Geopolintel

ALGERIE 1955 : L’APPEL DE CONSTANTINE

POUR UNE PRISE DE CONSCIENCE DE LA REALITE ALGERIENNE

mardi 4 juin 2013

Depuis le 1er novembre, la situation en Algérie se détériore rapidement. L’insécurité s’accroît, la peur et la méfiance s’installent ; la violence se déchaîne et frappe aveuglément.

Pourtant tous ceux qui, quelle que soit leur origine, sont nés et vivent dans ce pays, forment une communauté de fait dont tous les éléments sont, à titres divers, utiles et nécessaires à l’ensemble bien que des inégalités flagrantes les fassent se dresser chaque jour davantage les uns contre les autres.

Les signataires du présent appel sont persuadés que l’usage de la force et le recours à la violence ne sauraient résoudre aucun problème, et que l’un et l’autre ne font qu’accuser les ressentiments et attiser les haines, réveillent les intolérances qui, en définitive, compromettent l’avenir de l’Algérie.

Ils demandent donc à tous les hommes de bonne volonté, quelles que soient leurs tendances politiques, leur origine ethnique ou leur appartenance religieuse, de se grouper pour étudier ensemble les mesures susceptibles de :

  • ramener la paix en Algérie,
  • renforcer les liens de la communauté qu’elle constitue de fait de manière à lui donner le sentiment de sa solidarité interne et de son unité spirituelle,
  • conduire rapidement tous ses membres vers la liberté, l’égalité et la justice sociale. »

Geopolintel : « Monsieur René Mayer, vous avez été plus qu’un témoin de cet Appel, vous en avez été l’un des acteurs, pourriez-vous pour nos lecteurs revenir sur l’espoir que portait cet Appel »

L’Appel de Constantine a été rédigé par Allaoua Abbas et par moi. Puis approuvé par Ferhat Abbas lui-même. Nous l’avons ensuite, Allaoua et moi, fait cosigner par une soixantaine de personnalités du Constantinois, des élus pour la plupart, les uns européens et les autres musulmans, à part sensiblement égales. Cet « appel », intervenu six mois avant qu’Albert Camus lance, à Alger et dans le même esprit, son « Appel à une Trêve civile », préconisait une négociation politique plutôt qu’une intensification de cette guerre qui allait provoquer environ 300 000 morts et se révéler aussi atroce qu’inutile.

Nous devions le publier et annoncer ainsi l’existence, dans l’opinion publique, d’une « Troisième force » qui n’était ni adepte d’une révolte sanglante qui ne reculait devant aucun moyen, ni partisane d’un conservatisme intégral. Une troisième force à laquelle Ferhat Abbas ne s’était pas rallié (il n’a pas signé l’Appel) mais dont il a admis que son neveu et collaborateur préféré fasse partie.

Allaoua Abbas et moi avons été pris de vitesse par le forgeron de Condé-Smendou, le conseiller municipal Zighout Joussef, chef du maquis du Nord-Constantinois. Le 20 août 1955, celui-ci a utilisé les membres de son maquis (2 ou 300 « fellaghas » en uniformes) pour pousser la population musulmane au « Djihad » (la guerre « sainte ») et à massacrer avec le maximum d’horreur tout ce qui était européen et « incroyant ». Les ouvriers des mines de Skikda ont égorgé leurs collègues européens et leurs familles.
A Aïn Abid, à l’Est de Constantine, la populace a violé, éventré, égorgé, coupé en morceaux des familles chrétiennes entières. Depuis un bébé de quelques mois jusqu’à une grand-mère de 73 ans. Dans son film (que la télévision française refuse de diffuser) « Algérie, histoires à ne pas dire », le cinéaste Jean-Pierre Lledo fait parler des gens qui ont participé eux-mêmes à ces massacres.

Le même jour Alloua Abbas fut assassiné par le FLN, j’en suis convaincu pour son rôle dans l’Appel de Constantine, d’ailleurs d’autres signataires ont été blessés ou visés.

L’armée française est intervenue rapidement. Elle a réprimé sans trop faire dans la dentelle. Le FLN soutient que cette répression fit 12 000 morts. Ce chiffre est fondé sur le nombre de familles qui ont déclaré avoir perdu l’un de leurs membres. Je pense que, comme dans tous les cas semblables, il faut enlever au moins un zéro. En fait, je n’en sais rien car le 20 août, je n’étais pas dans le Constantinois. Cela m’a d’ailleurs peut-être sauvé la vie. J’étais à Paris où j’avais rendez-vous avec Gilles Martinet, co-fondateur du Nouvel Observateur, avec Claude Perdriel, mon camarade de promotion de l’X, précisément pour leur communiquer l’Appel et ses signataires et les leur faire publier.

Mais après une telle violence, de part et d’autre, les appels à la négociation n’étaient plus de mise. Seuls désormais comptaient les rapports de force. J’ai demandé à être rappelé dans l’armée. J’ai été affecté à El-Milia, en Petite Kabylie, sous les ordres du colonel Le Ray, futur général et gendre de François Mauriac. C’est là qu’on est venu, trois ou quatre mois plus tard, me chercher pour me demander de créer, au Ministère de l’Algérie, une direction de l’Habitat, direction dont la Commission de l’Habitat de l’Assemblée algérienne réclamait la création.

En trois ans, j’ai multiplié par trois le nombre de logements mis en chantier annuellement. Puis De Gaulle est arrivé. J’ai été viré de ma direction car le Général ne voulait pas qu’un Pied-noir, soupçonné a priori d’être OAS comme tous les Pieds-noirs, occupe un poste de responsabilité d’un tel niveau. Affecté dans un placard doré, je me suis alors occupé de prolonger le Plan de Constantine auquel j’avais travaillé avec Jean Vibert, et d’en préserver d’une destruction éventuelle tous les documents préparatoires

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