L’encre du Traité intérimaire est à peine sèche que l’on nous promet que l’Iran doit prochainement se livrer à un « nouvel Anschluss ou pire [1] » comparant les ministres Kerry, Haig et la Haute représentante de l’Union européenne, Lady Ashton, à l’infortuné Nevill Chamberlain déclarant le 30 sept. 1938, au retour de la négociation de Munich, à sa descente d’avion : « for the second time in our history, a British Prime Minister has returned from Germany bringing peace with honor. I believe it is peace for our time ».
Et en effet bien des obstacles subsisteront en 2014 sur le chemin de la paix car il faudra définitivement établir quelles est l’autonomie réelle de l’Iran en matière d’enrichissement de l’uranium… une question non négociable pour Israël qui en fera son cheval de bataille au cours des mois à venir. À ce propos, cultivant l’ambiguïté, lors d’une conférence de presse tenue dimanche 24 novembre à l’aube, le Secrétaire d’État américain s’est cru obligé de préciser que « l’accord intérimaire relatif à un plan d’action… ne dit pas que l’Iran a le droit à l’enrichissement [de l’uranium], quoiqu’en disent certains commentaires d’interprétation ».
A contrario en Iran, le Guide suprême de la Révolution, l’ayatollah Ali Khamenei, a « salué l’accord qui établit la reconnaissance par les puissances mondiales du droit de l’Iran à l’enrichissement de l’uranium » [french.cri.cn24nov13]. De belles empoignades à venir, une pomme de discorde ou un point de litige que les chancelleries devront instamment veiller à ne pas laisser s’envenimer.
Exit le grand Satan, Fabius le petit Satan nouveau est arrivé
Samedi 23 « Le Point.fr » titrait « Fabius le petit Satan qui fait trembler l’Iran »… dans la crainte de voir le ministre français réitérer sa conduite d’obstruction en réclamant encore plus fort de « la fermeté » et ainsi faire à nouveau capoter les négociations. Pourtant si nos amis les journalistes avaient eu les yeux plus grand ouverts, ils se seraient aperçus que Paris ne pourra pas se dispenser du soutien logistique américain afin de conduire sa prochaine opération de stabilisation en République centrafricaine. Donnant, donnant, Fabius a été convié à se coucher - une fois de plus – car il n’avait pas cette fois les bonnes cartes en mains. Telle est l’explication, la plus simple, la plus logique donc la meilleure.
Il n’en demeure pas moins que le coup d’éclat du sieur Fabius faisant échouer la négociation le 10 novembre, aura à n’en pas douter de cuisantes conséquences, surtout au plan économique, pour la France. À ce titre, M. Fabius qui a joué ouvertement contre les intérêts nationaux les plus élémentaires, devrait avoir à rendre des comptes pour des faits qui relèvent ou pourrait relever de la « haute trahison »… si la morale et la justice s’exerçaient à bon escient. À Téhéran « l’amertume était telle [au lendemain de l’ajournement des pourparlers] que des industriels iraniens se sont rencontrés pour débattre d’une réduction de leurs échanges commerciaux avec la France [Irna]… alors même que de nombreuses entreprises occidentales sont mobilisées, prêtes à reconquérir le marché iranien dans l’hypothèse d’une levée des sanctions » ! « De toute façon les relations franco-iraniennes n’en sortiront pas indemne »… « La prise de position de Laurent Fabius le 9 novembre dernier restera comme une blessure indélébile entre nos deux pays » telle est l’opinion qu’exprimaient les représentants de la presse iranienne présents ce samedi à Genève [lepoint.fr23nov13].
Le gouvernement israélien fulmine
À peine trois heures seulement après l’annonce de l’accord conclu à Genève, le bureau du Premier ministre israélien publiait un communiqué dénonçant un « mauvais texte ! ». L’ultrasioniste ministre de l’Économie Naftali Bennett, faisait savoir que l’État hébreu « ne se trouve pas engagé par un accord qui menace sa propre existence ». Avigdor Liberman [2], le « maximaliste » ministre des Affaires étrangères, a qualifié l’accord de « plus grande victoire diplomatique de l’Iran depuis la Révolution islamique ». Quant à M. Netanyahou, il s’agit pour lui d’une « erreur historique »… « Le monde n’est désormais pas plus sûr. À l’instar de l’accord passé avec la Corée du Nord en 2005, le monde se trouve désormais en danger » [lefigaro.fr24nov13]… « What was concluded in Geneva last night is not a historic agreement, it’s a historic mistake… It’s not made the world a safer place. Like the agreement with North Korea in 2005, this agreement has made the world a much more dangerous place ».
Il serait fastidieux de recenser toutes les déclarations bellicistes et menaçantes [3] émanant de Tel-Aviv, notamment depuis le discours du président iranien Hassan Rohani le 24 sept. à la tribune de la 68e Assemblée générale des Nations unies à New-York… entrée en scène internationale remarquée qui fut suivie le 29 sept. d’un échange téléphonique d’un quart d’heure avec le président américain. Un événement totalement inédit depuis la rupture des relations diplomatique entre les deux pays et la prise en otages de diplomates américains le 9 novembre 1979. En quelques mots disons que le premier ministre israélien ressasse inlassablement et explicitement qu’Israël saura éliminer par ses propres moyens et de sa seule initiative la menace nucléaire iranienne… comme il le fit naguère en 1981 contre le réacteur irakien d’Osirak et plus récemment, en 2007, contre les installations syriennes d’al-Kibar.
À force d’avertir, Tsahal passera-t-elle finalement à l’acte ? Le crédit de l’État hébreu n’est plus ce qu’il était. Sa brutalité et son cynisme ont fini par lasser les esprits les mieux disposés à son égard. Les préventions à son encontre se multiplient. D’ailleurs Tel-Aviv – en dehors du recours à l’arme nucléaire sous forme d’ogives miniaturisés dont les vecteurs seraient les missiles de croisière embarqués sur les sous-marins d’attaque aimablement fournis par Mme Merkel - possède-t-il la capacité d’effectuer de tels raids dans la profondeur du territoire iranien ? Même avec la complicité et les autorisations de survol – déjà accordées – de l’Arabie ? Cela sans la couverture satellitaire des États-Unis ? Parce qu’en outre, à l’ordinaire, lorsqu’il s’est agi de conflits dépassant la dimension régionale, Tel-Aviv a eu jusqu’à présent l’habileté de les faire sous-traiter par les États-Unis et leurs alliés européens – bonnes poires !… Pensons aux deux guerres de Mésopotamie, à la Syrie et d’autres encore où les ficelles ont été moins visibles.
Ajoutons enfin que les échecs diplomatiques répétés qu’essuie le Likoud ne peuvent qu’entraîner à court terme de graves préjudices pour le micro État en grande part tributaire de l’aide occidentaliste… à commencer par les effets induits de la dégradation des relations politico-diplomatiques avec les États-Unis ! Les écailles tombant peu à peu des yeux, Israël court le risque bien réel d’apparaître ou d’être catalogué pour ce qu’il est véritablement, et depuis longtemps, à savoir un État perturbateur, « a rogue state », autrement dit un État voyou !
Il est des signes qui ne trompent pas : l’absence de réactions outragées ou simplement indignées de la part de la presse serve lorsqu’à Téhéran, au moment où s’ouvrait à Genève la conférence des 5+1, le Guide suprême, Ali Khamenei, s’est permis de déclarer devant une assemblée de cinquante mille Gardiens de la Révolution qu’Israël est « voué à la disparition » !… « Les fondements du régime sioniste ont été affaiblis très fortement et il est voué à la disparition. Aucun phénomène imposé par la force ne peut durer » [AFP 20nov13].
On se souvient du tollé soulevé par les propos similaires du président Ahmadinejad en octobre 2005 : « Israël doit être rayé de la carte du Temps ». Annonce ou prophétie aussitôt interprétée par la presse unanime comme la volonté d’éradiquer le peuple juif. Ce qui était une contre-vérité patente, mais à l’époque nul n’en avait cure. Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ! Aujourd’hui, rien de semblable. Les gens de presse sont restés muets et la négociation a pu aboutir vite et pour le mieux… pour le moment. Comme quoi la paix peut-être le fruit d’une volonté affirmée. Pareillement la guerre n’est pas le seul fruit du hasard, des circonstances mais souvent, essentiellement, du bon ou du mauvais vouloir de l’un ou l’autre des protagonistes.
Demeure l’hypothèse du pire, les hommes du Likoud au pouvoir à Tel-Aviv n’acceptant pas leur défaite morale, en un mot une surenchère belliciste au cours des mois à venir en concertation avec Paris et Ryad. Surenchère qui pourrait se présenter sous forme d’une relance de la crise au Levant. La Syrie et le Liban devenant le théâtre d’une diversion qu’Israël mettrait à profit pour rebattre et brouiller les carte, un deus ex machina qui serait une aubaine pour un Parti socialiste français en perdition au moment des échéances électorales européennes et municipales ? Pour limiter la casse annoncée que ne ferait-on pas dans le landernau parisien ? Vendre son âme au diable si ce n’était déjà fait ? Une éventualité qui au final n’a rien de vraiment ni de totalement absurde, pessimisme oblige.
Léon Camus le 24 novembre 2013