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La guerre des drones

I . Vol au-dessus d’un nid de coucou

dimanche 28 octobre 2012

Par Léon Camus

Le 11 octobre 2012 au soir sur la chaîne de télévision Al Manar, le secrétaire général du Hezbollah Sayed Hassan Nasrallah annonçait qu’« au nom de la résistance islamique libanaise » un drone de reconnaissance non armé avait survolé le 6 octobre, pendant 30 minutes le territoire de l’État hébreu et de la Palestine occupée.

Cet avion sans pilote, vraisemblablement de conception chinoise mais de fabrication iranienne et apparemment monté et adapté au Liban par des ingénieurs du Hezbollah, a su déjouer toutes les surveillances et défenses antiaériennes israéliennes mais également de la FINUL - Force intérimaire des Nations unies au Liban instituée par les Résolutions 425 et 426 du Conseil de sécurité adoptées en mars 1878 – et survoler des sites israéliens sensibles, notamment des installations gazières et pétrolières, jusqu’à ce qu’il soit abattu en approche ou à proximité immédiate de la centrale atomique stratégique de Dimona [1] dans le désert du Néguev. En effet selon des sources israéliennes – info/désinfo ? - le drone arrivé par la façade méditerranéenne et après avoir tracé sa route sur une cinquantaine de kilomètres en territoire hébreu, aurait eu la capacité de prendre des images de silos abritant de missiles balistiques Jéricho3 ainsi que de nouvelles bases aériennes construites en prévision d’une attaque de l’Iran… ou pire, les installations nucléaires stratégiques de Dimona, toutes installations situées à moins d’une trentaine de kilomètres de l’endroit où le drone a été détruit ! Qu’en déduire ?

En vu d’un « contrôle » des armes chimiques syriennes, les États-Unis et ses satellites franco-anglais seconderaient déjà depuis plusieurs mois les commandos de choc jordaniens formés par la France à la fin des années 1990. « Une bonne armée se prépare à toutes les éventualités » dixit Abdallah de Jordanie le 13 sept.]]

Plus qu’une défaillance, une erreur d’appréciation

Le drone n’a en outre pas été intercepté par l’un des missiles israélo-américains type « Patriot » concédés par l’Oncle Sam après la chute de quelques Scud irakiens en février 1991, mais par un chasseur F-16I Sufa et après que le drone eut volé pendant trois bonnes heures. Ceci sous le décoiffant prétexte « qu’il aurait été dangereux de descendre le drone n’importe où » dans la mesure où celui-ci était en principe « incapable de transmettre des informations en temps réel ».Or l’on sait maintenant qu’il s’agissait d’une évaluation totalement erronée [Sunday Times 4 oct].

Bref, le mythe de l’inviolabilité de « Dôme d’acier » est kaput. Vexée, l’aviation de Tsahal s’est revengée en faisant passer le mur du son à ses F-16 au-dessus de Beyrouth… et Israel Aerospace Industrie en a profité pour annoncer bruyamment la sortie d’une nouvelle version du système de surveillance « Héron » dont les radars, d’une portée de 300 km, seraient en mesure d’intercepter « n’importe quel objet volant en quelques minutes ». Mais en 2010, le quotidien travailliste Ha’aretz révélait déjà « que le temps de vol, de quelques secondes, des roquettes tirées depuis la Bande de Gaza était plus court que le temps nécessaire à Dôme d’acier pour calculer leur trajectoire » [13 janv. 2010 jkcook.net]. À titre de conclusion très provisoire, l’on pourrait également s’interroger sur une éventuelle relation de cause à effet entre le drone visiteur et à l’assassinat à Beyrouth du général Wissam el-Hassan une semaine pile poil après le vol intempestif du robot hezbollahite. D’une pierre cinq coups : jeter la confusion au Liban, réamorcer une toujours possible guerre confessionnelle, éliminer un homme qui avait désobligé le Mossad en œuvrant au démantèlement de ses réseaux, faire accuser la Syrie et le Hezbollah. Cherchons à qui le crime profite !

Coupable hybris

Au final, une lacune extraordinaire de la part de la part de la défense passive israélienne, qui témoigne surtout d’une coupable hybris – un orgueil déraisonnable – et montre les limites, vite atteinte dans l’incompétence, par des dirigeants qui se distinguent trop souvent dans le secteur des droits communs. Des gouvernants qui font montrent d’appétits sexuels débridés dignes du sieur Strauss-Kahn, ainsi l’ex président Moshe Katsav condamné à sept ans de détention pour viol. Ou faisant preuve d’une notable incontinence financière, tel l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert condamné en septembre 2012 pour malversations et corruption.

« L’avion d’Ayoub », du nom d’un martyr de la cause palestinienne, restera au final et à tout point de vue de la part des Chiites libanais comme une redoutable démonstration d’habileté… laquelle doit s’entendre par ailleurs comme un avertissement : « ne nous sous-estimez pas » ! Un signal qui a dû, en tout état de cause, sonner le branle-bas dans le mille-feuille des services secrets israéliens, ceux-ci s’étant montrés férocement incapables de prévoir ou d’anticiper, ni en amont ni en aval, une si inquiétante manifestation de savoir-faire. Inquiétante, à commencer pour les projets d’expansion belliciste que l’État hébreu concocte, notamment depuis qu’il est dirigé à Tel-Aviv par le Likoud, en accord avec Washington où vibrionnent ses homologues néoconservateurs.

Ajoutons que la discrétion obstinée dont ont fait preuve les médias, tant américains qu’européens dans cette affaire, est singulièrement éclairante. Les Services américains ont exigé de leur chef d’Antenne au Liban de collecter toutes informations utiles relatives au drone « Jacob ». Quant aux Européens, participant à la Finul, ils ont pris en charge l’analyse des aspects techniques de ce fiasco retentissant… Hassan Nasrallah ayant mentionné que le drone était passé à travers les mailles de la détection radar du Pentagone, d’Israël et de la Finul, c’est ce point précis que les Européens entendent en priorité élucider… tout en tentant d’évacuer leur défaillance : en affirmant piteusement et sans preuve que le décollage du robot aurait eu lieu hors du Liban [Cf. As Safir Beyrouth 16 oct].

Amont et aval d’une opération sidérante

En amont donc, la redoutable inaptitude de la part des Services israéliens à repérer et à tracer les envois préalables de pièces détachés depuis l’Iran jusqu’au Liban, peut-être via l’Irak… et/ou la Syrie ? Des Services incapables de s’informer à temps de tels transferts et qui en outre n’ont pas eu vent de l’existence du projet, de sa planification, ni des ateliers de montage et des bureaux d’études… sans lesquels point de robot volant. Pas plus que de la décision de lancer l’opération. Zéro pointé sur toute la ligne !

Preuve s’il en était que les réseaux et filières d’espionnage judéens au Liban, régulièrement démantelés par le contre-espionnage du Hezbollah depuis quelques années, n’on pas été vraiment reconstitués [2]
. Mauvaise nouvelle pour des gens qui font chanter l’Amérique et ses politiciens dans le but avoué de leur faire déclencher une guerre préventive contre l’Iran : car comment voulez-vous accorder du crédit à des zozos qui se montrent incapables de se prémunir contre des mécaniques, aussi sophistiquées soient-elles, « bricolées au fond d’un garage » ?

En 1967, au moment de la guerre des Six jours, le monde arabe s’est retrouvé littéralement sidéré par la supériorité technique et militaire des Hébreux. Pour eux, après la proclamation unilatérale de l’État israélien et la guerre perdue de mai 1948 qui s’ensuivit, les Juifs vivant encore au sein du Dar al Islam, n’étaient plus considérés qu’en tant que « dhimmis » vivant discrètement en marge de la haute société arabe. Le réveil fut brutal. De même aujourd’hui, les dirigeants israéliens qui vivent éveillés leurs rêves mégalomaniaques, risquent fort de déchanter… et même de se trouver confrontés à quelques sévères déconvenues.

Conséquences mortifères

Le drone Ayoub pourrait en représenter l’un des signes précurseurs. Au même titre que l’incapacité des occidentalistes à renverser rapidement le pouvoir laïc de Damas autrement que par une politique de terreur allant crescendo… Cela en prenant le risque – notamment la France - de former dans les « maquis » syriens les djihadistes qui demain importeront en Occident leurs techniques de guérilla dans des banlieues extraterritorialisées et autosuffisantes grâce à l’argent de la drogue… et aux armes que ces trafics permettent d’acquérir. Des armes de guerre qui affluent depuis une décennie dans l’Hexagone – comme on le constate presque chaque jour à la périphérie nord de Marseille - conséquence, entre autres, de notre belle victoire à l’arrachée contre le régime serbolchévique de Belgrade et l’émancipation en 1999 du Kosovo ! Même orientation, même topo. Hier en Libye, aujourd’hui en Syrie.

Les armes libyennes nous font, elles, la guerre au Mali. Que deviendra donc quand la « guerre civile » syrienne s’invitera sur le territoire d’une France déliquescente en « perte profonde de repères »… cela parce qu’auront été pieusement détruites - par le truchement des « rigueurs de la loi » et du matraquage idéologique culpabilisant - toutes les défenses immunitaires de la nation et avec elles, toute velléité de défense collective ? De ce point de vue, nos chers idéocrates et nos géniaux apprentis sorciers auront importé dans l’Hexagone le « modèle syrien »… sans même s’en apercevoir ! Sauf les Lévy, Kouchner, Bérès et Glucksmann, qui ne se gênent pas pour revendiquer la guerre au nom de la morale et de l’humanité. De ce point de vue le XXIe siècle marque authentiquement une ère de grands progrès… dans l’ignominie !

« Il m’a frappé et il a pleuré. Il a couru avant moi pour m’accuser »

Israël, éternelle victime, se plaint à présent d’avoir été survolé par un drone provenant du Liban, ceci alors que ses avions pénètrent sans vergogne et quotidiennement l’espace aérien libanais depuis près de cinquante ans. Sans susciter de protestations de la part des Casques bleus présents au sud Liban, et encore moins du gouvernement libanais compradore. Ainsi l’ancien Premier ministre euratlantiste Fouad Siniora n’y va pas par quatre chemin lorsqu’il s’indigne du vol d’Ayoub, ce qui à ses yeux constituerait « une violation de la résolution 1701 et une provocation… cela ressemble en pratique à une déclaration de guerr » [Mediarama, Beyrouth 15 oct] ! Et puis quoi encore ?

Il y a en effet de quoi s’émouvoir. Le ministre iranien de la Défense, le général Ahmad Vahidi, a confirmé le 14 octobre [Al-Manar] que le drone Ayoub lancé par le Hezbollah le 6 octobre « au-dessus de l’entité sioniste » avait bien été fourni par l’Iran. Qui en aurait douté ? « Les capacités de la République islamique sont beaucoup plus grandes que cela et sont au service de la nation islamique… Il est devenu clair que le régime sioniste ne réussira pas à imposer son hégémonie sur les pays islamiques et ne pourra pas échapper à la colère des musulmans ».

« La colère des musulmans »… En fait, l’Orient doit faire face, de la part des États-Unis, à une suprématie des armes à la fois intacte et inégalée. Cependant, les Euratlantistes se trouvent de leur côté confrontés à un monde émergent de moins en moins enclin à se laisser dicter sa loi et qui apprend de plus en plus vite les ficelles de l’art et de la science de la guerre asymétrique… Celle du fort au faible… Avant de se lancer à corps perdu dans de nouvelles aventures guerrières, nos dirigeants, socialistes libéraux français et européens, les républicains et démocrates américains, seraient quand même bien avisés de procéder urgemment à de savants calculs de débours, de gains et de risques. Mais connaissent-ils encore les règles élémentaires de l’arithmétique ? Rien n’est moins sûr ! Encore de beaux chaos en perspective…

Notes

[1La centrale de Dimona dans le Néguev, mise en service en 1963, a été édifiée dans le plus grand secret grâce à une forte assistance française et hors de tout contrôle de l’Agence internationale à l’énergie atomique - AIEA. Dès sa première année, le site fournissait suffisamment de plutonium pour la fabrication d’une première charge nucléaire. Têtes nucléaires au nombre estimé de deux à trois cents actuellement. Israël qui n’a évidemment aucun compte à rendre à la Communauté internationale veut conserver un monopole de la terreur nucléaire non seulement au Proche-Orient mais aussi à l’égard des puissances occidentales sur lesquelles il exerce des chantages aux multiples visages…
En menaçant de recourir à l’emploi du feu nucléaire contre ses voisins, l’État hébreu entend dicter leur politique étrangères aux États occidentaux… et il y parvient en grande partie notamment grâce à ses relais et aux binationaux actifs au sein des élites occidentales. En septembre 1986, un technicien israélien, Mordechai Vanunu né au Maroc révélait dans le Sunday Times que le réacteur de Dimona produisait annuellement une quarantaine de kilos de plutonium et que son pays possédait alors entre 100 et 200 bombes. Enlevé par le Mossad il passera dix-huit années au secret avant d’être libéré. Il s’est depuis converti au catholicisme.

[2En juillet dernier les services de sécurité et de contre-espionnage du Hezbollah ont mis un terme dans la banlieue sud de Beyrouth, aux activités d’un réseau de trois agents travaillant pour le Mossad.
Précédemment entre novembre 2008, en janvier et en mars 2009 plusieurs dizaines d’individus convaincus d’espionnage au profit du Mossad – mais pas seulement le renseignement militaire, Shin Bet, ainsi que les “Unités“ 8200 et 504 semblaient également impliqués - avaient déjà été arrêtés. Un grave revers pour le Renseignement israéliens au Liban qui se traduit à présent par le camouflet du drone Ayoub.

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