« Persia delenda est », lisons-nous, mais en réalité, c’est un autre mode grammatical, qui n’a rien d’une emphase rhétorique qu’emploie réellement Jean-Michel Vernochet, celui du futur immédiat, car il ne veut pas seulement rapporter les slogans des sénateurs américains ou maçonniques, mais nous dire : L’Iran – nom officiel et plus juste de la Perse depuis le décret daté du Norouz 1935 pris par Reza Shah futur déporté par l’Angleterre - est sur le point d’être détruit, « deletura est » (ce qui donne l’adjectif « délétère », à parler, en humaniste, le dit « latin » ! C’est en réalité, l’inverse qui se produirait, et la nouvelle et l’ancienne Carthage, que sont les puissances maritimes anglo-américaines se préparant semble-t-il à l’assaut contre cette fameuse et réelle Rome que serait la puissance eurasienne : Moscou n’est-elle pas en effet la « Troisième Rome », attaquée dans les faubourgs de Damas selon le mot juste de Vladimir Poutine ?
Cela en y adjoignant la “Rome” iranienne… sans jeu de mot sur la cité sainte ! Honni soient ceux qui s’en étonneraient mal à propos, tout en exaltant dans une effusion maçonnique, disait Heidegger, la Grèce des tribuns et des avocats, flatteurs du démos ou de la masse, un trésor de lois et d’équilibre, de sacré et d’ordre, qui faisait l’admiration de Platon pour la Perse antique, celle des Mages de nos crèches chrétiennes, contre les tyrannies mercantiles qui se disaient des démocraties, persécutrices de la philosophie, empoisonneuses des Socrate, ou déicides.
Le livre de Jean Michel Vernochet est sobre, conformément à son caractère qui met toute la passion qu’une humanité légère épuise en vanités, dans sa foi éclairée d’une raison - et ceci est un trait général, observé par Goethe, de mes compatriotes - toute mathématique ; il s’attache à marquer l’impuissante liberté de ceux qui se font irrésistiblement absorber par leur modèle : Marx a sa vérité dans cette aliénation bien décrite de l’homme-machine qui croit agir « avec l’ignorance », selon le mot d’un cartésien extrême, « des causes qui le déterminent » ! Le miracle existe, et Jean-Michel connaît les terres de la religion que nos chers libertins de 1968 ou les « immoralistes » et « uraniens » – comme ces candidats au Mariage pour tous se désignaient à l’époque de Gide - ont laissé en friche, sinon y ont répandu du sel, pour le stériliser, comme le “Mars Très Chrétien” le fit sur le terrain de l’abbaye de Port-Royal des Champs. Mais le monde a sa logique propre et sur ce point, l’on ne saurait enlever à la prédiction de l’auteur d’un inéluctable conflit entre non pas l’Amérique obamesque, fantôme d’une jeunesse rêveuse des pays nouvellement éveillés, mais sa structure robotique financière identifiée au « monde libre » en croisade depuis 1914, au « nihilisme européen » - ou à la statue de la Liberté enchaînant la volonté de Dieu même à ses désirs surhumains, comme on dit talmudiquement que Jéhovah écoute les conseils des rabbins pour mener sa Création qui le dépasse - et l’Iran, cette vérité dont il faut mesurer les éléments.
« Ce serait à tort que l’on imaginerait que l’Amérique décide seule du sort du monde » précise-t-il [2] car « fût-elle monde, elle est elle-même l’une des roues d’une mécanique mondiale. A ce titre, elle est à la fois prisonnière d’elle-même et d’un système planétaire qui impose ses contraintes dans une logique de compétition et de survie » [3]. Cette citation de l’auteur définit tout le concept de système que nous relevons comme celui d’un organisme vivant qui nourrit ses organes, que nous prenons pour ses maîtres.
À cet égard, le stoïcisme, qu’on dit de la Grèce romanisée, cultivé à la Renaissance du monde antique, ou cette philosophie d’un monde vivant et structuré, véritable animal cosmique, où nous tenons « notre position », au sens militaire, comme l’auteur tient la sienne dans cet essai d’éducation morale et politique est vraiment la culture sur laquelle repose l’ouvrage ; et ce livre peut être d’un grand secours à ceux qui ne jugent que par réaction, et non dans les limites de l’action possible.
Un point à relever est sa définition du concept de « libre marché », qui est « le territoire de la guerre » (sic) « aussi bien économique et politique qu’un théâtre d’affrontements armés ». Ceci est proposé – et qui ne l’accepterait ? – à l’évidence. Mais, dans cette seconde partie de l’ouvrage, [4], intitulée « recomposition de l’ordre international et le retour de la confrontation des blocs », se trouve présentée l’inévitabilité d’un affrontement destructeur de l’Iran, comme fut éliminée l’Autriche-Hongrie pour y substituer des États-croupions, invivables (sauf à jouer dans le cirque de la finance et des impostures économiques), comme furent détruits la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, toutes guerres patronnées par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne pour détruire les vrais impériaux, ceux qui firent – et sont encore aujourd’hui le ressort de l’Europe et de l’Eurasie - contre les vampires du Continent !
Cette notion de confrontation au sien d’un système unique – ce que fut la conférence de Yalta ou de Téhéran avec plusieurs musiciens, mais un seul chef d’orchestre - ou le champ clos – que Kant décrit dans sa « Critique de la Raison Pure » (1781) comme celui de l’affrontement perpétuel et solidaire du scepticisme et du dogmatisme, où les lutteurs, comme dans les combats de coq s’épuisent à la grande joie du Diable - est parfaitement applicable au monde ; si celui-ci est par ailleurs cet échiquier dont traite – et que cite abondamment l’auteur - Brzezinski, tous les pions de ce jeu infernal ne sont tels que par la base du marché international. Quelqu’un veut-il en sortir, il a aussitôt contre lui une coalition des plus hétéroclites où se mêlent pays émergents, vieilles nations, et toutes les catégorie d’âges et de métier… le jour divisées ou séparées, en droite et gauche, et la nuit réconciliées dans la réaction instinctive des passions !
Pour Jean-Michel Vernochet, le Léviathan – nom de ce démon ancien dont on a fait un symbole de la tyrannie du pouvoir nécessitée par la méchanceté humaine - qui menace les sociétés jeunes parmi lesquelles cette Syrie devenue une seconde Espagne - avec ses nouveaux « Rouges » sentant le pétrole, mais aussi avec ses Hemingway venus sous forme d’ONG au secours des anarchistes/salafistes contre Franco/Assad (les deux n’auront jamais reconnu l’entité sioniste !) - est cette fameuse réserve de gaz de méthane qui fait de Gaza à la Turquie – via Israël créé, en 1917, à la suite d’une « révolte arabe » wahabite, un marché appétissant. Tout doit maintenant rentrer dans le rang. C’est donc à une forme inédite d’économie que s’attache le « désordre organisé » actuel - et qui expliquerait l’armement fabuleux des États-Unis, alors que le pays est transformé en enfer d’endettement, que le dragon chinois, relève Jean-Michel Vernochet, ne répugne pas, poussé par la logique « systémique » d’entretenir de sa flamme [5] !
Il y a là une forme philosophique proprement allemande, hégélienne - quelle que soit l’idée appauvrie qu’en donne le marxisme des ghettos, pauvres ou luxueux, de l’Europe centrale ou russe jusqu’à la Nouvelle Angleterre ou Chicago, - ou encore calomnieuse, dans l’Ecole sociologique américaine née à Francfort/Main - dans la réflexion de JM Vernochet, quand il dit que le système libertaire de marché est absorbé par son concept : la violence est alors l’incapacité d’asseoir une forme stable, car l’homme-moderne, l’homme des Goldmann-Sachs est insatiable et donc nourrit l’appétit d’un monstre.
Il est unique de lire dans ce livre de 100 pages, en ne comptant pas les annexes, des propositions qui désintoxiquent l’entendement diviseur, comme ces contestations anticapitalistes, du style Occupy Wall Street qui ne sont que de la figuration pour aider justement à la déstabilisation sociale et économique des concurrents de ce même système financier. C’est ainsi que la révolution a continué de balayer les régimes abattus par la formidable Armada des puissances thalassocratiques en 1917. À ce titre, l’islamisme actuel n’est qu’une suite de ces émeutes qui ravageaient l’Europe des années vingt ! Hier Hambourg, Munich, Madrid, aujourd’hui Damas. Et demain... l’Iran ?
Attaquer l’Iran, comme la Syrie n’est pas une promenade militaire ou du tourisme pour agents terroristes, car – ce que ne semble pas assez connaître, non pas JM Vernochet sur ce point plus savant que nous, peut-être aussi plus français d’esprit, plus auteur - mais le monde trop « formaté » par les demi-penseurs anglo-saxons, c’est que le système formel mathématisable, est concurrencé par un autre, dynamisable - et c’est lui qui a causé, je le concède trois conflits – dont celui, mondial que nous vivons à l’heure actuelle - mais aussi a ruiné la base de l’économie capitaliste en la rendant solidaire de l’anarchie ? Comme il est dit de cette école de Chicago [6] de « l’idéologie anarchocapitaliste » bien plus destructive, car moins bouffonne et visible, bien plus occulte que l’idéologie libertarienne !
Y aurait-il une force capable de paralyser ce processus ? Oui, celle-là même qui a toujours causé cette fébrilité de construction de l’UE, de l’OTAN, des G indéfinis, celle qui est croissante, qui équipe - pardonnez ce trait qui n’a rien de caricatural - la police chinoise (je parle de Volkswagen suivi par Peugeot). Cette force – qui a donné naissance à l’idée hégélienne (du dernier classique de l’idéalisme allemand né en 1770 comme Beethoven) assimilée à la Vie et non pas seulement à quelque logique - est en train de détruire le modèle économique qui n’était qu’un rêve, car un marché, une finance, une ambition, sans qualité de travail est un « concept sans intuition » ; et c’est pour l’avoir compris qu’effectivement le « système » enrage contre le monde, en se prenant pour le monde… Or il a contre lui l’ordre mondial réel, et disparaît ainsi comme un corps perd son ombre, en n’ayant existé que comme parasite, parmi les puissances de la nuit, incapable d’imaginer l’Aurore.
Pierre Dortiguier dr. ès Lettres