D’Ergenekon à Balyoz, le « marteau de forge » contre le pouvoir islamiste
L’actuel procès “Balyoz“ - Plan dit masse d’enclume – dont l’instruction a commencé en 2010 et qui fait suite à « Ergenekon » – Opération marteau de fer – n’est que l’ultime épisode en date des procédures qui depuis 2007 balisent la confrontation en cours entre pouvoir politique islamiste et une armée jusque ici “intouchable“ car regardée comme l’inamovible gardienne de la “laïcité“… rôle qu’elle endossa jusqu’à conduire quatre putschs en un demi-siècle dans un pays où l’islam ne cesse de regagner du terrain depuis 1948 et la première guerre israélo-arabe.
En février 2011, un tribunal d’Istanbul ordonnait l’incarcération coup de massue de 163 militaires de haut rang dans le cadre de l’instruction du dossier “Balyoz“, montrant ainsi la puissante détermination de l’AKP à poursuivre l’assainissement de l’Armée turque… c’est-à-dire en la purgeant de ses éléments les plus visiblement subervsifs et mafieux. Rappelons qu’avant d’arriver en Albanie, une partie de l’héroïne afghane à destination de l’Union européenne passe par le territoire turc avec la complicité de certains éléments corrompus de l’Armée ! Reste qu’une lecture trop rapide et au premier degré de ces grands procès conduit immanquablement à se lamenter sur le terrain perdu par la laïcité dans un pays où les forces armées sont réputées incarner l’idéal démocratique du fondateur de la République, le 29 octobre 1923, Mustapha Kémal dont le mépris pour l’islam n’est un mystère pour personne. [1]
Nous avons vu dans un précédent article que derrière la façade démocratique de l’État turc se dissimulent des forces moins laïques qu’espérées, à savoir la cryptarchie Dönmeh [2]… historiquement profondément implantée dans les réseaux de pouvoir politiques et intellectuels, à l’origine de la maçonnerie turque et qui joua un rôle décisif dans le déclenchement de la Révolution de 1908 ! Ajoutons que les Dönmeh par le truchement du mouvement “Jeune Turc“, fut vraisemblablement à l’origine des déportations et des massacres des communautés arméniennes et assyriennes de 1915/1916. Or, les trois grandes séries de procès politiques qui se sont succédés visent à n’en pas douter les réseaux constitués en sociétés secrètes qui maillent ce que les observateurs et connaisseurs nomment excellemment “l’État profond“ turc ! Citons l’affaire “Ergenekon“, puis l’Opération “La Cage“ suivant laquelle les minorités non musulmanes de Turquie - arménienne, grecque, juive – devaient être victimes d’attentats retentissants et de campagne d’assassinats tout en faisant porter la responsabilité au gouvernement islamiste et à l’AKP. Ce sont des procédés que l’on connaît bien et qui sont à l’œuvre en ce moment même en Syrie où les massacres et les attentats sont systématiquement imputés au régime de Damas.
C’est dans le cadre d’une telle “stratégie de la tension“ que seraient intervenus les meurtres de prêtres qui ont défrayé la chronique [3] et du journaliste arménien Hrant Dink. Tout comme l’assassinat le 3 juin 2010 de Mgr Luigi Padovese vicaire apostolique d’Anatolie et président de la Conférence épiscopale turque, poignardé puis décapité par son chauffeur qui aurait révélé en octobre 2011 lors la première audience de son procès [Radio Vatican] que l’opération ciblait in fine le St Père en personne. Bis repetita placent. Ajoutons cet autre projet de guerre subversive, le “Plan d’action contre la réaction“ [on consultera à ce sujet et avec profit l’“Observatoire de la vie politique turque“] et en dernier lieu, l’affaire “Balyoz“ dont les échos étouffés malgré des verdicts sévères [4] arrivent à peine jusqu’aux oreilles de la France assoupie devant sa ration quotidienne d’œil de bœuf !
Signalons que l’un des principaux accusés, l’ex-chef de la 1re armée, le général Çetin Doğan, avait organisé sa défense en prétendant que les plans d’action subversifs n’étaient en réalité que des simulations d’École de guerre totalement étrangères à un quelconque complot. Au demeurant, la planification d’attentats à la bombe dans les principales mosquées d’Istanbul ou d’incidents aériens avec la Grèce, apparaissent comme de bien étranges et incongrus scenarii de simulation ou de kriegspiel virtuel.
Retour aux sources : la lutte pour la restauration califale vs la cryptarchie Dönmeh
Sous-jacente, derrière ces procès qui constituent, aux yeux des religieux libéraux-conservateurs au pouvoir, une avancée vers la démocratisation de la Turquie – ce qui est loin d’être absurde, tout dépend évidemment du sens conféré aux mots - se profilerait une lutte non-dite mais chuchotée dans les chancelleries et entre initiés, contre la cryptarchie Dönmeh qui a pris le pouvoir à l’aube du XXe siècle sous couvert du mouvement “Jeune Turc“ et a depuis noyauté - à travers ce que l’on nomme l’État profond - toutes les instances dirigeantes de la Turquie post-ottomane… Or en vertu d’une inversion fréquente, c’est la République turque qui fut génocidaire et non l’ottomanisme sunnite relativement tolérant durant des siècles envers les minorités… Ceci dit sans ignorer que les massacres d’Arméniens débutèrent au XIXe siècle sous Abdul Hamid II - dit le Rouge – arrivé au pouvoir en 1867, mais auquel sont imputables - dans un contexte remarquable de tensions internationales et intérieures - les premiers grands massacres de quelque deux cent milliers de victimes entre 1894 à 1896… Aux prises avec les révoltes des Kurdes, le sultan retourna ceux-ci contre les Arméniens !
Il faut aussi ajouter que le mouvement “Jeune Turc“ comptait parmi ses membres les plus influents non seulement des Dönmeh mais aussi des Juifs non convertis à l’Islam, en particulier Emmanuel Carasso - oncle d’Isaac Carasso fondateur de l’empire Danone – qui obtint à Paris le financement du Mouvement Jeunes Turcs par les Rothschild. C’est en outre Emmanuel Carasso lui-même qui annonça sa déchéance à Abdul Hamid et le fit conduire en détention. Ajoutons qu’à l’instar des instances bolchéviques de novembre 1917, le « Comité Union et Progrès » constitué à Salonique en 1902, comptait en son sein à peine un quart de musulmans, les autres membres étant israélites ou dönmeh. En 1911, le général Chérif pacha, siégeant alors au “Comité“ notait que son directoire comportait trois Juifs, MM. Carasso, Cahen et Faraggi ; neuf Dönmeh Djavid Dey, Dr Nazim, Osman, Talaat Bey, Baldgi, Kiani Ipeck, Karakasch, Kiazim et Osman-Adil ; les turcs n’étant qu’au nombre de trois soit un cinquième à peine. La Révolution achevée, l’impulsion maçonnique des origines avait cédé la place à une influence essentiellement judéenne.
Liens existant entre la cryptarchie Dönmeh et l’agressive Maison des Séoud
Quels sont donc les liens pouvant exister entre les Dönmeh et la pétromonarchie saoudienne ? Un rapport du Moukhabarat irakien - Directorat du Renseignement Militaire - intitulé « L’émergence du wahhabisme et ses racines historiques » daté de septembre 2002 - divulgué le 13 mars 2008 par l’Agence américaine de Renseignement pour la Défense [U.S. Defense Intelligence Agency] - apporte des indications troublantes quant aux éventuelles racines sabbatéennes de Muhammad ibn Abdul Wahhab, fondateur au XVIIIe siècle du Wahhabisme, aujourd’hui religion officielle de l’Arabie saoudite, gardienne des lieux saints de l’islam, la Mecque et Médine. Un rigorisme honni dans la communauté sunnite et dans lequel bien peu de musulmans se reconnaissent. Ce pourquoi l’on aurait de grand tort de ne voir en l’islam qu’un unique bloc, et un seul “islam“ là où il en existe cent !
Certaines informations mentionnées dans le rapport irakien viennent d’un passé éloigné et seraient tirées des mémoires d’un aventurier et espion britannique “Hempher“ ou “Humfer“ qui prit langue avec Abdul Wahhab dans le but créer une secte arabe prêchant la révolte contre la Sublime Porte – Constantinople - afin d’ouvrir la voie à la future création d’un État juif en Palestine… alors ottomane. Le projet d’Humfer serait cité [la vérification des sources est ici hors de notre portée] notamment par l’amiral ottoman Ayoub Sabri Pacha dans un ouvrage paru en 1888, “The Beginning and Spreading of Wahhabism“. Rétrospectivement, il apparaît qu’en s’intéressant au potentiel de nuisance du wahhabisme, les Services de Renseignement irakiens, avaient visé juste et vu le danger là où il se trouvait réellement… en Arabie saoudite d’où proviennent les takfiristes et autres al-qaïdistes qui multiplient en Irak depuis neuf ans les attentats les plus odieux dans le but évident de jeter les communautés les unes contre les autres, sunnites contre chiites… Et qui, y ayant échoué à allumer le brasier de la guerre civile, recommencent en Syrie… Mais, dans les deux cas et jusqu’à présent, sans le succès tant escompté.
Par ailleurs, de nombreux récits, monographies et témoignages vont dans le même sens, celui d’une intrication entre les Sabbaténs - ou Dönmeh - et l’Arabie étroitement alliée aux “Destinées manifestes“ de la Grande Amérique. Une secte cabaliste convertie par opportunisme à l’islam, née à Salonique et qui aurait trouvé un prolongement monstrueux dans le wahhabisme ! Ainsi “The Dönmeh Jews“ de D. Mustafa Turan - lui même Dönmeh ! - affirme que le propre grand-père de Wahhab, Tjen Sulayman ou Shulman aurait été membre de la communauté juive de Bassora, grand port du Chatt-el-Arab, avant de gagner le Hedjaz où son petit-fils fondera le wahhabisme [5]… c’est en tout cas ce que rapporte un certain Rifat Salim Kabar dans “The Dönmeh Jews and the Origin of the Saudi Wahhabis“. Au final, il est tout aussi éclairant « de rappeler que les trois principaux membres du gouvernement « Jeune Turc » - Enver Pacha, Talaat Pacha, et Essad Pacha - étaient tout trois juifs d’origine dont les familles avaient été “converties“ à l’islam » dixit Savitri Devi… mais qui ignore que Maximine Portas qui se cachait derrière ce pseudonyme est une essayiste particulièrement malveillante !
Quant à la famille des Séoud proprement dite… toujours selon rapport baasiste - si peu négligeable qu’une agence gouvernementale américaine l’a publié – lequel citant l’étude d’Abdul Wahhab Ibrahim al-Shammari “The Wahhabi Movement : The Truth and Roots“, il en ressort que le roi Abdul Aziz Ibn Saoud, premier monarque d’Arabie Saoudite, descendrait de Mordechaï ben Ibrahim ben Moishe, marchand juif également originaire de Bassora. Moishe ayant changé son nom en Markhan ben Ibrahim ben Moussa maria son fils Jack Dan - devenu Al-Qarn - à une femme de la tribu des Anzah du Nedjd, union d’où fut issu la Maison des Saoud… cela très indépendamment des arbres généalogiques faisant descendre les souverains saoudiens en droite ligne du Prophète !
Bien entendu les sources évoquées ici sont incertaines – pas plus cependant que les faits de “notoriété publique“ présentés comme preuve pour la justice pénale internationale, de Nuremberg à la Haye pour les procès relatifs aux Guerres balkaniques de la dernière décennie du XXe siècle - et ne peuvent en conséquence fournir aucune certitude définitive. La source irakienne a semblé suffisamment retenir l’attention, rappelons-le une fois encore, pour être publiquement archivée en mars 2008 par l’Agence américaine de Renseignement militaire… Les Américains ayant certainement découvert à l’occasion de leurs déboires afghans et irakiens, les vertus de l’étude des profondeurs historiques, et ce afin de mieux percer le millefeuille islamique ou lever le voile opaque couvrant la stratigraphie anthropologique et sociale des peuples et tribus de l’Orient profond… et de l’Arabie Heureuse en particulier !
Une conjoncture géopolitique tendue qui incite à faire effort de lucidité
L’actuel regain de tension sur le front du Levant - guerre de Syrie, menace d’attaque “préemptive“ d’Israël contre l’Iran, risque de fermeture du détroit d’Ormuz (des manœuvres navales américano-euro-nippones s’y déroulent en ce moment même) par lequel transite un tiers de la production mondiale d’hydrocarbures – confère une lucidité inhabituelle aux états-majors occidentaux. On aurait d’ailleurs tort de croire que les militaires ne sont que des ganaches va-t’en-guerre. Connaissant les risques de leur métier, les soldats de haut rang, ne s’y risquent qu’avec circonspection, et dans le cas présent – l’hypothèse de frappes nucléaires étant d’actualité - ils en voient toutes les incontrôlables et irréversibles conséquences.
Aujourd’hui les stratèges du Nouveau Monde se montrent à cet égard de plus en plus réticents à l’égard de leurs grands amis hébreux… voire carrément hostiles aux fables que leur débitent leurs bons alliés… Ce qui n’est pas le cas des politiques de Washington, Paris et Bruxelles toujours à la remorque de leurs commanditaires. Israël – en tout cas les Likoudniki au pouvoir à Tel-Aviv et Washington, n’a en effet plus la totale faveur des élites américaines qui commencent à s’en méfier comme de la peste [6] … fait inaccessible à notre merveilleuse médiacratie si prompte et courageuse au point de nous (dés)informer avec la plus extrême rigueur.
Le désamour américano-israélien « Preparing for a post Israel Middle East »
À ce propos, un rapport intitulé : « Preparing for a post Israel Middle East » -“Préparer le Proche-Orient de l’après Israël“ ! Une analyse de 82 pages apparemment destinée – nos quelques tentatives pour sourcer et valider ce texte ont échoué jusqu’ici ! - à la communauté du renseignement américain autrement dit aux seize agences fédérales et militaires qui à elles toutes cumulent un budget annuel supérieur à 70 mds de $. Ce document conclut que les intérêts nationaux américains et israéliens divergent si fondamentalement qu’Israël constituerait aujourd’hui une véritable menace pour les intérêts vitaux américains, notamment en interdisant l’établissement de relations stables avec les États arabes et musulmans… et dans une mesure croissante avec la Communauté internationale.
À signaler également, la dénonciation de l’incroyable ingérence de l’État hébreu dans les Affaires intérieures des États-Unis et sa conduite extensive et sans vergogne en matière d’espionnage… souvenons-nous de l’affaire Pollard, condamné à perpétuité en 1987, et plus que jamais prisonnier de l’État fédéral en dépit des multiples pressions et des prodigieux chantages exercés par Tel-Aviv sur les politiques américains ainsi que sur leurs oligarchies financières et industrielles.
Le rapport – qui ne fait évidemment pas mention des rumeurs insistantes relatives à la participation du Mossad à la tragédie du 11 Septembre - insiste sur le fait que le Trésor américain n’a plus les ressources financières - ni le soutien populaire – utile et nécessaire à poursuivre au même rythme son soutien économique à Israël : depuis 1967 et la guerre des Six Jours, ce sont 3 mille milliards de $ d’aide directe et indirecte qui auraient abondé les Finances israéliennes, État parasite et sous perfusion loin de l’image de l’économie prospère et autosuffisante qui en est habituellement donnée. Ce à quoi se surajoute le rejet d’aventures militaires – de plus en plus impopulaires, car émaillées de sordides scandales tels Abou Graïb, Bagram, Guantanamo et tutti quanti, malgré l’incessant matraquage médiatique - qui tournent régulièrement à la déconfiture au grand discrédit de la Nation américaine. Des guerres illégales au regard de Lois internationales et illégitimes car livrées au profit d’Israël et pas seulement en raison de la manne pétrolière.
Puritanisme wahhabite et sectes judéo-protestantes même combat
Rappelons pour ne pas conclure qu’à l’issue de la Grande Guerre, les Anglais mirent au pouvoir les Séoud au Hedjaz et dans le Nedjd où ceux-ci établirent le wahhabisme en tant que religion d’État au grand détriment des musulmans orthodoxes, sunnites, et hétérodoxes, chiites… Finalement, si les hypothèses évoquées plus haut se trouvaient vérifiées, “l’État profond“ pourrait bien n’être pas une spécificité turque… On sait le rôle des loges maçonniques – et par conséquent de ceux qui les contrôlent – aussi bien en Égypte, qu’en Arabie Saoudite, au Qatar… et peut-être même en Iran. Ce qui éclairerait d’un jour nouveau, les couches profondes des structures de pouvoir dans nombre de pays du Proche-Orient, et les rapports de forces qui s’y nouent. Tous pays protagonistes du grand drame collectif qui se joue sous nos yeux qui voit la confrontation des plaques tectoniques d’Asie, d’Afrique et de l’Occident se rencontrer et se chevaucher. De ce point de vue la science politique et plus encore la géopolitique ne sont pas encore parvenues au point de maturité où elles oseront se débarrasser des interdits qui brident leurs analyses, voire les faussent gravement. Une levée des tabous sans laquelle au demeurant il ne saurait y avoir de saine analyse et moins encore d’action pertinente.
Léon Camus - 23 septembre 2012