Des spasmes systémiques à échelle planétaire
Que ces deux courbes, celle de la croissance et celle de la crise implosive potentielle, viennent à s’inverser et à se croiser, alors la guerre s’imposera de facto. Non comme solution de facilité ou comme seule issue, mais en tant qu’aboutissement de la logique systémique en marche. L’humanité avance – nous n’osons dire « progresse » ! – par à-coups ou par bonds, en tout cas par cycles de création et de destruction.
On comprendra mieux au regard de l’actuel regain de tension dans le lointain extrême Orient, que la super puissance atlantique se préoccupe maintenant et en grande hâte, de se désengager, voire de se « dégager » tout crûment du Levant… Mais pas encore du « Toit du Monde » afghan où la présence américaine se prolongera au-delà de la date de péremption [2] ! Ceci pour redéployer son dispositif en Asie, aux confins du Bassin pacifique, là où assurément se relèveront les grands défis du XXIe siècle.
Notons en outre que les foyers de déstabilisation se multiplient sur le pourtour de la Chine. Et ce n’est pas parce que l’actualité reste muette en ce moment sur le Xinjiang [3] musulman – le pays des Ouïgours turcophones aux yeux gris et aux nez saillants – ou qu’elle ne pipe mot du Tibet, que le feu n’y couve pas. Les grandes émeutes qui secouaient ces derniers jours la Thaïlande [4], trois ans après les émeutes du printemps 2010, sont là pour nous le rappeler. Il est d’ailleurs encore un peu tôt pour en évaluer la portée, en dire à bon escient le sens et les développements possibles, ou pour mesurer la part exacte de spontanéité dans ces événements… et la place qu’y occuperait l’action de « mains invisibles » ?
À trop vouloir discerner dans les divers spasmes sociétaux qui secouent la planète, de noirs desseins pilotés de l’extérieur, l’on finit par sombrer dans une certaine forme de ridicule. A contrario ne pas croire au jeu complexe d’acteurs cachés et de leurs interactions, tous cherchant avec plus ou moins de talent et de bonheur à reprendre la main, c’est se condamner à n’y rien comprendre. Si en effet la plupart des embrasements interviennent sur des terrains sociologiquement propices, ils n’en demeurent pas moins que de discrètes officines et de très efficaces Agences savent battre le briquet pour en faire jaillir les étincelles destinées à bouter le feu des guerres intestines.
On sait que de grandes fondations transnationales, souvent londoniennes, dont l’archétype est l’Open Society Foudations du sieur Soros [5], œuvrent sans relâche à l’assomption d’une « Société ouverte ». Et pour ce faire, s’emploient à former des militants des “droits de l’homme”, à leur fournir le matériel télématique, les techniques de l’image, les capacités organisationnelle en vue de nourrir les luttes sociales et politiques par le truchement des médias et des réseaux dits sociaux - Twitter/Facebook – clefs du paradis de l’agitprop des temps modernes. À Bangkok lors de la première révolte des « Chemises rouges » [Front national uni pour la démocratie et contre la dictature], l’activité de tels réseaux étaient avérés, des reportages les concernant ont été diffusés sur des chaînes publiques hexagonales, le rôle d’organisations non gouvernementales extérieures y est par conséquent établi.
Crises planétaires et tectonique des plaques
À l’heure de la multiplication des crises à l’échelle planétaire, le modèle géophysique de la tectonique des plaques s’avère particulièrement éclairant. Au-delà des relations de causalité reliant les différents spasmes de révolte ou de colère populaire avec d’authentiques sursauts nationalistes, des querelles de voisinages, d’âpres rivalités pour l’accès aux matières premières - au premier rang desquelles les sources d’énergie fossile - et indépendamment de toute hypothèse exagérément “conspirationniste”, force est de constater que quelques invariants facilement repérables sont partout à la manœuvre… cela tient de la nature des choses mais également à celle de la carte géopolitique née du partage du monde à Yalta en février 1945 et à Postdam en août de la même année. Une cartographie désormais obsolète dont la décomposition s’effectuera dans les affres de l’agonie.
Certes l’extraordinaire destin de Chine la communiste - laquelle ne naîtra que le 1er février 1949 – n’avait pu être pris en compte à l’occasion de ces festins d’ogres qu’ont été Yalta et Postdam. Reste que la configuration générale du monde, le nôtre, se trouvait déjà, et pour les soixante dix ans qui étaient à venir, inscrite dans les traités conclus entre les vainqueurs. C’est cette répartition des pouvoirs et des aires d’influences que l’actuelle recomposition du monde remet en cause… par la volonté de quelques individualités, plus surement sous la poussée de leurs forces économiques et de leurs dynamisme génétique comme on le voit pour la Chine, nouvelle “puissance coloniale” de l’Afrique8.
Les lignes bougent et pourtant dans un monde que l’on dit “multipolaire” on assiste à la reconstitution de deux méga blocs géopolitiques. Des Blocs que l’on croyait disparu avec l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la Guerre Froide : Bloc euratlantiste contre Bloc eurasiatique. Tel est en tout cas la leçon à tirer de la crise syrienne et du dossier nucléaire iranien qui ont largement contribué à révéler l’existence de cette bipartition planétaire. Cependant les guerres du “fort au fort” sont voués à être de nouveau des conflits indirects, guerres subversives, culturelles, idélologiques, illisibles et invisibles du plus grand nombre. Ce refus du choc frontal nous le voyons de façon éclatante dans la dérobade de Washington au moment de courir le risque en Syrie de déboucher sur un embrasement régional… et peut-être certainement mondial.
Les guerres entre superpuissances et plus encore entre Blocs, sont donc appelées à prendre le visage de révoltes populaires et démocratiques, celui par exemple de ces appétissantes révolutions colorées ou mieux des Printemps de la liberté… c’est tout au moins la conclusion qui s’impose au spectacle de ces houles sociétales et de ces foules déchainées dès que l’on ne se contente plus d’une lecture événementielle superficielle et sommaire. De sorte qu’il faut, et qu’il faudra, du recul et de patients efforts pour bien démêler les fils composant la trames d’événements dont la fausse opacité nous déconcerte. Les Printemps des peuples ne sont sans doute pas totalement programmés, mais ils sont souvent préparés par un long et patient travail de sape intellectuel et spirituel… voire réorientés, récupérés, manipulés et canalisés autant que faire se peut dans un sens ou dans un autre mais toujours selon des objectifs de domination universelle.
Nouvelle tentative de révolution colorée en Ukraine
Plus près de nous, ne nous pressons pas non plus de conclure trop vite en ce qui concerne les troubles qui agitent l’Ukraine. Depuis le dimanche 1er décembre les manifestants et trublions pro-européens occupent la mairie de Kiev dont ils ont fait leur bastion. Parallèlement à Paris, devant l’ambassade d’Ukraine, résultat d’un prodige de coordination, cinq Femen en folie, petites culottes baissées compissaient le portrait du président Ianoukovitch. Bref, ne nous hâtons pas d’en induire l’existence d’un quelconque chef d’orchestre !
En 2004 l’Ukraine était le théâtre de la « Révolution orange » au cours de la quelle l’organisation Pora [6] dont les têtes de file avaient déjà été en 2000 dans les décombres de la Fédération yougoslave, les fondateurs d’Optor [cf. note 7]. En 2008, l’Ukraine et sa voisine la Géorgie - conséquence des Révolutions colorées - s’apprêtaient à rejoindre l’Otan. L’agression géorgienne contre le territoire autonome d’Ossétie du Sud - conflit qui s’étendra à l’Abkhazie, ces deux micro États ayant depuis acquis l’indépendance sous le parapluie de la Russie – a mis fin à un rapprochement atlantiste à bon droit jugé hostile par Moscou. Or assistons-nous aujourd’hui à une répétition des événements de 2004 et au troisième acte d’un même drame [7] ?
Il n’est plus cette fois-ci question d’Organisation du Traité de l’Atlantique nord mais de partenariat renforcé avec l’Union européenne [accord d’association et de libre échange]… Une entrée par la porte de service en quelque sorte dans le club très accueillant de l’Europe des faillis, soit l’Union sans frontières de toutes les déconfitures. En Ukraine, aujourd’hui comme hier, ce sont les mêmes causes qui ainsi engendreraient mêmes effets, avec les mêmes moyens ! Finalement on voit que les mesures prises au Kremlin pour surveiller les ONG internationalistes anglo-américaines - promotrices de la “démocratie” et de la liberté intégrale des mœurs – en contrôlant la circulation de leurs fonds et les agissements de leurs personnels, ne témoignent pas d’une odieuse manifestation d’autoritarisme étatique, autrement dit l’expression de la sinistre dérive d’un pouvoir oligarchique borné et réactionnaire.
Léon Camus 2 décembre 2013