Le régime social des indépendants et l’interlocuteur social unique
Cour des comptes septembre 2012
Pourtant, la création de l’interlocuteur social unique a provoqué dès
2008 de très lourds dysfonctionnements pour les assurés dont le caractère
récurrent a provoqué la fragilisation durable d’un régime qui comptait en
2011 près de 2,7 millions de cotisants, 2 millions de retraités et
3,9 millions de bénéficiaires de prestations d’assurance maladie et pour
qui les URSSAF recouvrent 8,2 Md€ de cotisations.
Compte tenu de l’ampleur et du caractère pérenne de ces difficultés, la Cour a cherché à analyser les causes des blocages liés à la création de l’ISU, à apprécier les raisons de l’absence de redressement rapide d’une situation profondément compromise et à mesurer les effets qui en ont résulté tant pour les assurés que sur la situation financière du régime.
186. Elles recouvrent aussi la CSG, la CRDS et les cotisations d’allocations familiales à acquitter par ces professions, soit au total 13,1 Md€.
Elles ont justifié depuis 2008 une réserve de portée générale de la Cour dans le cadre de la certification des comptes de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), tête de réseau des URSSAF.
Cette réforme a été mal construite et mal mise en œuvre en raison de
compromis institutionnels laborieux et d’une mésestimation complète des
contraintes techniques (I). Son échec malgré des plans d’action successifs a entraîné de graves perturbations pour les assurés et, à ce stade, de lourdes conséquences financières pour les comptes sociaux insuffisamment mesurées et prises en compte (II). La persistance de difficultés considérables malgré certaines améliorations récentes nécessite de donner la priorité au rétablissement rapide et complet de la fonction de
recouvrement (III).
I - Une réforme de simplification administrative mal construite et mal mise en œuvre
La protection sociale des indépendants s’est progressivement
organisée hors du champ du régime général des salariés, d’abord avec la
création de régimes autonomes de retraites sur une base professionnelle
(1948) puis, plus tardivement, d’assurance maladie (1969).
La création du RSI a permis de simplifier des structures multiples en fusionnant trois grandes caisses nationales et leurs réseaux et la mise en place de l’ISU a recentré sur les URSSAF le recouvrement des cotisations.
Cette réforme qui entendait ainsi apporter des simplifications administratives majeures à des professions traditionnellement rebutées par la complexité de leurs relations avec les organismes gérant leur protection sociale, a été en réalité le fruit de compromis institutionnels. Ces derniers ont abouti paradoxalement au maintien d’une compétence partagée en matière de recouvrement dont la mise en œuvre s’est de plus révélée défaillante en raison d’une complète sous-estimation des difficultés techniques.
La caisse nationale d’assurance maladie des non-salariés (CANAM) et, pour l’assurance retraite des artisans et des commerçants, la caisse autonome de compensation de l’assurance vieillesse artisanale (CANCAVA), la caisse de compensation de l’organisation autonome nationale de l’industrie et du commerce (ORGANIC), ainsi que cinq caisses de retraite professionnelles. Les caisses de retraites des professions libérales sont restées dès l’origine en dehors du champ du RSI.
A – Avant la réforme, un recouvrement des cotisations
éclaté et marqué par des spécificités fortes
1 – De multiples intervenants pour le recouvrement
Le réseau des 104 URSSAF et des quatre caisses générales de
sécurité sociale outre-mer (CGSS) prélevait les contributions et
cotisations à caractère général, n’ouvrant pas spécifiquement des droits
(contribution sociale généralisée -CSG-, contribution au remboursement
de la dette sociale -CRDS-, cotisations personnelles d’allocations
familiales). Il encaissait ainsi 45 % des contributions et cotisations
sociales des indépendants.
Les cotisations ouvrant spécifiquement des droits étaient pour leur
part recouvrées par les organismes appelés à liquider les prestations :
- d’une part, les mutuelles ou compagnies d’assurance conventionnées
avec l’assurance maladie des professions indépendantes (CANAM), à
hauteur de 15,5 % du total - d’autre part les différentes caisses de retraite professionnelles, celle des artisans pour 10,9 % (CANCAVA), celle des commerçants pour 9,6 % (ORGANIC).
Au total, les artisans et les commerçants devaient s’adresser à trois
ou quatre guichets selon la nature des cotisations dont ils étaient
redevables.
2 – De fortes particularités en matière de recouvrement des
cotisations et d’ouverture des droits
Les régimes des indépendants étaient traditionnellement caractérisés par des spécificités marquées, reprises par le RSI et qui ont des conséquences importantes au regard du processus de recouvrement
- l’ouverture et le calcul des droits à retraite et indemnités journalières
(IJ) sont subordonnés au paiement effectif des cotisations.
Par ailleurs, les caisses de retraites des professions libérales (principalement la CNAVPL) représentaient 19 % de ce total avant la réforme.
Les URSSAF (CSG, CRDS, allocations familiales), les organismes convention nés pour l’assurance maladie de base, éventuellement un autre organisme au libre choix de l’assuré pour une assurance complémentaire santé, la caisse de retraite derattachement pour l’assurance vieillesse de base et complémentaire.
Article L. 613-8 du code de la sécurité sociale pour les prestations d’assurance maladie en espèces ; article L. 634-2-1 pour les prestations d’assurance vieillesse.
L’organisme en charge du versement de ces prestations en espèces doit
pouvoir vérifier que les assurés sont à jour de leurs cotisations ;
- l’assiette, les règles de plafonnement et les taux ne sont pas
identiques avec ceux du régime général192 ; - les indépendants doivent payer des cotisations minimales qui
n’existent pas pour les salariés193.
Si l’ISU a permis de réduire fortement le nombre d’organismes en
charge du recouvrement des cotisations, il n’a pas modifié les spécificités
des prélèvements sociaux à la charge des indépendants ni réellement
unifié leur recouvrement.
B – Un objectif de simplification inabouti
1 – Un processus de décision sinueux
a) Du guichet social unique au régime social des indépendants
Dans le cadre d’un vaste chantier de simplification administrative,
le gouvernement avait proposé à l’automne 2002 une réforme du
recouvrement des cotisations sociales des indépendants avec l’instaura-
tion d’un guichet social unique permettant au travailleur indépendant de
choisir l’organisme auquel il doit verser ses cotisations sociales. Cette
perspective de libre choix portant initialement sur le seul recouvrement
des cotisations a abouti finalement à la fusion de trois grandes caisses
concernées et de leurs réseaux au sein du RSI et à l’instauration d’un
interlocuteur social unique sans libre choix des assurés, l’ISU.*
En effet, en mai 2003, les présidents de l’ORGANIC, de la
CANCAVA et de la CANAM se sont exprimés dans une lettre commune
contre le guichet unique de libre choix « conduisant à une mise en
concurrence des régimes sociaux légaux contraire à l’esprit du service
public ». Avec pour référence implicite le modèle de la mutualité sociale. L’assiette des prélèvements sociaux des indépendants non agricoles est le revenu net pris en compte pour le calcul de l’impôt sur le revenu en réintégrant dans l’assiette certains éléments déductibles. Contrairement aux salariés du régime général, elle est plafonnée pour les cotisations maladie (cinq fois le plafond) et n’est pas déplafonnée pour les cotisations retraite de base. Les taux de cotisation d’invalidité, décès et retraite
des artisans et des commerçants sont inférieurs d’environ cinq points à ceux des salariés.
En 2011, 1 018 € pour des revenus annuels inférieurs à 14 141 € au titre de l’assurance maladie, maternité et les IJ, 430 ou 417 € selon le statut pour des revenus inférieurs à 1 800 € pour les retraites de base et complémentaire, 130 ou 93 € pour des revenus inférieurs à 7 200 € pour l’invalidité-décès.
Ils ont proposé une fusion des régimes avec « un véritable
guichet unique englobant le recouvrement des cotisations et la gestion des
prestations maladie et vieillesse ». Toutefois, les caisses ne se sont pas accordées sur la répartition des compétences pour le recouvrement des cotisations, dont l’ACOSS revendiquait l’entière responsabilité. Un rapport d’inspections générales a alors préconisé en novembre 2003 un transfert du recouvrement aux URSSAF sans libre choix des assurés, mettant en avant la maturité de leur système informatique (SNV2) qui lui aurait procuré « un avantage technologique immédiat » par rapport à celui des trois caisses.
Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont finalement opté pour la
création par ordonnances du régime social des indépendants et pour le
recouvrement, d’un interlocuteur social unique sans libre choix.
b) Un interlocuteur social unique mais un recouvrement partagé
L’ordonnance relative à l’ISU dispose que les caisses de base du
RSI exercent la mission d’interlocuteur social unique. Les URSSAF
agissent ainsi par délégation du RSI, pour son compte et sous son
appellation195. Le processus du recouvrement, en affichage unique, est en
réalité partagé :
- le RSI affilie les personnes redevables et collecte les déclarations
communes de revenus (DCR) ; - les URSSAF assurent le calcul, l’encaissement et le recouvrement
amiable des cotisations et contributions sociales jusqu’au trentième
jour suivant la date d’échéance ou la date limite de paiement ; - le RSI assure la poursuite du recouvrement amiable au-delà de cette
date et le recouvrement forcé, ainsi que le versement des prestations,
ce qui nécessite, dans le cas des indemnités journalières (IJ) et des
pensions, de disposer de l’information selon laquelle l’assuré est à jour
de ses cotisations (d’où la nécessité d’un « flux retour » d’informations
des URSSAF vers les caisses régionales du RSI).
Les URSSAF assurent ainsi, à la suite de cette réforme, la plus
grande part du recouvrement des cotisations et contributions sociales des
indépendants pour le compte du RSI, mais elles ont perdu le recouvrement. La CANCAVA était traditionnellement favorable aux URSSAF, l’ORGANIC souhaitait conserver la fonction de recouvrement et la CANAM, fonctionnellement proche des organismes conventionnés, était plus partagée. Article L. 133-6-3 du code de la sécurité sociale.
La réforme aboutit à une simplification partielle des structures
(avec le maintien de l’autonomie des caisses de retraite des professions
libérales) et du recouvrement avec un partage de ses différentes étapes
entre le RSI et les URSSAF.
La réforme du régime social des indépendants (RSI) et de l’interlocuteur
social unique (ISU)
CNAVPL : caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales
CNBF : caisse nationale des barreaux français
Source : Cour des comptes
c) Un mauvais compromis
Le RSI proposé par les caisses des indépendants était une façon pour
elles d’éloigner le risque de l’absorption par le régime général et de garantir aux élus de ces professions une place au sein d’un régime complet au niveau local comme au niveau national, avec la reconnaissance de leur rôle en particulier en matière d’action sanitaire et sociale.
Les pouvoirs publics pouvaient de leur côté avec la création du
RSI engager un processus de rationalisation de l’organisation des
régimes, avec l’espoir de gains d’efficience et d’un meilleur service en
regroupant des structures éparses aux performances inégales et s’appuyer
sur lui pour parvenir à mettre en place l’interlocuteur social unique qui
était leur objectif premier.
Mais le transfert du recouvrement aux URSSAF a été décidé en l’absence de vision commune des caisses intéressées. L’ACOSS y voyait l’opportunité de consolider les URSSAF, en particulier les plus petites dont l’activité dépendait parfois de façon significative du recouvrement des contributions des indépendants. Le RSI gardait des responsabilités qui lui conservaient une proximité avec les assurés, à laquelle les représentants des professions concernées étaient particulièrement attachés, l’affiliation et le recouvrement amiable et forcé.
Au total, dans un contexte de méfiance entre les acteurs de la
protection sociale des indépendants, les préoccupations d’équilibre
institutionnel ont primé sur le réalisme indispensable à la bonne mise en
place d’un nouveau régime de sécurité sociale.
2 – Une rupture du continuum du recouvrement aux conséquences techniques non mesurées
Pour que ce partage des responsabilités puisse fonctionner, il faut
faire dialoguer des systèmes d’information différents, ce qui constitue un facteur de complexité largement occulté au moment des arbitrages.
L’enjeu majeur du retour d’informations des URSSAF vers le RSI
sur le paiement des cotisations, qui conditionne l’ouverture des droits en
matière d’IJ et de pensions (« flux retour »), n’a été identifié en effet
qu’en septembre 2006 et n’a toujours pas trouvé de solution satisfaisante
à la mi-2012.
La complexité de la notion d’indépendant qui a pu conduire à des
différences d’appréciation entre organismes n’avait pas été non plus
appréhendée. En outre, le nombre d’entrées et de sorties chaque année
dans les fichiers du RSI est très élevé, contrairement à la MSA. Ce taux
de rotation des fichiers s’explique par la nature de l’activité non salariée,
avec des durées parfois courtes (créateurs d’entreprises), des alternances
de travail salarié et non salarié, des situations de pluriactivité. Ainsi, 90%
environ des retraités artisans et commerçants ont eu une activité salariée
au cours de leur carrière et les durées moyennes d’assurance sont
relativement courtes dans le régime des indépendants (14 ans pour les
nouveaux retraités artisans, 11 ans pour les commerçants).
L’existence de comptes incomplets d’assurés (appelés « singletons »), vice caché de l’ancien système de recouvrement, a été révélée à l’occasion de la fusion des fichiers de cotisants.
Bien que cette situation ait été identifiée et même quantifiée à l’été 2007, elle n’a pas été traitée avant la fusion des fichiers. Concernant environ 100 000 cotisants, elle a très sérieusement perturbé l’activité de recouvrement et le fonctionnement du RSI jusqu’au début de l’année 2012.
Ces difficultés de divers ordres n’ont pas fait l’objet d’analyses
spécifiques pour permettre de mesurer la faisabilité et le réalisme du
calendrier de la réforme lors de la prise de décision et une fois celle-ci
arrêtée, n’ont pas été réglées avant la mise en œuvre effective de la
réforme, alors que leur traitement en conditionnait le succès. Pourtant,
leur importance avait été signalée, en particulier dans un rapport d’avril
2003 qui mettait en garde contre les risques de déstabilisation du
recouvrement, liés en particulier à la perte d’informations ou à la
dégradation de leur fiabilité et au manque d’expérience des régimes
concernés en matière de migrations informatiques de cette importance et
soulignait les risques de fausses simplifications.
C – Une sous-estimation persistante des difficultés de
mise en œuvre
1 – L’occultation des difficultés des systèmes d’information de
l’ACOSS comme du RSI
Les difficultés des systèmes d’information de l’ACOSS comme de
ceux dont le RSI héritait des caisses qu’il fusionnait ont été négligées et n’ont pas été considérées comme des facteurs de risque.
Ainsi, la solidité et la capacité d’adaptation du logiciel SNV2 de
l’ACOSS ont été systématiquement surestimées. Pourtant, l’alerte sur
l’obsolescence et les défauts de pilotage du SNV2 avait été donnée au
printemps 2005 d’abord dans un audit demandé par l’ACOSS. En effet, de nombreux comptes d’assurés n’ont pas pu fusionner en raison de
l’inexactitude des fichiers (identifiants incorrects ou légèrement différents). Par ailleurs, il est apparu que nombre d’affiliés ne cotisaient pas à l’ensemble des risques obligatoires auxquels ils étaient soumis. L’origine était parfois la négligence ou éventuellement la fraude. Rapport d’enquête IGF-IGAS-IGIC sur le recouvrement unique des cotisations et
contributions sociales des travailleurs indépendants.
Les logiciels du RSI posaient également problème.
Le logiciel TAIGA (chargé de l’affiliation et des déclarations de revenus) a dû être conservé faute de mieux en dépit de son ancienneté et de ses difficultés à dialoguer avec le SNV2 et avec le logiciel SCR (chargé de la gestion des droits retraites) qui ont contribué à multiplier les créances émises en taxation d’office pour cause de défaut de déclaration. Par ailleurs, le logiciel SCR était encore en 2007 en cours de mise en place à la suite du basculement de l’ancien logiciel de la CANCAVA vers celui de
l’ORGANIC.
En outre, les systèmes d’information du RSI devaient s’adapter à la
fusion des caisses locales des anciens régimes entrée en vigueur dès le
1er juillet 2006. Les choix faits en matière de reconfiguration du réseau
avaient conduit, d’une part, à créer 30 caisses du RSI et, d’autre part, à
retenir comme unique critère d’affectation des dossiers le critère de
résidence et le numéro d’inscription au répertoire (NIR, dit numéro de
sécurité sociale) sans considérer la question d’une harmonisation de ce
critère avec celui utilisé par les URSSAF, à savoir le lieu d’activité. En
conséquence, plusieurs millions de dossiers ont été redistribués entre ces nouvelles caisses régionales, occasionnant des transferts de charges
significatifs mal régulés par la caisse nationale, ce qui a conduit à un
basculement massif de fichiers informatiques avec des pertes de données
qui ont fragilisé le recouvrement du RSI avant même la mise en place de
l’ISU.
2 – Un pilotage administratif sans prise en compte des réalités
Au lieu de chercher à résoudre ces difficultés techniques, le RSI et
l’ACOSS se sont opposés pendant deux ans, dans des logiques
institutionnelles, sur le choix du système informatique sur lequel allait (RALFSS 2006, chapitre IV) « Les contrôles effectués sous l’autorité de la Cour », p. 117.
Ce mode de calcul des cotisations, applicable aux revenus non déclarés (article R 242-14 du code de la sécurité sociale), entraîne dès la deuxième année des émissions de cotisation très supérieures aux sommes normalement dues. Le RSI est organisé sur une base régionale, avec 26 caisses en métropole (trois en région parisienne, deux en Provence-Côte d’Azur, deux en Rhône-Alpes), deux caisses dans les DOM et deux caisses dédiées aux professions libérales situées à Paris. Dont 1,34 million de dossiers de cotisants, 1,12 million d’assurés et ayants droits en matière d’assurance maladie et 940 000 retraités.
L’impossible dialogue entre les deux organismes a conduit les
pouvoirs publics à mettre en place en juin 2006 un groupe de travail,
présidé par un inspecteur général des affaires sociales, dont l’objectif
était d’arrêter rapidement le choix du système d’information et de
coordonner les travaux entre les deux réseaux. Les premières réunions ont
révélé l’absence quasi-totale d’échanges préalables entre les organismes
sur leurs contraintes respectives et sur des points fondamentaux, comme
les « flux retour » d’informations vers le RSI.
Par une lettre de novembre 2006, les ministres ont donné leur
accord au choix du système SNV2 de l’ACOSS proposé par le groupe de
travail et ont laissé au RSI la gestion du fichier des assurés, le traitement
de l’acquisition des données de revenus par la déclaration commune de
revenus et la gestion des droits aux prestations (déléguée aux organismes
conventionnés pour les prestations maladie). Un tel partage allait exiger
de parvenir en moins d’un an à la bonne articulation non pas de deux,
mais de trois logiciels : SNV2 de l’ACOSS, TAIGA et SCR du RSI.
Après l’arbitrage ministériel sur le choix du système informatique,
la responsabilité de trancher sur des points essentiels d’organisation
opérationnelle de la chaîne du recouvrement a été confiée au groupe de
travail précité. Ces arbitrages ont été réalisés selon une logique
administrative et non en fonction d’une analyse des contraintes
techniques dont certaines étaient pourtant progressivement révélées
(notamment celle des comptes isolés et la question du traitement des
stocks de créances constitués au 31 décembre 2007, avant la réforme de
l’ISU, appelés « antériorités »).
En l’absence d’alerte, une seconde lettre de mission a été adressée
par le ministre de la santé et des solidarités le 3 mai 2007, à la veille de l’élection présidentielle, réaffirmant de façon impérative le respect de la
date du 1er janvier 2008.
On peut s’interroger sur un fonctionnement administratif dans
lequel le délai fixé étant considéré comme intangible, nul n’ose
reconnaître qu’il est techniquement intenable. Il comprenait le RSI, l’ACOSS et les directions d’administration centrale
concernées. L’ordonnance du 8 décembre 2005 créant l’ISU avait prévu la possibilité d’un report de la date d’entrée en vigueur de l’ISU du 1er janvier 2007 au 1er janvier 2008. Ce report, dont le principe a été très tôt acquis, n’a été toutefois formalisé par décret que le 23 décembre 2006.
Confirmation de l’objectif pourtant irréaliste.
Fixer une contrainte de calendrier peut permettre de dépasser les oppositions et la force des logiques particulières, mais une telle stratégie exige de mettre en place concomitamment un pilotage extrêmement serré de la conduite du projet afin de garantir à tout moment sa solidité et sa crédibilité technique, ou dans le cas contraire de se trouver en capacité d’informer à temps les pouvoirs publics de la nécessité de modifier les délais. En l’occurrence, la délégation de facto par l’autorité de tutelle de ses responsabilités à un groupe de travail, à laquelle elle participait sans le piloter, ne l’a pas toujours mise en situation de jouer autant qu’il aurait été souhaitable le rôle d’alerte et de préconisation qui était pourtant au cœur de ses missions.
En dépit de l’ensemble de ces difficultés, la décision de retirer aux
organismes conventionnés toute compétence en matière de recouvrement a été confirmée fin 2007 et leurs fichiers ont été transférés. Le 28 novembre 2007, les fichiers des URSSAF ont été écrasés par les fichiers du RSI sans expérimentation préalable, ni phase de test, ni retour en arrière possible.
II - Un lourd échec
L’impréparation de la réforme a immédiatement provoqué un blocage total lors de sa mise en œuvre effective. Les dysfonctionnements majeurs qui se sont alors fait jour ne sont toujours pas tous réglés, plus de quatre ans après.
A – Un choc de très grande ampleur aux conséquences durables pour les assurés
1 – En 2008, une « catastrophe industrielle » pesant sur toutes les
fonctions du RSI, avec des conséquences sur le régime général
Les premiers appels de cotisations relevant de l’interlocuteur social
unique ont été émis le 17 décembre 2007. Le blocage du logiciel SNV2 a
été constaté dès les premiers jours du mois de janvier 2008 et a duré
presque trois semaines durant lesquelles il n’y avait plus aucune
possibilité de gérer les comptes. Les émissions de cotisations ont été
frappées de très nombreuses erreurs et une partie des encaissements n’a pas pu être prise en compte. La mise à jour des dossiers des cotisants était bloquée.
Les affiliations, radiations et modifications des fichiers de
cotisants n‘étaient plus prises en compte. Le taux de retour des déclarations de revenu des travailleurs indépendants a chuté de 4 points en une année (de 94 % en 2007 à 90 % en 2008). En outre, même quand les déclarations étaient collectées par le RSI, les dysfonctionnements des flux informatiques empêchaient un certain nombre d’entre elles d’être prises en compte par le SNV2 de l’ACOSS pour l’émission des créances. En conséquence, nombre de cotisants se sont trouvés soumis au régime de la taxation d’office qui majore dès la deuxième année les cotisations dues de façon considérable.
Les « flux retour » des URSSAF vers le RSI ne fonctionnant pas, la
liquidation des retraites comprenant des périodes de cotisation postérieures au 31 décembre 2007 a dû être traitée manuellement et les stocks de dossiers se sont accumulés. La fonction comptable du RSI a été
profondément perturbée par l’absence de « flux retour » d’informations
comptables sur les encaissements effectués par l’ACOSS.
Le blocage de l’ISU a été répercuté sur l’ensemble de l’activité de
recouvrement du régime général qui est sans commune mesure avec le
montant des cotisations recouvrées par l’ISU. De ce fait, le régime
général a dû gérer des stocks et assumer une surcharge importante de
travail, le conduisant à devoir fonctionner un temps en mode dégradé et à
renoncer à certaines campagnes téléphoniques ou à l’application de
remises de majorations de retard et ce d’autant que la confiance des
agents dans la fiabilité de l’application centrale de la branche
recouvrement était entamée.
2 – De graves perturbations pour les assurés
L’échec de l’ISU a causé un préjudice direct, bien que d’ampleur
variable, à de très nombreux indépendants et à leurs ayants droits, alors
même que sa création devait se traduire par des relations plus simples et
plus fluides. Ainsi, un assuré a pu ne pas être à jour de ses cotisations parce qu’elles n’avaient pas été appelées ou qu’elles avaient été appelées à un montant erroné (ce qui aurait concerné 10 % des comptes en 2008), parce que le RSI n’avait pas reçu l’information du paiement via les « flux retour » en provenance des URSSAF, voire à cause d’un simple
déménagement qui n’avait pu être pris en compte. Dans ce cas, il ne
pouvait liquider qu’une retraite incomplète, sans les trimestres manquants. Il bénéficiait des prestations en nature de l’assurance maladie
mais pas des indemnités journalières.
Les affiliations, modifications ou radiations ont été durablement bloquées. Ainsi, 20 000 dossiers d’immatriculation du début de l’année 2008 n’ont pu être pris en compte que plus de deux ans après, à l’automne 2010. Des solutions palliatives ont été mises en place mais dans certains cas, des assurés n’ont pas pu bénéficier de remboursement de leurs soins faute de carte Vitale, parfois sur des périodes très longues. Un assuré qui
avait demandé sa radiation mais n’avait pu l’obtenir a pu se voir réclamer
de façon indue des cotisations extrêmement élevées en raison du
mécanisme des taxations d’office. Au moins 10 % des comptes ont connu des difficultés liées à l’affiliation ou à la radiation. Même la
régularisation des dossiers, quand elle s’est produite, a pu se traduire par
l’appel de cotisations rétroactives à des montants élevés auxquels les
assurés ne pouvaient pas toujours faire face.
Ces difficultés se sont traduites par des difficultés majeures en
matière de tenue des droits à retraite et dans la liquidation des pensions.
Compte tenu de l’absence de « flux retour » informatisés, il était estimé
mi-2011 que les droits à la retraite n’étaient pas à jour pour 25 à 40 % des comptes. Alors qu’en 2007, 90 à 95 % des retraites de droits propres étaient liquidées dans les 60 jours, ce taux est tombé à 70 % en 2010. Le délai entre la date d’effet et la date de paiement est passé de 43 jours à près de 80 jours et pouvait atteindre, pour les droits dérivés, 138 à 150 jours à fin 2010.
Loin d’être isolés les uns des autres, les différents problèmes se sont
combinés et aggravés mutuellement, avec pour conséquence des situations
parfois inextricables pour les assurés comme pour les gestionnaires.
Les assurés se sont tournés massivement vers le personnel d’accueil
du RSI qui n’avait souvent aucune réponse à leur apporter. L’amélioration
de l’accueil physique et téléphonique a donc constitué un enjeu prioritaire
dans le traitement des difficultés de l’ISU, justifiant des recrutements de
personnes en contrat à durée déterminée et le recours à des contrats de
sous-traitance. Une plateforme de médiation téléphonique a ouvert en
juillet 2010. Les résultats ont toutefois été lents et erratiques.
Le nombre de saisines du Médiateur de la République a augmenté
de façon considérable et celui-ci a consacré au printemps 2010 un numéro
entier de sa revue aux « dysfonctionnements du RSI », relevant que le
« bug » de l’ISU avait parfois plongé les assurés dans des situations
catastrophiques. Sollicités par des travailleurs indépendants en difficulté,
des parlementaires ont posé au gouvernement un grand nombre de
questions écrites et orales sur l’ISU. Malgré ces saisines réitérées, les
pouvoirs publics ont tardé à apporter des réponses à la hauteur de
l’ampleur des difficultés subies par les assurés.
B – Jusqu’en 2011, des réponses insuffisantes et tardives
Des initiatives dispersées sont prises dès 2008 pour tenter de
résorber les stocks, avec un début de travail en commun entre le RSI et
l’ACOSS plus structuré en 2009, puis une mobilisation plus complète
sous l’impulsion des ministres concernés en 2010. Pourtant, les difficultés
ont largement perduré en dépit de l’engagement du personnel du RSI
comme de l’ACOSS tout au long de la période. Différentes raisons
expliquent cette situation.
1 – Une illusion durable sur la capacité à résorber les stocks de
dossiers accumulés
En 2008, l’essentiel des premières difficultés étant localisées dans
son système SNV2, l’ACOSS s’est mise très vite en situation de gestion de
crise. Certains des dysfonctionnements les plus graves, notamment pour le
calcul des cotisations, ont été résolus dans les mois qui ont suivi. Mais ce
n’est qu’à l’été 2008 qu’un responsable de projet ISU a été enfin nommé.
Par la suite, priorité a été donnée à la résorption des stocks de
dossiers, qui paraissait atteignable à une échéance raisonnable. Deux
avenants à la convention d’objectifs et de gestion du RSI ont été adoptés
pour renforcer les moyens du RSI à cet effet. En janvier 2009, un premier
avenant a dégagé des crédits exceptionnels permettant de recruter des
personnes en contrat à durée déterminée pour contribuer à la résorption des stocks.
Un second avenant, en juillet, a revu à la hausse la programmation
des crédits et des moyens en personnel. Du côté de l’ACOSS, des
« groupes temporaires de résorption des stocks » ont été mis en place.
Fin 2009, l’IGAS estimait que la crise de 2008 était « sous
contrôle » mais que « les deux réseaux se sont toutefois installés dans un
mode de fonctionnement durablement dégradé ». La situation n’était pas
stabilisée : les comptes isolés, les affiliations, les radiations continuaient
d’être affectés par de lourds problèmes, l’accueil des affiliés restait sous
tension, les « flux retour » ne fonctionnaient toujours pas correctement et
les principales fonctions du recouvrement amiable et forcé restaient
interrompues. Les stocks n’ont de fait pas pu être résorbés.
Comme le soulignait en effet l’IGAS, les dysfonctionnements de
l’ISU présentaient un caractère structurel :
« une part non négligeable des dysfonctionnements persistera tant que l’architecture des systèmes Rapport de suivi de la mise en œuvre de l’ISU, décembre 2009. d’information sur lequel repose l’ISU ne sera pas totalement transformée ».
Presque deux ans après le lancement de l’ISU, les organismes ont
été contraints de constater que les problèmes ne résidaient pas seulement
dans le SNV2 mais dans l’articulation des deux systèmes et dans leur
capacité à dialoguer et qu’ils ne pourraient être résolus définitivement
sans une forte implication conjointe des organismes et une refonte de
grande ampleur des systèmes informatiques.
2 – Un travail conjoint et structuré des organismes instauré très
tardivement
Tout au long de l’année 2008, chacun des organismes a travaillé de
son côté à la résolution de ses propres difficultés, se contentant de rejeter
sur l’autre la responsabilité des dysfonctionnements qui ne lui
incombaient pas directement. C’est en particulier le cas du RSI qui
estimait que l’ACOSS ne remplissait pas son engagement de parvenir à
faire prendre en charge le recouvrement de ses cotisations par le SNV2.
En 2009, la coopération entre les deux organismes s’est esquissée
avec la mise en place de comités de pilotages, la désignation de chefs de
projets régionaux, l’établissement de listes de « restes à faire »
informatiques. Mais c’est seulement à partir du début de l’année 2010,
soit près de 6 ans après la décision de partage du recouvrement, qu’une
collaboration étroite s’est enfin instaurée avec la constitution de la
première « task force » informatique, puis le lancement d’un premier plan
d’actions, annoncé par les ministres concernés « pour résoudre les
difficultés rencontrées par les artisans et les commerçants avec
l’interlocuteur social unique ».
Dès lors, de nombreux chantiers ont été organisés mais leur
progression est restée lente. La pré-instruction des affiliations en un point
unique (le centre national de l’immatriculation commune installé à
Auray) a été décidée en juillet 2010. Un premier plan de résorption des
comptes isolés a été préparé avec effet en janvier 2011. A la même date,
l’organisation conjointe sous forme de « task force », telle que mise en
œuvre au premier semestre 2010 -elle avait été interrompue dès juillet
2010- a enfin été pérennisée et a permis de fonder une coopération
opérationnelle renforcée entre les deux organismes.
Le facteur aggravant de la succession des réformes
Durant cette période particulièrement sensible, plusieurs réformes
de grande ampleur ont dû être mises en œuvre, en particulier la mise en
place au 1er janvier 2009 du régime de l’auto-entrepreneur. En effet, en
2009 et 2010, il a fallu inscrire 71 600 cotisants de plus au RSI et en radier
76 000, ce qui a majoré significativement les stocks d’affiliation et de
radiation en retard. Dans ce contexte extrêmement difficile, le RSI a dû
également mettre en place la réforme des retraites de 2010, qui le
concernait intégralement comme régime aligné, de même qu’un grand
nombre de réformes de moindre ampleur mais présentant une réelle
complexité.
Le remplacement de la déclaration commune de revenus des indépendants par une déclaration fiscale et sociale unique, prévu par la loi
de modernisation de l’économie du 4 août 2008, a toutefois été abandonné
par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Ce projet avait
une pertinence certaine, car l’acquisition des revenus des affiliés constitue l’un des gros points faibles de l’ISU.
La préparation de cette réforme a exigé des moyens importants, notamment informatiques, mais son abandon était sage compte tenu des risques financiers et sociaux qu’elle présentait dans le contexte d’échec de l’ISU. Les efforts conduits entre 2008 et 2011 ont permis de sortir de la
situation de crise aigüe et de stabiliser un certain nombre de
dysfonctionnements, mais début 2011, la situation était très loin d’être
normalisée. De nombreuses opérations de gestion devaient encore être
faites manuellement. Le tableau de bord des chantiers de l’ISU en cours
montrait qu’à ce moment la plupart d’entre eux était en stagnation ou en
détérioration. Le recouvrement restait déstabilisé avec des stocks de
contentieux qui s’accumulaient et des stocks de restes à recouvrer qui
continuaient à croître très rapidement, même sans tenir compte des
taxations d’office.
Il s’agit notamment du droit à l’information retraite, du régime instructeur unique pour les pensions de réversion, de la libéralisation du cumul emploi-retraite, de la majoration des petites pensions de réversion, de la préparation de la mise en œuvre d’un minimum contributif au 1er janvier 2012, de la préparation de la mise en place de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée.
C – De lourdes conséquences financières insuffisamment prises en compte
1 – Un recouvrement durablement affaibli
La situation de totale confusion constatée au premier semestre
2008 a empêché les organismes de poursuivre leur mission de
recouvrement selon les procédures normales nécessaires pour assurer
dans la durée sa crédibilité.
Ainsi, les actions de recouvrement amiable et forcé, qui devaient
être partagées entre le RSI et l’ACOSS dans le cadre de l’ISU, ont été
suspendues. Le recouvrement amiable personnalisé, qui conduisait les
caisses des indépendants à contacter téléphoniquement la plupart des
débiteurs pour leur rappeler leurs obligations et leur expliquer les
conséquences du non-paiement, a été bloqué à compter de janvier 2008 et
n’a toujours pas repris à ce jour.
Le recouvrement forcé (contentieux) a également été interrompu à
compter de janvier 2008, les agents de l’ACOSS et du RSI ayant été
amenés à douter de la pertinence des créances adressées par le système
informatique. Sa remise en route à l’été 2009 a été réalisée sur des
comptes insuffisamment sécurisés et a donné lieu à de nombreuses
contestations. Les services de gestion du contentieux se sont trouvés
engorgés. Au 1er décembre 2009, l’ACOSS avait dû bloquer
volontairement 40 % des comptes informatiques pour éviter l’envoi
automatique de contraintes erronées. La fonction de recouvrement forcé
s’est trouvée décrédibilisée et n’a pas encore été normalisée.
Dans ces conditions, même le recouvrement sur les stocks de
créances constatés avant la mise en place de l’ISU (« antériorités ») a été
durablement bloqué.
Dès lors, il n’est pas étonnant que la remise des majorations et
pénalités de retard ait été systématique, mais elle a été pratiquée aussi
pour les comptes cotisants qui n’avaient pas été frappés par les
dysfonctionnements de l’ISU. A la mi-2012, majorations et pénalités de
retard n’ont toujours pas été réintroduites.
Signe de perte de confiance des assurés dans le nouveau régime, la
proportion de cotisants réglant leurs cotisations trimestriellement par
rapport à ceux qui s’en acquittent par prélèvement mensuel est passée de
34,1 % en 2009 à 44 % en 2011. Or, le recouvrement des créances des
cotisants non mensualisés est nettement moins performant que celui des
cotisants mensualisés.
2 – Une explosion des restes à recouvrer qui traduit les
dérèglements de la fonction recouvrement
a) Des restes à recouvrer sur les travailleurs indépendants qui
représentent plus de 50 % des restes à recouvrer de l’ACOSS
Les restes à recouvrer (RAR) des travailleurs indépendants (y
compris professions libérales) représentaient 13,4 Md€ fin 2010 et
14,2 Md€ fin 2011, contre 6,1 Md€ fin 2007.
Les restes à recouvrer des travailleurs indépendants comptabilisés
par l’ACOSS 206 constituent ainsi 53,5 % des restes à recouvrer de
l’activité de recouvrement de l’ACOSS (24,1 Md€ à fin 2011), alors que
les travailleurs indépendants représentent seulement 7,7 % des cotisations
émises en 2011.
Source : RSI, ACOSS, calculs Cour des comptes ; Antériorités : créances antérieures à la réforme de l’ISU (1er janvier 2008).
Hors taxations d’office et hors « antériorités », les travailleurs
indépendants ont généré en seulement trois ans 5 044 M€ de restes à
recouvrer « ordinaires » dont 4 429 M€ sur le champ de l’ISU Hors antériorité vieillesse et hors antériorité maladie des professions libérales,
voir infra. Soit 4 429 M€ sur le champ ISU et 615 M€ sur le champ des professions libérales (hypothèse d’une part de restes à recouvrer hors taxation d’office de 60 % de 1 015 M€).
Sur ce seul champ, les restes à recouvrer ont crû de 21,8 % entre 2010 et 2011. Taux de restes à recouvrer sur les créances ISU de l’année
En % des émissions de créances 2008 2009 2010 2011 Taux de restes à recouvrer global 13,2 22,5 26,7 24,3
Taux de restes à recouvrer hors taxations d’office
8,7 10,8 12,4 14,1
Source : ACOSS (hors antériorités, hors professions libérales)
b) Des problématiques spécifiques qui illustrent la diversité des
conséquences des dysfonctionnements de l’ISU
Trois catégories de restes à recouvrer appellent des observations
spécifiques : les créances émises en taxation d’office, les créances
antérieures et les créances des professions libérales. Toutes ont été
touchées par les dysfonctionnements causés par l’ISU, avec des
conséquences de nature variable :
- les créances émises en taxation d’office ont vu leur montant exploser depuis 2008. Elles s’appliquent en effet aux cotisants dont les revenus ne sont pas connus. Or ceux-ci ont vu leur nombre croître de façon exponentielle compte tenu des difficultés de l’ISU. Dans un
fonctionnement normal, l’essentiel de ces situations se seraient soldées,
soit par une taxation normale, soit par la radiation de l’assuré. C’est
pourquoi le RSI et l’ACOSS considèrent que ces créances ne
constituent pas des créances réelles et que la majeure partie d’entre
elles sera finalement annulée. Cependant, une partie de ces créances est
bien réelle, car les taxations d’office existaient avant l’ISU dans des
proportions significatives. Représentant 31 % des restes à recouvrer, les
taxations d’office n’expliquent qu’une partie de la dégradation du
recouvrement, que leur importance relative a eu tendance à masquer.
Leur montant illustre l’ampleur des problèmes générés et leur traitement
empêche les effectifs des deux organismes de se consacrer au
recouvrement courant ;
- les créances antérieures à la création de l’ISU, dites « antériorités »,
ont été certes réduites de 47 % entre 2008 et 2011, passant de
6 080 M€ fin 2007 à 3 220 M€ fin 2011, mais les admissions en non-
valeur et annulations de créances représentent plus des deux tiers de
cette baisse, le recouvrement effectif étant faible208. Les dysfonction-
nements consécutifs à l’ISU ont durablement détourné les organismes
de toute action de recouvrement de ces créances avec des pertes
financières certaines sur une partie d’entre elles.
- les restes à recouvrer des professions libérales, qui ne relèvent pas de l’ISU, ont été touchés par la réforme du RSI et de l’ISU. Le calcul des
cotisations a pu se trouver faussé car le classement des cotisants entre
professions libérales et travailleurs indépendants relevant de l’ISU
n’est pas le même entre le RSI et l’ACOSS. Les difficultés rencontrées
dans la mise en œuvre de l’ISU ont conduit à suspendre certaines
fonctions (contrôle d’assiette) sur les professions libérales, avec un
effet certain, mais non chiffré à ce jour, sur le recouvrement de leurs
cotisations.
3 – De moindres encaissements de l’ordre de 1 à 1,5 Md€ entre
2008 et 2010 se répercutant sur les comptes sociaux
Il est difficile de réaliser une analyse exhaustive des défauts
d’encaissement provoqués par la mise place chaotique de l’ISU, au regard
précisément des limitations informatiques qui causent les difficultés
évoquées et des perturbations lourdes de la fonction comptable que celles-
ci ont entraînées.
La Cour, en lien avec le RSI et l’ACOSS, a cherché à établir
cependant une estimation, nécessairement provisoire, de l’incidence
financière des dysfonctionnements liés à l’ISU, à laquelle il n’avait pas
encore été procédé, en comparant l’efficacité du recouvrement avant et
après la réforme, en tenant compte des évolutions réglementaires, en
neutralisant l’explosion du nombre des taxations d’office constatée après
2008 et les effets de la crise économique sur les encaissements de
cotisations (en prenant pour référence les évolutions du recouvrement des
entreprises de moins de cinq salariés durant la période). Fondés sur des
données imparfaites, les chiffrages établis ne représentent que des ordres
de grandeur.
Sur la base de ce travail, la Cour considère qu’environ 1,3 à 1,5 Md€ de cotisations n’a pas été recouvré sur les trois premières années qui ont suivi la mise en place de l’ISU..
Ainsi, le taux de recouvrement effectif cumulé constaté à fin 2011 est de 9,3 % (246 M€) sur les antériorités AF-CSG de l’ensemble des travailleurs indépendants (2 652 M€ à fin 2007). Cette estimation à fin 2010 ne tient pas compte du moindre recouvrement qui a persisté par la suite ni des encaissements exceptionnels de 2011 (cf. infra partie III).
Ils reconnaissent ces défauts de recouvrement mais les considèrent pour leur part plus proches d’1 Md€. Les difficultés de l’ISU ont eu plus largement des effets sur les comptes sociaux des trois années concernées. D’une part, les provisions passées à ce titre sur les créances des régimes de base de retraite et de la maladie sur la période, ont aggravé le déficit du RSI, accru ses besoins d’un apport de ressources à partir de la contribution sociale de solidarité (C3S) et réduit à due concurrence les recettes du FSV, augmentant ainsi la dette sociale.
Une compensation automatique par la C3S et un report sur la dette sociale
En 1970, il a été décidé d’assurer l’équilibre des régimes obligatoires des indépendants en créant la contribution sociale de solidaritédes sociétés (CSSS ou C3S), qui finance les déficits de ces régimes automatiquement et intégralement (dans les limites du produit de la C3S).
Ces régimes restant ainsi optiquement en équilibre, l’attention portée à
leurs résultats a toujours été relativement limitée.
La dégradation du recouvrement des cotisations a été ainsi systématiquement compensée par un apport de C3S, ce qui a retardé la
perception de l’importance considérable de cette détérioration et n’a guère
contribué à une accélération de la mobilisation pour y remédier.
Ce mécanisme a reporté en réalité sur la dette sociale le déficit de
recouvrement lié à l’ISU. En effet, l’excédent de la C3S est affecté au
fonds de solidarité vieillesse (FSV). Quand le déficit des régimes des
indépendants s’accroît, le solde disponible pour financer le FSV diminue,
ce qui, compte tenu du déficit du FSV, alourdit la dette sociale d’un
montant équivalent.
D’autre part, les provisions supplémentaires passées du fait de
l’ISU sur le recouvrement de la CSG, de la CRDS et des cotisations
d’allocations familiales dues par les travailleurs indépendants ont accru le
déficit des branches du régime général et du FSV.
4 – Un impact financier insuffisamment pris en considération
dans le processus d’alerte et de redressement
Les conséquences des difficultés de l’ISU pour les comptes
sociaux en termes de recouvrement des cotisations des travailleurs
indépendants ont été identifiées dès les tout premiers mois de
fonctionnement comme un enjeu lourd, comme en témoignent le rapport
annuel sur le RSI établi par le contrôle général économique et financier
en juillet 2008 et le rapport de la mission d’appui au RSI de l’IGAS remis
en janvier 2009. Pourtant, par la suite, aucune tentative de chiffrage du
manque à gagner causé par l’ISU n’a été réalisée, une telle entreprise
étant considérée comme à la fois trop complexe à réaliser et peu utile à la
résolution des problèmes.
Pourtant, il aurait été souhaitable que l’alerte fût donnée sur
l’ampleur de l’impact financier de la dégradation de l’efficacité de la
fonction du recouvrement, en particulier auprès du Parlement dans la
présentation des comptes du RSI dans les rapports annuels à la
commission des comptes de la sécurité sociale. Au contraire, les lourdes
conséquences financières des dysfonctionnements de l’ISU sur
l’efficacité du recouvrement n’ont été ni étudiées ni expliquées. Elles ont
pu d’autant plus facilement passer inaperçues que le déficit
supplémentaire des régimes de base du RSI était masqué par le
mécanisme d’équilibrage par la C3S.
La gestion de crise depuis 2008 a été ainsi caractérisée par une trop
longue sous-estimation de l’ampleur et de la durée des problèmes, de la
part des organismes comme des tutelles, par une coopération trop
longtemps insuffisante entre l’ACOSS et le RSI et par une prise en
compte insuffisante des conséquences financières qui n’ont pas été
évaluées ni présentées, alors qu’elles auraient pourtant pu constituer un
signal d’alerte pertinent. Malgré une mobilisation réelle mais encore
récente, la situation est loin d’être rétablie à ce jour.
III - Faire du rétablissement complet et rapide de la fonction du recouvrement la priorité première
Malgré l’ampleur de la mobilisation du second semestre 2011, le
recouvrement est très loin d’avoir retrouvé son efficacité d’avant l’ISU.
Garantir durablement sa fiabilité passe désormais par le développement
d’un nouveau système d’information partagé entre l’ACOSS et le RSI
pour lequel il importe que les pouvoirs publics disposent d’assurances
d’un degré élevé de sa capacité à en assurer le rétablissement complet et
rapide dans toutes ses dimensions.
A – Un recouvrement encore très perturbé début 2012
1 – La résolution de certaines graves anomalies
a) En 2011, un rattrapage seulement partiel des manques à gagner
2008-2010
L’année 2011 a été marquée par une amélioration nette des
encaissements, en rupture avec les évolutions antérieures. Sur le champ
de l’ISU, ils ont augmenté de 1 052 M€, soit +9 %.
Pourtant, les restes à recouvrer ont également progressé de façon
importante (+966 M€ hors taxations d’office et hors « antériorités » soit
+21,8 %) et le taux de restes à recouvrer hors taxations d’office a atteint
le niveau record de 14,1 % (24,3 % y compris taxations d’office). Cette
dégradation du taux de restes à recouvrer hors taxations d’office en 2011
par rapport à celui de 2010 (12,4%) ne semble toutefois pas traduire une
nouvelle aggravation de la situation du recouvrement. Elle s’explique en
effet par les effets contradictoires des opérations exceptionnelles de
régularisation des affiliations et radiations en retard et de normalisation
des comptes incomplets. Sans ces effets, le taux de restes à recouvrer de
l’année semble simplement se stabiliser fin 2011 à un niveau proche de
celui de 2010 voire légèrement inférieur, mais qui reste très
significativement dégradé par rapport à la situation qui prévalait avant
l’ISU.
En effet, à la suite de la nomination d’un nouveau directeur général
du RSI, un nouveau plan d’action a été mis en œuvre en septembre 2011
sur injonction ministérielle et plusieurs anomalies graves ont été résolues,
comme les travaux de certification des comptes 2011 de l’activité de
recouvrement du régime général ont permis à la Cour de le constater. Des
améliorations sensibles ont été aussi obtenues sur plusieurs chantiers
relatifs à la qualité de service (traitement des réclamations, accueil
téléphonique).
Les stocks d’affiliations et de radiations ont été presque
intégralement traités, même si le traitement encore difficile des flux laisse
craindre leur reconstitution.
Par ailleurs, le problème des comptes incomplets a pu être
quasiment réglé par la création des « risques manquants » et l’émission
rétroactive des créances correspondantes, ce qui constitue un véritable
progrès par rapport à la situation antérieure à l’ISU. Des cotisations qui
n’étaient pas émises, à tort, avant la réforme le seront désormais
chaque année. Ce surcroît d’encaissements pérennes constitue certes une
plus-value de recettes appréciable obtenue à l’occasion de la mise en
place de l’ISU. Néanmoins, celle-ci aurait pu et dû être obtenue dès
l’institution de ce dernier (avec un meilleur rendement) grâce à un
nettoyage des fichiers conduit préalablement à la fusion des comptes, ce
qui aurait évité l’apparition des comptes incomplets.
Il serait ainsi abusif de considérer que ces ressources
supplémentaires viendraient en quelque sorte compenser les défauts
d’encaissement liés aux difficultés de l’ISU. Si ces dernières ne s’étaient
pas produites, la régularisation des comptes incomplets n’en n’aurait pas
moins été indispensable et les recettes complémentaires liées à cette
opération auraient permis de constater un gain net sur les cotisations des
travailleurs indépendants, là où à l’heure actuelle elles ne font que
minorer et donc masquer, l’importance de la dégradation du recouvrement.
Les opérations de mise à jour des fichiers de cotisants (affiliations,
radiations, régularisation des « singletons ») ont au demeurant conduit à
des émissions supplémentaires de cotisations, dans un contexte au
demeurant marqué par une hausse des revenus des travailleurs
indépendants qui a contribué à cette progression, avec pour effet positif
d’augmenter les encaissements et pour effet indésirable de majorer le taux
de restes à recouvrer hors taxation d’office d’au moins deux à trois points
compte tenu des délais de paiement accordés. Mais elles ont été sans
impact sur le stock des restes à recouvrer préexistant car les cotisations
déjà émises n’ont pas été mieux recouvrées.
Pour redresser le recouvrement, la principale mesure décidée dans
le plan d’action de 2011 a en effet porté sur la radiation d’une partie des
cotisants en taxation d’office depuis plus de deux ans. Cette opération a
permis de stopper l’émission de nouvelles créances en taxation d’office
pour les comptes concernés et d’améliorer la sincérité des comptes.
Néanmoins, aucune baisse sensible du stock de créances en taxation
d’office n’a été constatée car de nouvelles taxations d’office ont été
émises durant l’année. Surtout, cette opération n’améliore pas le
recouvrement sur les créances normales.
Au total, la hausse des encaissements constatée en 2011 représente
indéniablement un progrès, mais elle ne correspond qu’en partie à un
rattrapage des moindres encaissements constatés entre 2008 et 2010 et
210. Parce que les assurés ne cotisaient pas à l’ensemble des risques obligatoires auxquels ils étaient soumis. Elle masque le fait que le taux de recouvrement des créances de 2011 est resté encore très dégradé par rapport à la situation pré-ISU.
b) L’amorce d’une normalisation de la fonction recouvrement à fin 2012
En avril 2012, un nouveau plan d’action a prévu pour la fin de
l’année la relance du recouvrement amiable (téléphonique) sur le flux des
nouvelles créances, la fiabilisation des nouvelles créances contentieuses
et la remise en place des majorations et pénalités de retard. Sur les stocks
de créances en cours de recouvrement forcé, l’objectif est de commencer
à résorber certains stocks de contentieux pour la fin 2012211.
La question des « flux retour » d’informations des URSSAF vers le
RSI reste un enjeu majeur. Sur ce point, le deuxième plan d’action prévoit
d’engager en 2012 la mise en place des systèmes informatiques
permettant la reprise des droits à retraite, la mise à jour des droits acquis
étant espérée à la mi-2013 pour les cotisations déjà réglées.
2 – La persistance d’un manque à gagner tant que le recouvrement ne retrouvera pas son efficacité d’avant la réforme
Tant que le recouvrement n’aura pas retrouvé le niveau qu’il
connaissait avant l’ISU, les encaissements resteront chaque année
inférieurs à leur niveau normal, reconstituant ainsi en permanence le
stock de restes à recouvrer sur les créances « ordinaires » et alimentant de nouveaux risques de pertes potentielles.
La nouvelle convention d’objectif et de gestion du RSI, signée en
février 2012, prévoit de ramener un indicateur du recouvrement défini de
façon restrictive de 10,55 % en 2011 à 10 % en 2012 et enfin à 5,5 %
en 2015.
Ce chiffre, s’il était atteint effectivement en 2015, ne signifierait
pas pour autant le retour complet à la situation pré-ISU qui intégrait en
particulier une part non négligeable de taxations d’office. Toutefois, il est
crucial que ces objectifs de redressement du recouvrement soient tenus,
voire accélérés. En effet, tant que l’efficacité du recouvrement reste
inférieure de cinq points à l’objectif, ce sont chaque année environ
650 M€ qui ne sont pas recouvrés, qui se trouvent au mieux différés.
Les organismes indiquent que deux autres chantiers seront engagés en 2012, l’un relatif au parcours de recouvrement, l’autre visant le redressement du taux de paiement des cotisations par voie dématérialisée.
Taux de restes à recouvrer hors taxations d’office, hors majorations et pénalités, hors procédures collectives et hors admissions en non-valeur
risquent pour partie d’être perdus (chaque point de taux de restes à
recouvrer représentant environ 130 M€ d’encaissements).
Certes, les pertes ne peuvent être considérées comme définitives
que plusieurs années après l’émission des créances, quand elles sont
juridiquement annulées ou admises en non-valeur. Mais il est démontré
que l’effectivité du recouvrement de créances anciennes diminue
fortement avec le temps. D’ores et déjà, 114 000 créances émises en
2008 ont été prescrites au 1er janvier 2012, représentant une perte de
190 M€ selon l’ACOSS.
L’impact de l’ISU sur la réorganisation du RSI
Le bilan de la création du RSI en termes de gains d’efficience est
loin d’être satisfaisant. Les dépenses de gestion administrative sont en
progression de 16,4 % (591,5 M€), alors que l’objectif initial était une
diminution de 12,5 %. Le nombre d’agents en CDI a augmenté, alors qu’il
devait significativement baisser, comme celui des personnes en CDD, qui
a progressé de 30 %215. La caisse nationale, insuffisamment réorganisée,
concentre un cinquième des effectifs. La COG 2012-2015 apparaît
largement à cet égard comme une COG de transition visant à rétablir les
fonctions essentielles du régime.
Cette situation est due à la gravité de la crise de l’ISU, mais aussi à
des choix antérieurs à sa mise en œuvre faits par le RSI qui ont pour
conséquence de limiter les gains d’efficience217. Elle aboutit à faire du
RSI, cinq ans après leur fusion, une structure plus coûteuse et moins
efficace que les caisses qui l’ont précédé. Avant l’ISU, en situation « normale », sur le champ AF-CSG des travailleurs indépendants, les créances non recouvrées la première année étaient recouvrées l’année suivante à hauteur de 19,8 %, de 4,5 % la seconde année, de 3,8 % la
troisième année, de moins de 3 % par an au bout de six ans et de moins de 2 % par an au bout de huit ans. Depuis l’ISU, ces performances se sont nettement dégradées.
Rapport de certification sur les comptes de la sécurité sociale, juin 2012.
Le nombre de CDI au 31 décembre est passé de 5 400 fin 2006 à 5 478 fin 2011 (+1,4 %), celui des ETP moyens de 5 282 en 2006 (hors CDD en base d’emplois pérennes) à 5 303 en 2011 (+0,4 %). Le nombre de CDD est passé de 522 en 2006 à 679 en 2011.
216. Elle conduit à une quasi-stabilisation du budget de gestion administrative sur la période (en affichage, le fonds national de gestion administrative courant baisse de 3,2 % sur la période mais à périmètre constant avec la COG précédente, il passerait de 557,6 M€ en exécution 2011 à 567,6 M€ en 2015, soit une progression de 1,8 %). Comme le maintien des implantations de niveau infra régional, pour des raisons
historiques et de contraintes relatives à la mobilité géographique des agents, ou la validation tardive du schéma directeur informatique du RSI en octobre 2007.
Dans un tel contexte, la restauration du recouvrement doit constituer
un chantier prioritaire et la résorption des retards de recouvrement constatée depuis l’ISU considérée comme un indicateur central de performance du RSI.
Le traitement des stocks de contentieux accumulés doit ainsi constituer une
priorité pour éviter autant que faire se peut qu’une partie des anciennes
créances ne soit simplement abandonnée. Pour pouvoir apprécier et suivre dans les années à venir les résultats des actions conduites à cet effet, il est indispensable d’évaluer plus finement l’ampleur du rattrapage réel réalisé depuis 2011, de mesurer précisément les délais de recouvrement enregistrés en 2011 et les années suivantes et de s’assurer parallèlement de façon précise de la mise à jour effective des droits des assurés afin de garantir que ceux-ci ne sont pas privés des droits acquis par le règlement de leurs cotisations. Ce suivi serré est d’autant plus impératif que le risque n’est pas écarté que la refondation complète des systèmes d’information dont le principe a été décidé ne puisse se traduire par de nouvelles difficultés.
B – Les enjeux du nouveau système d’information
1 – La perspective d’un redressement pérenne fondé sur la
refonte des systèmes d’information
A la suite du rapport de l’IGAS de décembre 2009 ayant alerté sur le
caractère structurel des dysfonctionnements de l’ISU (cf. supra), une étude
a été engagée par le RSI et l’ACOSS en 2010 pour étudier la mise en place
d’un nouveau système informatique prenant la forme d’un « référentiel de données administratives partagées ». Cette étude, remise en octobre 2010, a démontré qu’un tel référentiel « ne permettrait de résoudre qu’une toute petite partie (1 à 5 %) des problèmes qui ne progresseront qu’avec une réelle interopérabilité des systèmes ». Elle a estimé qu’en dépit des améliorations successives du système actuel fondé sur le SNV2, celui-ci continuait et continuerait durablement à engendrer de nouvelles anomalies au fur et à mesure que les précédentes seraient résolues.
En conséquence, est apparue la nécessité de disposer d’un système
informatique entièrement consacré au recouvrement sur les travailleurs
indépendants, baptisé « système commun dédié partagé » (SCDP). De ce fait, l’ACOSS a été contrainte en janvier 2011 de repenser entièrement sa stratégie de rénovation du SNV2, en décidant, en accord avec la tutelle,
que celle-ci ne serait pas réalisée fonction par fonction, mais par
catégories de population, le SCDP étant construit en premier et
constituant la première brique du nouveau système. Les indépendants
bénéficieraient donc en premier du nouveau système d’information, mais
celui-ci devrait ensuite pouvoir être étendu aux autres populations
relevant des URSSAF et en particulier aux entreprises.
En parallèle, le RSI a également entrepris une réorganisation
complète de ses systèmes informatiques au travers du projet GAYA qui inclut une application nommée « gestion administrative commune »
(GAC), qui doit permettre l’articulation des nouveaux systèmes du RSI
avec le SCDP.
2 – Un chantier particulièrement complexe présentant des
risques de délais et de bonne fin
Le RSI et l’ACOSS sont donc désormais engagés dans un chantier
de refonte intégrale, simultanée et articulée de leurs systèmes
informatiques. L’entreprise est particulièrement complexe et risquée à
plusieurs égards.
En premier lieu, la complexité du nouveau système est
proportionnée à celle du système institutionnel et réglementaire que
constitue l’ISU. Un volet « simplifications » fait partie des éléments pris
en compte dans la construction du SCDP, par exemple sur les dates
d’exigibilité des cotisations, mais son ambition reste limitée par le cadre
réglementaire dans lequel il s’inscrit et qu’il n’est pas prévu de modifier
de façon substantielle.
L’articulation correcte des systèmes SCDP et GAYA-GAC
constitue un défi sérieux. L’analyse des risques qui y sont associés
réalisée par les organismes a montré que celle-ci est loin d’être garantie.
En outre, le SCDP doit s’intégrer dans les deux autres chantiers de
réforme de la branche recouvrement, à savoir la refonte du SNV2 et la
régionalisation des URSSAF, dont les implications informatiques sont
considérables, ce qui représente une contrainte lourde de conception et de
mise en œuvre.
S’agissant des délais, la complexité et l’état actuel d’avancement
du projet SCDP conduisent à s’interroger sur la capacité à disposer d’un
système véritablement fonctionnel à la date prévue de juin 2014. En
outre, les organismes sont confrontés à la nécessité de maintenir en
fonctionnement le SNV2 et les logiciels du RSI (SCR et TAIGA) et de
continuer à améliorer leur articulation jusqu’à la mise en service complète
du nouveau système. Pendant toute la période intermédiaire, cette
entreprise complexe mais nécessaire exigera des moyens importants
soustraits à la construction du nouveau système. L’ACOSS et le RSI sont conscients des risques du projet. Ils indiquent, d’une part, qu’une étude de sécurisation du calendrier est en cours et sera examinée à l’automne 2012 et, d’autre part, qu’il est exclu qu’une mise en service soit décidée sans avoir réuni toutes les garanties de bon fonctionnement.
Une telle précaution est certes indispensable mais n’est pas suffisante, eu égard au défaut d’expertise large que le lancement d’un un tel projet aurait pourtant absolument nécessité.
3 – Des expertises complémentaires indispensables
a) S’assurer de la pertinence du projet
L’engagement du SCDP s’est fait sans une expertise comparative
approfondie permettant de garantir que la solution retenue était la plus
robuste des options possibles. Les pouvoirs publics ne se sont appuyés
que sur le seul éclairage apporté par un expert missionné intuitu personae,
portant en outre sur une solution déjà arrêtée.
Compte tenu de l’ampleur des enjeux et de l’impact potentiel
considérable sur l’ensemble des encaissements réalisés par les URSSAF
d’une mauvaise conception du système d’information destiné à succéder au
SNV2, il est impératif de conduire un audit beaucoup plus large et plus précis de la pertinence des solutions mises en œuvre et de leur capacité à s’intégrer dans la refonte du SNV2 et à construire une interface avec le RSI. L’audit devrait vérifier dans quelle mesure le nouveau système
informatique permettra effectivement de supprimer toutes les anomalies qui frappent encore le système de recouvrement et les « flux retour » d’informations afin de permettre la normalisation totale de la fonction de recouvrement et évaluer les risques de retard par rapport à l’échéance fixée de mi-2014, de façon crédible, en envisageant l’ensemble des conséquences aussi bien pour le recouvrement des cotisations de l’ISU que pour celui du régime général. En parallèle, s’impose un examen précis et large des alternatives envisageables si le projet se révélait, en l’état, porteur de risques d’échec tels qu’il doive être soit modifié substantiellement, soit abandonné dans l’attente de la définition notamment d’un cadre réglementaire et institutionnel fonctionnel.
Le bon fonctionnement du système d’information partagé, qui
représente un enjeu essentiel, peut en effet conduire à étudier la possibilité
d’engager un chantier plus ambitieux de simplification de la réglementation
de nature à réduire les contraintes pesant sur lui, voire à examiner les règles de rattachement des comptes ou les conditions de vérification des droits acquis pour faciliter les « flux retour ».
b) Eviter les conséquences d’un éventuel échec
L’objectif d’un tel audit doit être d’obtenir l’assurance que le SCDP
pourra être construit dans des délais rapprochés, que son bon
fonctionnement garantira le rétablissement complet de la fonction du
recouvrement de l’ISU et constituera une base solide pour le futur système
d’information du régime général. En effet, tout échec conduisant à
renoncer à la mise en service du SCDP en 2014 ou même ultérieurement
entraînerait inévitablement un report de la normalisation du recouvrement
et des relations avec les assurés pouvant atteindre plusieurs années.
Les conséquences financières potentielles d’un éventuel échec du
nouveau système sont donc très lourdes.
Elles concerneraient tout d’abordle RSI, dont les régimes de base sont équilibrés par la C3S. Tout retard dans la normalisation du recouvrement oblige à accroître les affectations de C3S destinées à couvrir le déficit de ces régimes.
Au-delà surtout, des dysfonctionnements du SCDP fragiliseraient
la refonte du SNV2 pour l’ensemble des autres catégories de cotisants de
l’ACOSS et pourraient compromettre l’ensemble de son activité. Alors
que l’obsolescence de ce système a été constatée depuis 2005, la mise en
service complète de sa refonte n’est d’ores et déjà envisagée qu’à
l’horizon 2020. Si elle devait être davantage retardée encore à cause de
nouvelles difficultés de l’ISU et du SCDP, le recouvrement du régime
général pourrait être confronté à des risques considérables, qui ne peuvent
en aucun cas être pris.
C’est pourquoi, si un tel danger se faisait jour à la suite de l’audit
qu’il est indispensable d’engager rapidement, il conviendrait de réétudier
le partage du continuum du recouvrement entre les deux organismes, en
fondant une éventuelle nouvelle répartition non sur des enjeux
institutionnels mais sur une analyse technique de l’efficacité du
recouvrement dans son ensemble.
CONCLUSION
Six ans après la création du RSI et quatre ans après celle de l’ISU,
les fonctions essentielles de l’affiliation, du recouvrement et du service des
prestations n’ont pas retrouvé le niveau de qualité de service constaté
avant la réforme. Le RSI est aujourd’hui moins efficace et plus coûteux que
les anciens régimes qu’il a remplacés.
L’échec de l’ISU a eu et a encore de lourdes conséquences pour les
assurés. Pour une partie d’entre eux, il n’a pas seulement signifié
d’innombrables tracas administratifs mais fait courir des risques de pertes
de droits. La situation ainsi créée doit être réglée avec détermination.
Sur le plan financier, le défaut d’encaissement peut être
provisoirement estimé à un montant au minimum de l’ordre de 1 à 1,5 Md€
fin 2010, mais un bilan définitif des pertes effectives ne peut être à ce stade déjà établi. Malgré les plans successifs et les rattrapages partiels de
recettes à partir de 2011, la fonction recouvrement n’a cependant pas
encore retrouvé son niveau d’avant la mise en place de l’ISU dès lors en
particulier que les procédures de recouvrement amiable et forcées ne sont
toujours pas pleinement restaurées.
La gravité de ce constat engage la responsabilité conjointe de
l’ACOSS et du RSI comme de leur administration de tutelle. Du côté des
organismes, l’implication des équipes sur des objectifs communs est
désormais pleine et entière, mais contraste avec une longue incapacité à
dépasser les intérêts particuliers de leurs structures respectives, une grave
absence de maîtrise de la conduite d’un projet complexe et une complète
sous-estimation de ses difficultés techniques. La tutelle n’a pas eu pour sa
part au départ une assez claire appréhension de la lourdeur de la réforme
et de ses risques et aurait dû alerter plus précocement les autorités
politiques, notamment sur la nécessité de retarder le calendrier de mise en
place de l’interlocuteur social unique. Après le 1er janvier 2008, si elle n’a
pris toute la dimension de la gravité de la situation que de façon
progressive, elle s’est très fortement mobilisée pour solliciter l’appui
d’expertises externes et faire prendre des mesures d’urgence, mais n’a pas réussi à imposer rapidement aux organismes une coordination étroite et durable pour y remédier. La récente convention d’objectifs et de gestion
passée avec le RSI pour la période 2012-2015 marque cependant à cet
égard une nouvelle et ferme exigence.
Des dysfonctionnements particulièrement anormaux ont ainsi trop
longtemps perduré, d’autant plus aisément que les conséquences
financières en ont été masquées grâce à l’équilibrage automatique du
régime des indépendants par la C3S au prix d’un gonflement de la dette
sociale en raison du déficit accru du FSV qui en a résulté.
C’est pourquoi le rétablissement de la fonction du recouvrement doit
désormais être placé au tout premier rang des priorités, surtout pour un
régime structurellement déficitaire dont l’équilibre dépend d’un impôt
affecté. Il est indispensable à cet égard de vérifier de manière précise et
solide que la trajectoire de redressement permettra l’encaissement des
cotisations qui n’ont pas été réglées depuis 2008.
Pour assurer la robustesse du futur système d’information, il
convient de conduire un audit portant sur l’ensemble des options possibles.
Il doit garantir que le nouveau système d’information partagé entre
l’ACOSS et le RSI pourra assurer un fonctionnement du recouvrement
efficace et fluide entre les deux organismes, avec toutes les garanties
nécessaires. Il doit veiller à ce que ce système puisse s’intégrer en interface avec les outils de l’ACOSS et du RSI sans dégrader, par un défaut de maîtrise, le recouvrement du régime général dont l’enjeu en termes financiers est sans commune mesure et dont la dégradation serait très lourde de conséquences.
A défaut d’assurances solides, la question devrait être alors à
nouveau posée de la création d’un interlocuteur social réellement unique et
situé dans un seul organisme, par opposition à l’actuel ISU partagé de fait
entre l’ACOSS et le RSI.
RECOMMANDATIONS
20. Définir préalablement à toute réforme d’une telle ampleur et
d’une telle complexité un dispositif de pilotage de projet rigoureux, en
particulier en conduisant une analyse des risques exhaustive et préalable
à toute décision définitive et en se dotant d’un cadre et d’outils de suivi
proportionnés aux enjeux.
21. S’assurer que les cotisations non recouvrées font l’objet de toutes
les diligences pour garantir leur perception effective et non leur simple
annulation ou prescription, préciser l’ampleur du retard de recouvrement
et mettre en place un suivi étroit de sa résorption afin de minimiser les
pertes.
22. Renforcer le suivi stratégique des chantiers en cours par les
autorités de tutelle, éclairées par une information la plus large y compris
financière et consolider le pilotage opérationnel coordonné du RSI et de
l’ACOSS au plan national comme régional.
23. Afin de garantir le redressement rapide et complet du recouvrement
dans des délais rapprochés et dans les conditions les plus robustes, réaliser
un audit complet et approfondi du futur système d’information partagé,
permettant :
- de s’assurer de la pertinence du projet ;
- d’évaluer les risques de retard par rapport à l’échéance de mi 2014,
ou d’échec et d’en apprécier toutes les conséquences ; - d’examiner précisément l’ensemble des alternatives envisageables, y
compris en étudiant une simplification du cadre réglementaire de
l’ISU, voire la remise en cause du partage de compétences
actuellement en vigueur.
24. Garantir que les droits acquis par les assurés au titre des
cotisations versées sont pris en compte de façon exhaustive et rapide dans
les systèmes d’information du RSI.
Cour des comptes
Sécurité sociale 2012 – septembre 2012
13 rue Cambon 75100 PARIS CEDEX 01 - tel : 01 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr