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Syrie : à deux doigts de la guerre ?

Léon Camus

jeudi 11 octobre 2012

Le Premier ministre turc Erdogan, prenant prétexte de tir de mortiers sur le territoire turc, a déclenché un feu roulant d’artillerie vers les positions militaires syriennes… tout en déclarant urbi et orbi, ne pas vouloir la guerre. Le but de la manœuvre est simple : créer une zone « libérée » au nord de la Syrie, une poche à partir de laquelle les éléments de l’ASL – Armée syrienne libre composée en partie de déserteurs – et surtout les katibas djihadistes pourront intervenir dans la profondeur du territoire syrien. Rappelons que les mercenaires salafistes sont financés et armés par les monarchies wahhabites, entraînés en Jordanie et en Turquie où ils ont leurs principales bases arrières, avec le soutien proactif de la diplomatie armée occidentale, de Paris et Washington en particulier. Cela après avoir été recrutés en Tchétchénie, en Afghanistan et en Irak notamment par le truchement des multinationales américaines du mercenariat telle Blackwater, au Yemen, en Somalie, en Libye, en Tunisie… et dans les banlieues françaises comme vient de nous l’apprendre le coup de filet donné en Seine et Marne dans les milieux de frais convertis au fondamentalisme islamique après être passés par la case délinquance.

Notons que Damas, après les premiers tirs en direction des bourgs turcs, a aussitôt présenté ses plus plates excuses, jurant qu’on ne l’y reprendrait plus. Las ! Les tirs scélérats se sont poursuivis, donnant l’occasion à l’armée turque de répliquer au centuple. On le comprend ici la guerre a démarré, mais pour l’instant elle se borne à un « duel » d’artillerie unilatéral : l’armée néo-ottomane tire sur des Syriens qui n’en peuvent mais et qui se gardent bien de répondre pour ne pas donner lieu à une escalade fatale. La vieille ficelle est un peu grosse, il est cependant parfois malaisé de ne pas tomber dans la basse provocation. Le plus extrême sang-froid est alors de rigueur.

Précisons que les fragments d’obus de mortier retrouvés sur le sol turc sont des munitions « Otan »… alors qu’il eut dû s’agir de munitions russes puisque Moscou est en principe le fournisseur attitré de Damas. On voit par ailleurs assez mal l’Otan se tirer sur elle-même… n’oublions pas qu’en l’occurrence la Turquie est le pilier oriental et surarmé de l’Alliance atlantique… Ce qui signifie que si celle-ci en est déjà aux prémices d’une guerre ouverte avec Damas, c’est toute l’Europe qui est de facto en guerre à bas bruit avec les Syriens… et éventuellement avec leurs alliés russes, lesquels ne semblent pas du tout décidés à renoncer à la position stratégique que leur offre la Syrie en Méditerranée orientale.

Erdogan, tout comme la presse libre de la libre Union européenne, ment donc comme un arracheur de dents lorsqu’il jure ses grands dieux qu’il « refuse la guerre » puisque de toute évidence il est déjà en train de la faire. Magie des mots qui ont le pouvoir de masquer les réalités les plus évidentes. Pour cela il suffit que la presse serve ne donne jamais la parole aux mauvais drôles, ceux qui ont la prétention d’appeler un chat un chat. Néanmoins le Premier ministre turc doit également faire face à un refus grandissant de la société civile de laisser la Turquie glisser dans une guerre voulue, planifiée, conduite pour les plus mauvaises raisons. Des motifs non dits et en tout cas radicalement étrangers aux intérêts immédiats, réels de la population turque. Les peuples refusent la guerre, mais il est bien connu les gouvernements démocratiques ne sont élus que pour décider à leur place.

Simultanément à Damas des véhicules explosent à répétition devant des bâtiments officiels dans le but ou l’espoir de décapiter le commandement militaire syrien. Mais contre toute attente l’État baasiste tient bon en dépit de la dernière tentative en date de débauchage du vice-premier ministre Farouk el-Charah que l’on disait absent de la scène politique damascène depuis quelques temps. Personnalité à laquelle la coalition arabo-occidentaliste – Arabie Saoudite, Qatar, Égypte, Royaume-Uni, États-Unis, France - aurait fait miroiter de succéder à Bachar el-Assad… au moins pour la transition. Bref le sang coule pourtant la Syrie tient bon car personne ne parle des vastes zones indemnes de combats… Ce qui indique – là encore les faits parlent d’eux-mêmes – qu’il n’y a pas de « guerre civile » en Syrie, mais une guerre tout court, conduite par des forces étrangères, celles-ci appuyées et complétées par une dissidence minoritaire mue en grande partie par des mobiles religieux : Frères musulmans sunnites contre minorités alaouite, chrétienne, druze, ismaélienne et kurde.

Nous sommes donc loin du tableau simpliste en noir et blanc que nous servent quotidiennement les médias avec les trémolos indignés d’un M. Fabius qui devrait en vérité se faire plus discret lorsqu’il évoque les morts syriens – oubliant à ce propos que les victimes appartiennent à tous les camps, rebelles, loyalistes et civils innocents - lui qui a tant de « sang sur les mains »… N’est-ce pas Charlie hebdo qui l’avait naguère joliment représenté les paluches dégoulinantes ? Si c’est une défaillance mémorielle de notre part, nul ne nous en voudra vraiment car à toutes les époques et en tous lieux on ne prête généralement qu’aux riches. Surtout en temps de crise !

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