Qui ne voit que l’Union européenne, une entité bien identifiable, localisée à Bruxelles et incarnée par une poignée d’oligarques à mine patibulaire – les Martin Schultz, les Barroso et leurs sous-fifres faire-valoir, hommes et femmes de paille, les Ashton, les Van Rompuy – est au pire une fauteuse de guerre et au mieux un foyer de tensions ? Il suffit de considérer la situation à Kiev pour s’en convaincre. N’est-ce pas la proposition intempestive de Bruxelles d’établir un partenariat privilégié avec l’Ukraine qui a mis le feu aux poudres et déstabilisé le pays ? Car il ne fallait pas être devin pour prévoir la réaction russe, le Kremlin s’étant toujours montré très chatouilleux chaque fois que les Atlantistes se sont risqués à empiéter sur leur Pré-carré.
On l’a vu quand les États-Unis ont voulu déployer en Mer Baltique et en Europe orientale les radars d’acquisition et les missiles d’interception d’un « bouclier anti-missiles » prétendument destinés à protéger l’Occident contre une attaque de vecteurs nucléaires intercontinentaux iraniens ! En réponse Moscou avait prépositionné ses propres armes hypersoniques “Iskender” à Kaliningrad [Kœnigsberg]. De la même façon en 2008, quand la Géorgie, soutenue par Washington et Tel-Aviv, avait eu l’imprudence de tester en Ossétie du Sud la détermination de Moscou à ne pas laisser l’Ouest marcher sur ses plates-bandes, la réponse avait été cinglante. Mal lui en avait pris et l’Ossétie du Sud puis l’Abkhazie avait saisi l’occasion, à l’issue du conflit, de se déclarer indépendantes… sous le parapluie de la Fédération de Russie. En fait ce conflit limité dans le temps et l’espace - il se prolongea huit jours avant l’intervention d’un cessez-le-feu - fut néanmoins une guerre véritable qui eut pu facilement se solder par l’occupation complète de la Géorgie… n’eut été l’intervention de M. Sarkozy dont le pays, la France, assurait alors la présidence tournante du Conseil européen. À la suite de quoi Géorgie et Ukraine candidataient – ou furent incitées à le faire - à l’Otan. Adhésion qui eut put créer ultérieurement les conditions d’affrontements d’une toute autre ampleur eu égard à l’Article 5 de la Charte atlantique relative à l’obligation de solidarité en cas d’attaque de l’un de ses membres.
Révolution orange sur fond de concussions
En fait ce conflit était en gestation depuis 2004 et l’arrivée aux Affaires de l’américano-géorgien Saakachvili [1] à l’occasion de la “Révolution des roses” de novembre 2003. Celle-ci aura précédé d’un an la Révolution orange qui devait également porter en Ukraine une équipe pro-américaine conduite par Viktor Iouchtchenko [2], soutenue et financée en large partie par l’Administration américaine sous couvert la “Fondation pour la société ouverte” du milliardaire américain George Soros [3]. Les occidentaux auront ensuite beau jeu d’accuser les Russes d’avoir planifié à partir de 2006 une offensive militaire en cas d’intervention géorgienne en Ossétie du Sud.
2013 rebelote. La Révolution orange de novembre 2004 ayant fait long feu, le gouvernement occidentaliste qui prend les commandes en janvier 2005 commencera très vite à se fissurer. Sans doute dès septembre de la même année avec le limogeage du Premier ministre Ioulia Tymochenko. La malheureuse ayant fait la preuve de ses incompétences – mais non point de son aptitude à la concussion - elle finit par se retrouver – au grand dam de ses bons amis de Bruxelles - derrière les barreaux en octobre 2011, condamnée à sept ans d’emprisonnement pour abus de pouvoir à propos de contrats gaziers signés en 2009 entre son pays et la Russie ! Une condamnation apparemment pleinement justifiée au regard du dossier et des prévarications dont elle se serait rendue coupable ! Mais la leçon n’a été entendue ni à Washington ni à Bruxelles. Au reste les moyens mis en œuvre aujourd’hui pour relancer la machine subversive sont à la hauteur des enjeux : extraire l’Ukraine de l’orbite russe et l’arrimer à la nef des fous d’une Europe à la dérive…
Ainsi, les récentes émeutes de Kiev ont vu l’entrée en scène de jeunes Tatars de Crimée encadrant les manifestations. Des membres du mouvement Azatlyk [Liberté] de Naïl Nabiullin, qui militent pour la Grande Turquie et qui sont soutenus à l’occasion aussi bien par des partis trotskistes - tels le Front de gauche russe de Serguei Oudaltsov - que par le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan. Certains d’entre eux venaient de revenir - justement via la Turquie – des théâtres d’opérations syriens où ils s’étaient formés à la guérilla djihadiste en combattant l’État baasiste.
On notera par ailleurs et avec amusement la similarité des modus operandi en matière de communication des nouveaux “révolutionnaires” de Kiev… Le 9 avril 2003, à Bagdad, sur la place Ferdaous, quelques grappes d’opposants stipendiés revenus dans les fourgons du malheur et de l’armée américaine, abattaient la statue de Saddam Hussein. Seuls une profonde myopie empêcha les journalistes présents - et les salles de rédaction - de voir qu’il s’agissait d’une grossière mise-en-scène ; le 8 décembre, à Kiev, “Lénine” était à son tour déboulonné place de l’Indépendance. Nul ne le regrettera. Bien sûr comparaison n’est pas raison, mais la ressemblance spectaculaire entre ces deux “happenings” est trop forte pour être tout à fait fortuite : mêmes actions, mêmes finalités, mêmes type d’acteurs [4]… car enfin il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que les foules mobilisées à Kiev sont essentiellement composées de jeunes hommes et que le mélange des couches sociales y semble réduit à sa plus simple expression. Une homogénéité des manifestants qui là encore pose question !
Le Centre étant inaccessible, l’offensive se déploie à la périphérie
Le 19 septembre le sénateur John McCain se voyait offrir une tribune libre sur le site en anglais de la Pravda [Vérité]. Il y publiait une lettre ouverte aux citoyens de la Fédération avec ce titre assez malgracieux : « Les Russes méritent mieux que Poutine ». Une réponse au président russe qui avait exprimé, dans les colonnes du New York Times, son point de vue quant au conflit syrien un peu auparavant. McCain parlant à la première personne et s’adressant sans ambages aux lecteurs russes : « Je crois que vous devriez pouvoir vivre selon ce que vous dicte votre conscience, et non selon ce que vous dicte votre gouvernement »… « #Je veux dissiper les mensonges des dirigeants russes, destinés à les maintenir au pouvoir et à justifier leur corruption… Les amis de Poutine sont les tyrans ». En conséquence de quoi, Vladimir Poutine a fait savoir qu’il « n’entamerait pas de polémique avec quelqu’un habitant de l’autre côté de l’Océan. » [rfi.fr19spt13].
C’est le même McCain qui le 17 avril 2007, en campagne pour les présidentielle de 2008, chantonnait « Bomb, bomb, bomb Iran » sur un air des “Beach Boys” [5]. C’est toujours le même homme qui ce 15 déc. s’adressait à près de 200 000 manifestants rassemblés sur Maïdan [place de l’Indépendance] pour demander la démission du président Viktor Ianoukovitch… Lequel doit se rendre à Moscou ce mardi 17 alors que son Premier vice-Premier ministre, Serhiy Arbouzov avait eu tout loisir d’annoncer la semaine passée, l’imminence d’un “accord d’association et de libre-échange” avec Bruxelles. En contrepartie, en cas de signature, une aide financière d’un montant de 20 mds d’€uros sera octroyée à l’Ukraine ainsi qu’une assistance dans la négociation d’un emprunt auprès du FMI ! La carotte est grosse mais plus encore… appétissante. Notons finalement que l’argent ne manque pas lorsqu’il s’agit de corrompre les États !
Au final, les cyniques qui nous gouvernent ne donnant rien dans rien, les Ukrainiens fascinés par le scintillement des merveilles européistes trouveront peut-être la pilule amère lorsqu’il leur faudra, sous peine de voir le robinet à finances se refermer, accepter toutes les joyeusetés obligatoirement livrées avec le kit européiste… Dictature hygiéniste, tyrannie consensuelle, correction politique, fétichisme de la déviance, droits exorbitants des minorités, éclatement du noyau familial et exaltation des toutes les tares et pathologies physiques, morales ou mentales… et cætera. Tout ce que ce monstre de Poutine refuse pour la Russie. Lui qui a su mettre en lisière l’activité et la circulation des fonds de ces honnêtes Ong anglo-américaines œuvrant pour le salut de l’humanité et l’assomption de la démocratie participative. Mais quand le Centre est inaccessible ou imprenable, il convient d’entreprendre une manœuvre d’encerclement en jouant la périphérie contre le centre. Kiev contre Moscou !
Commentaire d’Alexeï Pouchkov, député à la Douma : les « représentants de l’Union européenne et des Etats-Unis sont directement impliqués dans le bras de fer politique en Ukraine... Veulent-ils y établir un nouveau régime colonial ? » [courrrierinter.com16déc13]. En tout cas la visite de McCain, sans constituer pour autant un casus belli, n’est pas moins une provocation de la plus belle eau. Qu’en conclure ? Qu’à Washington les ennemis d’Obama sont puissants, qu’ils ne craignent pas d’accentuer les tensions, qu’ils feront tout pour faire capoter les négociations avec l’Iran, que la marge de manœuvre de l’Administration Démocrate est mince et que les six mois pendant lesquels court l’accord intérimaire sur le contrôle du programme nucléaire iranien devraient être mouvementés.