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Ukraine guerre imminente

Aujourd’hui le rouble s’est effondré

mardi 2 décembre 2014

Élu le 25 mai, le nouveau président ukrainien Petro Porochenko, le 7 juin dans son discours d’investiture devant le Parlement, la Rada déclarait ubi et orbi… « Je jure, de toutes mes forces, de protéger la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine… L’Ukraine était, est et sera un État unitaire. Le délire fédéraliste ne repose sur aucun fondement en Ukraine. L’intégrité territoriale de l’Ukraine n’est pas négociable… Et j’entends rester fidèle à ce vœu sacré… La Russie a occupé la Crimée, qui était, est et sera ukrainienne… Il ne saurait y avoir de compromis sur la question de la Crimée, ni sur le choix européen, ni sur la forme de l’État… ».

Les élections législatives du 26 octobre légalisent à Kiev l’équipe dirigeante issue du coup d’État du 21 février 2014 qui a conduit à l’éviction du président Ianoukovitch… golpe entériné aussitôt par la Commission européenne. Immédiatement, le 21 novembre jour anniversaire de la révolte du Maïdan, la nouvelle majorité européiste/occidentaliste s’engage à modifier avant la fin de 2014 la législation en vue de « relancer la politique d’adhésion à l’Otan », se fixant en outre comme priorité absolue « le rétablissement de la souveraineté d’État sur le territoire de la Crimée ».

« Le délire fédéraliste ne repose sur aucun fondement en Ukraine ». À voir ! Lorsque l’Ukraine rejoint l’Organisation des Nations Unies à sa fondation en 1945, la Crimée n’en fait pas encore partie. Il faut attendre 1954, neuf ans plus tard, pour que Nikita Khrouchtchev, Premier secrétaire du PCUS, décide de l’y rattacher administrativement. Le 26 avril 1990, Gorbatchev fait modifier la loi qui organise les relations entre les différentes composantes de l’Empire moribond, l’Ukraine déclare alors sa pleine et entière souveraineté. Or il ne s’agit pas là d’un changement de statut mais de l’acquisition d’une souveraineté plus complète, celle-ci étant déjà acquise et internationalement reconnue depuis 1945. C’est à ce titre que les représentants de l’Ukraine, État souverain, même s’il est indéniablement un satellite de l’Union soviétique, siège à deux reprises au Conseil de Sécurité*.

En septembre 1990, le Soviet de Crimée notifie au Soviet suprême d’URSS et de Russie son intention d’abroger la décision de 1945 qui avait rétrogradé la péninsule du statut de République autonome – statut identique à celui de l’Ukraine – à celui de simple région ou oblast. Les Criméens contestent alors la légalité de leur transfert à l’Ukraine de 1954 et simultanément le Parlement de Crimée proclame son droit à restaurer le statut de République socialiste soviétique autonome. Un référendum destiné à avaliser ce retour au rang de République autonome au sein de l’URSS a lieu le 20 janvier 1991. Ce vote d’autodétermination sanctionne à 94,3%, avec un taux de participation de 81,37%, la volonté populaire du maintien de la RSSA de Crimée au sein de l’URSS. Résultat qui se traduit par la capacité d’être partie prenante du Traité de l’Union élaboré sous Gorbatchev.

De ce fait la Crimée n’a donc pas été et ne peut avoir été annexée par la fédération de Russie à l’issue de la consultation au suffrage universel en faveur du retour à la Mère patrie russe des Criméens le 16 mars 2014 car elle s’était déjà détachée de l’Ukraine le plus légalement du monde dès janvier 1991. Cependant, à cette date charnière, Kiev qui bénéficie des conseils d’une task force juridique financée par le philanthrope anglais George Soros, parvient à contourner le suffrage populaire. Cela le 12 février suivant en faisant adopter une loi dans l’urgence par le Soviet suprême ukrainien par laquelle la nouvelle RSSA de Crimée est reconnue comme telle… mais au sein de l’Ukraine. Un tour de passe-passe juridique qui revient à une annexion pure et simple travestie sous les oripeaux de la légalité.

Pour le Kremlin le retour de la Crimée à la Russie est évidemment irréversible, ne serait-ce que pour les raisons exposées plus haut. De même qu’il n’est pas envisageable qu’une Ukraine liée à l’Union européenne rejoigne l’Otan : une impossibilité absolue en terme sécurité. Alors à quoi l’Ukraine, l’Union européenne, l’Otan et la Russie doivent-ils s’attendre ? Guerre chaude, totale, froide, locale, globale ? Ou conflit gelé ?

Une crise aiguë qui n’est pas sans rappeler celle des euromissiles de janvier 1983, l’un des derniers grands spasmes de la Guerre Froide. Mais cette fois à front renversé. À l’époque l’émoi venait de l’intention soviétique d’installer des missiles SS-20 de portée moyenne aux frontières de la Communauté économique européenne après le refus du Congrès américain de ratifier le traité SALT II relatif à la limitation des arsenaux stratégiques. Blocage assorti d’un embargo sur les exportations céréalières à destination de l’Union soviétique désignée par le président Reagan comme l’« Empire du Mal ». De nouvelles dispositions viennent renforcer la directive présidentielle 59 du président Carter en insistant sur la capacité de mener victorieusement une guerre nucléaire. Pour la France, le 20 janvier 1983, le président Mitterrand, dans un discours prononcé à Bonn devant le Bundestag à l’occasion du XXe anniversaire du traité de l’Élysée, se déclare favorable à la parité des forces et de ce fait au déploiement des missiles Pershing II américains en Europe de l’Ouest.

Ce statu quo de l’équilibre des forces que l’on pouvait penser appartenir à un temps révolu, est en train de réapparaître et avant d’être probablement très vite rompu. C’est précisément ce qu’à dit le 19 novembre à la BBC Dimitri Pechkov, porte-parole de Vladimir Poutine : « la Russie a ses lignes rouges en Europe et n’autorisera personne à les franchir, et ses réponses seront à la hauteur de la défense de ses intérêts vitaux ».

Le lendemain à l’occasion d’un Conseil national de sécurité, M. Poutine enfonçait le clou quant aux menaces intérieures… « les autorités russes mettront tout en œuvre pour éviter qu’une révolution de couleur ne se produise en Russie… les conséquences tragiques des soi-disant révolutions colorées se voient dans les souffrances des peuples ayant vécu ces épisodes d’ingérence brutale dans leur vie… Nous ferons donc tout notre possible pour que cela ne se produise jamais en Russie » !

Face à l’invasion supposée et dénoncée

La coupe est pleine et la décision prise à l’Élysée d’ajourner sine die la livraison des deux unités du Mistral commandées par la Russie, pourrait être la goutte qui fera déborder le vase. En attendant Paris doit s’apprêter à verser des indemnités à hauteur d’un milliard et demi d’€uros. Pire, au cas où Paris persisterait à « surseoir, jusqu’à nouvel ordre » , en un mot à honorer son contrat commercial avec la Fédération de Russie, New Delhi pourrait mettre un terme à la négociation en cours pour l’achat de 126 aéronefs de combat multi-rôles Rafale construits par la firme Dassault. Un contrat qui en principe devrait être paraphé en mars 2015 !

En attendant le Premier ministre ukrainien, l’atlantiste Arseni Iatseniouk, lequel vient d’être reconduit par le nouveau Parlement à majorité pro-occidentale, a pris lui également l’engagement de défendre l’indépendance de son pays face à « l’invasion militaire russe » ! « Le pays est en guerre… L’invasion militaire russe n’est rien d’autre qu’une atteinte à notre intégrité territoriale et notre indépendance, une tentative de détruire l’Ukraine ». Une guerre qui effectivement sur le terrain ne désarme pas et persiste à tuer, d’ailleurs essentiellement des civils, notamment à Donetsk, victimes de bombardements et de tirs gouvernementaux de roquettes Grad. Le fil du dialogue n’est pourtant, contrairement aux apparences, pas définitivement rompu puisque quelques heures après sa réélection Arseni Iatseniouk s’entretenait au téléphone avec son homologue russe Dimitri Medvedev au sujet de la « coopération économique et financière » entre leur deux pays ! Parce qu’il existe toujours un large fossé entre les professions de foi vengeresses lancées du haut des tribunes et l’exercice contraignant des Affaires dans toute sa triviale réalité.

Guerre imminente ?!

Il n’empêche, le parti est-européen de la confrontation, au moins verbale, avec Moscou, ne désarme pas. Le 27 novembre 2014, le vice-président du Parlement européen, M. Saryusz-Wolski, alertait l’Union via Twitter de la montée d’une menace de plus en plus précise : « plus la pression de la Russie sur l’Ukraine monte, plus la guerre est imminente ». Il est en effet exact que désormais le dispositif militaire russe se renforce notablement à la frontière est de l’Ukraine et en Crimée où commencent à se concentrer des avions de combat… prémices et instruments d’un éventuel contrôle de l’espace aérien de la Mer Noire aux frontières de l’Europe bruxelloise. À Kiev, le 26 novembre, le commandant en chef des forces atlantiques, Philip Breedlove, Supreme Allied Commander Europe, dénonçait à ce propos l’installation en Crimée de « missiles de croisière et les missiles anti-aériens capables d’avoir à leur portée la totalité de la Mer Noire »… Parallèlement l’Otan prépare pour 2015 de grandes manœuvres nommées « Atlantic Resolve » en Europe orientale où elle rassemble déjà 150 blindés lourds. Dans ces conditions, si l’escalade continue de se poursuivre au rythme actuel, il deviendra de plus en plus difficile de faire marche arrière et les chances de désescalade iront en décroissant… jusqu’au possible point de rupture !

Enfin, pour évaluer de façon entièrement pertinente la situation, encore faudrait-il réintroduire dans toute tentative d’évaluation et de projection dans le temps, les objectifs géopolitiques sous-jacents et non-dits de l’Administration Obama. Sans doute ne fait-il aucun doute que la crise ukrainienne, si elle n’a pas été créée de toutes pièces dans ce but, est aujourd’hui mise à profit par Washington pour découpler l’Europe de la Russie avec pour résultat recherché d’arrimer plus étroitement encore l’Union européenne aux « Destinées manifestes » de l’Amérique du Nord… alors même que se négocie dans l’intransparence la plus complète, les termes du grand Traité de libre-échange transatlantique, le Transatlantic Free Trade Area.

Cette politique qui vise à interdire la création d’un vaste ensemble continental réunissant l’Europe à la Russie a néanmoins pour contrepartie de renforcer les liens eurasiatiques entre la Russie et la Chine. Ce qui à terme pourrait s’avérer désastreux pour Washington et la sphère occidentale dans son ensemble. Au bout du compte, en résultante des diverses options qui viennent d’être suggérées, la guerre d’Ukraine doit très vraisemblablement constituer un moyen détourné de faire chuter le régime russe. Un régime axé sur le redressement national qu’incarne le président Poutine pour le meilleur si ce n’est pour le pire. Il s’agirait ainsi pour la Maison-Blanche de faire sauter le « verrou de souveraineté » moscovite qui bloque pour l’heure l’homogénéisation politique et culturelle du Vieux Continent, de l’atlantique au Golfe du Bengale, au sein de la sphère d’influence de l’Amérique-monde pour la plus grande assomption d’un Marché unique global.

Léon Camus 27 novembre 2014

* Cf. l’analyse publiée par Arnaud Dotézac in la revue Market, Genève, numéro 118 septembre/octobre 2014.

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