé alors qu’il participait vraisemblablement à cette réunion par vidéo-conférence [6] – aurait pu ou aurait dû faire hésiter la Russie et la Chine lors du vote et induire de leur part une abstention suffisante pour conduire à l’adoption d’un texte rendant licite - à la suite de la Libye - un recours aux armes contre un État souverain. Il n’en a rien été et pour la troisième fois consécutive – le lendemain de l’attentat, le vote ayant été reporté d’une journée pour laisser mûrir la réflexion, décanter l’événement et permettre d’ultimes tractations de couloir -les deux superpuissances ont usé de leur droit de véto bloquant ainsi la machine infernale.
L’attentat… “décapitation” partielle de l’appareil sécuritaire syrien
Reuters relayant l’Agence Fars – Iran – annonçait ce 24 juillet que les autorités syriennes avaient arrêté un individu travaillant au siège de la Sécurité nationale qu’elles suspectent d’avoir perpétré l’attentat du mercredi 18 juillet. Jusqu’ici l’auteur de l’attentat était censé avoir péri dans l’explosion être un garde du corps affecté à la protection des membres du cercle rapproché du président Bachar al-Assad. Celui-ci est d’abord supposé avoir sauté avec une ceinture détonante en présence des dignitaires du régime, puis, seconde version, il serait censé avoir apporter progressivement quarante Kilogrammes d’explosif qu’il aurait dissimulé dans un faux plafond, se sacrifiant ensuite pour déclencher son engin de mort. Troisième variante, la mise à feu aurait été commandée depuis les locaux vides de l’Ambassade américaine située à 145 mètres du bâtiment officiel. Rappelons que l’Ambassade américaine même désertée par les diplomates n’en reste pas moins un territoire américain placé sous la garde du corps des Marines.
“L’explosion a été d’une telle puissance que l’ensemble du bâtiment et ses annexes souterrains, conçus pour résister à des raids aériens, ont été littéralement détruits [7]“. Ce qui implique l’utilisation d’une charge considérable – peut-être d’une tonne ou plus de Semtex, ou C4, sans doute (!) d’origine turque, cet explosif militaire étant assez peu disponible sur le au marché noir – et invalide automatiquement la thèse d’une charge portée par un homme ou préalablement introduite dans la salle bunker où précisément devait se réunir la réunion d’état-major… D’autres hypothèses, plus réalistes envisagent l’explosion d’un véhicule dans l’un des parcs souterrains du complexe à l’instar de l’affaire d’Oklahoma City en avril 1995 et la destruction d’un immeuble du FBI par un Milicien blanc, ou encore une frappe de missile furtif !
Toujours est-il que les commanditaires de l’attentat ont dû bénéficier d’une connaissance préalable de l’heure exacte de la conférence réunissant les têtes de l’État Syrien, et possédaient de surcroît une parfaite connaissance de la disposition de ces lieux de haute sécurité … Constat dont il est facile de déduire qu’il aurait pu, qu’il pourrait s’agir d’un coup d’État manqué visant le président el-Assad lui même. Attentat perpétré à l’initiative de l’un des nombreux services secrets - Moukhabarat – qui composent l’appareil d’État et qui serait passé subrepticement à l’ennemi. Rien n’est impossible et la trahison est évidemment de la partie dans un pays soumis à l’énorme pression d’une formidable coalition politique, diplomatique, médiatique et militaire arabo-occidentale.
Certains bons connaisseurs de la chose orientale ont pu voir également la main du général Manaf Tlass qui vient de “rejoindre“ sa famille à Paris. À première vue l’hypothèse n’a rien de totalement absurde, d’autant que l’on prête au dit général des ambitions pour l’après-Assad. Pour mémoire, Manaf Tlass n°2 de la Garde Présidentielle commandée par le frère de Bachar El Assad, Maher – qui viendrait de décéder dans un hôpital moscovite !? - est le fils de l’ancien ministre de la Défense, Mustapha Tlass, réputé pour sa francophilie, l’homme qui est allé cherché à Londres où il exerçait le médecin ophtalmologue Bachar el-Assad pour succéder à son père Hafez.
Une thèse démolie par une personnalité que l’on n’attendrait pas sur un tel dossier, Gérard de Villiers [8] plus connu pour ses romans d’espionnage à quatre sous épicés de pornographie up to date. En réalité Villiers, intime du général Rondot – l’homme qui a négocié en août 1994 l’exfiltration d’Ilich Ramírez Sánchez, dit Carlos, avec les Islamistes de Karthoum… voir aussi l’affaire Clearstream – sait de toute évidence de quoi il cause. Pour lui - atlantico.fr 16 juil. 2012 - Manaf Tlass avant de gagner Paris, s’est rendu au Liban pour y « discuter de l’emprise croissante d’Al-Qaïda sur la Syrie [alors que] les Libanais ont toujours réussi à tenir à la l’écart. Or, en Syrie, Al Qaida est de plus en plus présente, se manifestant par des attentats spectaculaires et ciblés : la destruction, à Damas, du QG du Moukhabarat Al Ascariya, grâce à un camion chargé de 1500 kilos d’explosifs ».
Donc selon M. Villiers ce serait Al-Qaïda ! Mais évidemment pas sans le soutien logistique, la préparation et une planification - en simultanéité avec le déclenchement d’une offensive sur la capitale que seul un État peut fournir… et pas n’importe lequel ! Ce qui exclut Ankara soupçonnée d’avoir voulu se venger du camouflet reçu à l’occasion de la perte d’un avion de reconnaissance abattu par les défenses anti-aériennes syriennes. Cela pourrait être également Tel-Aviv puisqu’au nombre des victimes de l’attentat figurent les hommes qui avaient en charge les fournitures d’armes au Hezbollah. Pour faire diversion – mille pardon à ceux que cette éventualité pourrait choquer ou blesser, mais nous sommes ici dans le pur domaine des conjectures – le “sanglant attentat anti-israélien“ de l’aéroport de Bourgas [9]est arrivé à point nommé pour rappeler toujours et encore que le Likoud au pouvoir en Israël doit veiller au grain et assurer la sécurité dans et hors frontières d’une communauté perpétuellement menacée par des ennemis qui ne désarment jamais. Ce qui permit au Premier ministre israélien, M. Netanyahou de voir dans cette attaque – sans aucun doute possible - la main sournoise de l’Iran…
Commentaires et conséquences
Alors que la presse du grand Ouest, différents “Observatoires de Droits de l’Homme“ et les représentants autoproclamés de la rébellion, réclament à cor et à cri que l’on fournissent des armes aux combattants qui ne disposeraient que de quelques pétoires – AK 47 en l’occurrence - l’accélération des fournitures d’armes, les observateurs présents sur place ont pu voir apparaître du côté des “insurgés“ des centaines de “technicals”, ces pick-up à pont arrière découvert – héritiers des anciennes 403 bâchées - équipés de mitrailleuses 12.7 de type DshK mm ou de tubes lance-roquettes, véhicules armés déjà présents depuis des décennies dans le désert tchadien et extensivement utilisés dans les années 90 au cours de la guerre civile somalienne, véhicules armés dont l’image a été popularisée par la guerre de Libye… La guerre de Syrie, n’est pas une guerre intestine, mais, pour nous répéter, une vraie guerre qui refuse de dire son nom et de s’avouer comme telle.
Loin de décourager l’armée syrienne, l’attentat est un échec et va lâcher la bride aux “durs“, ceux qui dès le départ ont proné la manière forte… à savoir étouffer la rébellion dans l’œuf. Ceux-là n’ont pas été écoutés. Il vraisemblable qu’el-Assad les ait freinés, leur ait refusé les pleins pouvoirs dans l’action de répression qu’ils réclamaient. Le nettoyage de Damas des forces infiltrées est-il pour autant une succès en soi ? N’est-il pas en effet trop tard pour enclencher la vitesse supérieure et éliminer sans barguigner les forcces combattantes, mercenaires envoyée par la Turquie, les deux monarchies wahhabites, le Foreign Office, le Quai d’Orsay et le Département d’État et Langley [siège de la CIA] ?
Déjà la guerre s’étend, au Liban d’abord, maintenant à l’Irak où Al-Qaïda – lisez Doha et Riyad – s’efforcent de dresser les communautés les unes contre les autres, chiites contre sunnites : mardi 23 juillet, l’Irak a connu une journée écarlate, 111 personnes ayant trouvé la mort dans une très meurtrière vague d’attentats - 27 au total qui ont frappé 18 villes dont le quartier populaire de Sadr City à Bagdad - cela au troisième jour du mois de ramadan. Au cours de ce mois de juillet, indépendamment de la journée du 23, l’Irak dénombrait déjà quelque 200 victimes que ne comptabilise aucune de ces officines si prompte à dénoncer les vilénies du pouvoir légal en Syrie.
Tout ce qui est écrit ici n’est pas bien entendu pas du jus de crâne mais des faits et une lecture attentive des surimpressions filigraniques visibles dans la trame des événements pour ceux qui savent s’en donner la peine.
24 juillet 2012