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Yves Saint Laurent Pierre Bergé : une vente cousue main

dimanche 2 juin 2013

La maison de haute couture Yves Saint Laurent valait-elle vraiment les 3,6 milliards de francs déboursés par la Sanofi, filiale de l’entreprise publique Elf ? Histoire d’une transaction très controversée.

Ce mercredi 27 janvier, pour la présentation de la collection Saint Laurent, l’ambiance de l’Inter-Continental est électrique. Une semaine plus tôt, la maison de couture a annoncé sa cession à Sanofi, la filiale d’Elf.

Autour du podium, on ne veut voir que la perfection, première vertu maison. « Le défilé s’enchaînait, avec une sélection courte, resserrée, comme si Yves Saint Laurent avait cherché la quintessence de son art, toujours avec ses modèles favoris : tailleur-pantalon, fourreau de mousseline, smoking... raconte Dominique Brabec, qui a suivi, pour L’Express, les premiers pas du créateur. Et puis, tout d’un coup, ce fut magique : le grand collier de rubis et strass en forme de cœur est réapparu sur sa robe préférée, comme il y a trente et un ans, lors de sa première collection. »
La boucle est bouclée. Pour Pierre Bergé, président de Saint Laurent, ce n’est pas une fin, mais plutôt l’éternité : « Notre maison est assurée de sa pérennité, maintenant qu’elle est adossée à un grand groupe français », insiste l’ami, le confident, le partenaire en affaires du célèbre couturier - ils sont à 50-50 depuis la création de la griffe, en 1962. Mais personne ne l’écoute. Au lendemain de l’annonce de la vente, les concurrents crient au complot. « Saint Laurent a été nationalisé parce qu’il ne trouvait pas d’acquéreur », dénonce le porte-parole de ce grand groupe, qui, ayant examiné le dossier, est sûr que jamais la société n’aurait pu se vendre à un prix si élevé (3,6 milliards de francs) sans une intervention de l’Elysée.

Bergé est en effet un familier de Mitterrand, tout comme Loïk Le Floch-Prigent, le PDG de l’entreprise pétrolière. A la tête de la filiale d’Elf qui a acheté, Jean-François Dehecq ne décolère pas : « Est-ce que j’ai une tête à recevoir des consignes ? tonne-t-il du haut de son mètre quatre-vingt-quinze. J’ai fait un deal propre et intelligent. On est en train de me le saloper. » Or la vente de Saint Laurent n’est pas tant une opération de copinage politique que l’histoire d’une affaire trop ambitieuse, dont la cession était attendue depuis trop longtemps pour paraître honnête, et qui s’est négociée avec des avantages particuliers exorbitants.

LA SORTIE DU CONDOTTIERE

Yves Saint Laurent et Pierre Bergé ont, en effet, perdu, paradoxalement, leur maison le jour où ils ont signé le rachat de ses parfums, à l’automne 1986. Pour rapatrier en France leurs fragrances, propriété jusque-là du laboratoire américain Squibb, Saint Laurent met la main sur une entreprise dix fois plus grosse, à un prix excessif (3 milliards de francs), et avec le mauvais partenaire. Carlo De Benedetti, alors entré dans la maison pour 49%, ne peut y rester - il doit solder son raid boursier en Belgique. Une première sortie est habilement négociée, en 1989. Insuffisante. En 1991, le condottiere veut recouvrer sa liberté. Mais la conjoncture a changé, et les divers investisseurs contactés - Cartier, le japonais Seibu-Saison... - déclinent l’offre qui leur est faite, peu désireux de prendre 15% dans une société dont ses fondateurs, bien que minoritaires, se sont assuré le contrôle grâce à un système de commandite. Du cousu main. On est chez Saint Laurent.

Bergé ne s’entête pas. Avec le couturier, ils rachètent les parts de leur actionnaire italien. « Nous avons trouvé l’argent en deux minutes », se souvient le PDG, sans nier cependant que l’endettement personnel des deux associés - 850 millions de francs, au total - devenait préoccupant. D’ailleurs, quelques mois plus tard, la banque d’affaires Wasserstein-Perella se voyait confier un mandat de vente de ces 15%, moyen pour un groupe repreneur de mettre un pied dans la maison. Instruction des pères fondateurs : trouver un industriel du secteur capable d’assurer la pérennité de Saint Laurent et qui ne soit ni américain ni japonais. Après quelques tentatives rapides, et sans résultat, menées à la fin de 1991 en direction de grandes sociétés européennes, la sélection se réduit très vite aux monstres français du luxe.

Dès le mois de janvier 1992, les premiers contacts sont noués avec Elf. Pierre Bergé, emmené par Alain Minc, son conseiller et ami, rend visite à Loïk Le Floch-Prigent. Et puis, plus rien. Car parallèlement s’engage une longue négociation avec L’Oréal, que L’Express peut révéler, même si le leader mondial des cosmétiques se refuse à la confirmer. « Saint Laurent n’aurait pas déparé dans la collection de marques de L’Oréal », se contente-t-on de reconnaître, officiellement. En réalité, la griffe prestigieuse complète parfaitement la palette des parfums maison, plutôt moyens que haut de gamme. Lindsay Owen-Jones, le PDG gallois, le sait. Il rencontre plusieurs fois Bergé ; cependant, il veut racheter 100%, et pas seulement 15%. On parle même d’un prix proche de 5 milliards de francs. Et pourtant, en juin, on se sépare. Les actionnaires ne suivent pas leur manager : non seulement le prix leur semble élevé, mais surtout ils craignent que le rachat d’un fleuron du patrimoine national n’hypothèque l’éventuel transfert du contrôle de L’Oréal au suisse Nestlé.

Saint Laurent est de nouveau sur le marché. Bernard Arnault, le patron de LVMH, la multinationale française de luxe, l’apprend sans doute, car il téléphone alors à Pierre Bergé. Déjeuner en tête à tête, où le président de Saint Laurent n’envisage une vente à 100% à son grand rival - LVMH, c’est Dior - que si on lui confie la tête d’un pôle luxe, avec les deux prestigieux noms réunis, mais aussi Lacroix et Givenchy. Arnault ne donnera pas suite.
La banque Wasserstein-Perella reprend donc son bâton de pèlerin. Il faut impérativement ferrer la dernière puissance du secteur en France, Elf-Sanofi. Contact est donc pris, à la fin de juillet, avec son PDG, Jean-François Dehecq, pour lui proposer le bloc des 15%, dans un premier temps. A la rentrée de septembre, Pierre Bergé et lui se rencontrent pour la première fois, seul à seul. Deux bonnes nouvelles autour de la table. D’abord, les prétentions affichées pour Saint Laurent sont revues à la baisse, en raison de la chute des résultats du premier semestre 1992 (2 millions de francs, contre 41 l’année précédente). La base de 5 milliards est donc abandonnée. Ensuite, les deux hommes, bien que de sensibilités politiques opposées, se plaisent. On décide de laisser travailler les équipes ensemble. Le 2 décembre, Dehecq va revoir Bergé chez lui : « Prendre 15% d’une commandite, je n’y arrive pas. Vous allez peut-être me jeter hors de votre bureau, mais il faut tout céder. » Bergé, loin d’exploser, voit l’occasion de régler en une fois la pérennité de sa maison. Le feu vert doit être également demandé à Elf, car le montage prévoit de payer Saint Laurent en actions de sa filiale Sanofi. Seul commentaire de Le Floch-Prigent, selon Dehecq : « Si c’est intéressant, allez-y ! »

LE VRAI SCANDALE

Les négociateurs s’activent. Mais la banque Lazard, conseil de Sanofi, butte sur un problème qui ne s’était jamais posé : le débouclage d’une société en commandite. Pour lever ce verrou, une somme de 100 000 francs théoriquement suffit. Or Bergé demande la bagatelle de 700 millions. Comme le dit le PDG proche des socialistes, tout en nuances : « Je ne suis pas attaché aux choses, mais aux justes choses... » Alors que L’Oréal n’avait pas imaginé valoriser ces avantages particuliers plus de quelques dizaines de millions de francs, la Sanofi, elle, donne finalement son accord pour 350 millions ! Fort de ce pactole, le vendredi 15 janvier, dans leur somptueux appartement parisien de la rue de Babylone, les fondateurs de Saint Laurent signent la vente de leur maison.

Scandale politique ?

Pierre Bergé assure n’avoir jamais parlé de l’affaire à ses amis du pouvoir, avant de les avertir de la vente, le lundi 18 : Bérégovoy le matin par téléphone, Mitterrand l’après-midi par lettre. Le Floch-Prigent n’a - curieusement - pas mieux traité son actionnaire : les ministères des Finances et de l’Industrie n’ont été prévenus qu’une fois la transaction signée. Mais le spectacle, le lendemain, des deux proches du président se congratulant devant les journalistes transforme ce qu’ils présentaient comme une bonne affaire en affaire politique. L’Elysée a-t-il téléphoné à son PDG obligé ? Tous les intervenants le démentent. Seul indice, de poids : ni Dehecq, chez Sanofi, ni Polge de Combret, l’ancien conseiller de Giscard, qui a ficelé le deal chez Lazard, ne sont hommes à se coucher devant un diktat rose.

Cadeau financier ?

La question mérite d’être posée. Car Saint Laurent a été payé l’équivalent de 18 fois ses bénéfices, un montant qui n’est plus de mise, depuis la crise des industries du luxe. En outre, ses ventes de parfums ne progressent plus, à l’inverse des performances d’un Dior. Enfin, Dehecq n’a pas voulu jouer avec le temps, et avec un vendeur pressé de conclure, pour tenter d’obtenir un prix moins important. Le PDG de Sanofi balaie d’un revers de main cette objection : « Si nous avions cassé, cette opportunité unique ne se serait jamais représentée ! » Ses actionnaires privés, minoritaires à côté d’Elf, ne l’ont pas applaudi. Le lendemain de l’annonce du rachat, le cours a plongé de 10%. « Le prix payé par Sanofi n’est pourtant pas le problème, observe un parfait connaisseur de ce dossier. Le vrai scandale, ce sont les 350 millions pour l’abandon de la commandite, que rien ne justifie économiquement. Les petits actionnaires seraient bien inspirés de refuser cette clause quand elle leur sera proposée à la prochaine assemblée générale de Saint Laurent. » Un geste de mauvaise humeur qui suffirait à casser cette vente si critiquée.

Par Beaufils Vincent, publié le 04/02/1993

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Pierre Bergé et la vente du siècle.

De laquelle parle-t-on ?

Vendre pour plus de 360 M€ ( peut_on les rapprocher de la somme payée par Sanofi ? ) des objets d’art suppose que l’on a trouvé au préalable les moyens d’en financer les achats.

Un homme avisé, n’ayant pas déclaré ses objets d’Art à l’ISF, en vertu de la Loi promulguée par Laurent Fabius, aurait sans doute placé, avant la vente, les objets en question dans sa propre Fondation pour qu’elle en fût devenue ainsi propriétaire de facto (puisque « possession fait loi »). Il aurait ensuite fait valoir aux acheteurs qu’en achetant des objets à sa fondation, ils bénéficiaient de l’abattement fiscal de 60% sur le montant de la transaction. Il aurait enfin effectué un don important aux musées de France pour que toute l’opération soit entièrement avalisée par l’Administration.

La vente de ces objets d’Art a été réalisée par Christie’s. François Pinault a acheté cette étude 1 G€ en 1998, donc un an avant qu’il ne prît possession d’Yves St Laurent à travers l’acquisition de Sanofi Beauté.

La juxtaposition des noms incite à revenir quelques années en arrière au moment où Loïc Le Floch Prigent, Président de Elf Aquitaine et poulain de François Mitterrand (en 1981, il était en effet l’un des rares ingénieurs du parti socialiste à pouvoir prendre des responsabilités) « autorise » Jean Dehecq, président de sa filiale Sanofi, à racheter la société Yves Saint Laurent.

L’affaire débute en 1992 et se termine en 1999 comme l’indique le tableau récapitulatif ci dessous.

Elle se résume, pour Pierre Bergé et Yves St Laurent, d’abord à un gain de 100 MF en 1992, dans la vente, (en Suisse, de gré à gré , mode discuté à l’époque par les autorités compétentes) de 120 000 de leurs actions, ensuite au renflouement de leurs comptes bancaires à découvert de 70 MFF en juin 1992, puis à l’achat en 1993, par Sanofi, du reste de leurs actions dans la société Yves Saint Laurent valorisée pour la circonstance à 3,6 GFF (3 milliards) et enfin au versement de 865 MFF d’indemnités (sans raison mais avec justificatif).

Il semble déplacé dans ces conditions de qualifier la vente aux enchères de ces derniers jours. Est-elle le résultat d’une manœuvre financière (une de plus) ou doit-elle prendre un caractère charitable ?

Il est vrai que certains grands hommes sentent venir l’heure des comptes à la fin de leur vie.

1G=1milliard

déc-90
La société Yves St Laurent (YSL) rachète Cerus un concurrent pour 540 MF

juin-92
Mauvaise situation financière de la société YSL :
Perte de 27 MF au 1 er semestre 1992
Compte débiteur de Bergé et de St Laurent en juin 1992:70MF
de juillet à septembre
Vente de gré à gré en Suisse de 120000 actions YSL pour le compte de Bergé et de St Laurent. Gain 100 MF.
Ceci en opposition avec les règlements de la COB, donc sans avoir recours à une société de bourse.
Pour renflouer les comptes particuliers, abrités chez la NSM

juil-92
Discussions exploratoires entre JP Halbron, dir Financier de YSL et le Président de Sanofi JF Dehecq

sept-92
Bergé et Dehecq déjeunent ensemble

17 et 18 septembre 1992
Grosses transactions sur le titre YSL cours 818 F

déc-92
Dehecq annonce l’acquisition du total de YSL

déc-92
Cours de YSL 454 F

janv-93
Transaction terminée sur la base suivante :
Bergé et St Laurent reçoivent 365 MF pour transformer la société YSL de commandite en société anonyme. Motif ?
Cours de YSL 800 F.
Echange de 5 actions YSL pour 4 Sanofi
YSL est valorisée à 3,6 G FF
Constitution de YSL Beauté et de YSL Couture SAS.
Bergé et St Laurent ont le droit de regard sur l’utilisation du nom et des nouveaux parfums.

août-98
Pinault rachète Christie’s pour 7 G FF

mars-99
Artémis rachète Sanofi Beauté

juin-99
Bruxelles approuve l’achat de Sanofi Beauté
Par Artémis (Holding de PPR François Pinault Printemps Redoute)

nov-99
Gucci, possédé majoritairement par PPR, achète à Artemis Sanofi Beauté pour 6,36 G FF ou 969 M€
Bergé garde un droit de regard sur YSL Couture.
Pinault le lui rachète pour 500 MFF

Sources :

L’express : Nouzille Vincent, Benhamou-Huet Judith, 13/04/2000

L’Expansion : Jaqueline Matttei 26 /06/1995

Le Nouvel Observateur : 18 novembre 1999

Les Echos : Xavier Lecœur 1999

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