SRI LANKA : LES PRÉMICES D’UNE INSURRECTION MONDIALE ?
Le Sri Lanka est en faillite et pas prêt de sortir de la crise (1), a admis le 5 juillet le Premier ministre par intérim (intronisé le 12 mai 2022) Ranil Wickremesinghe. Il a prédit une profonde récession accompagnée de graves pénuries, y compris pour 2023.
Selon l’ONU, si rien n’est fait au niveau international, ce qui se passe au Sri Lanka pourrait bien toucher de nombreux pays de la planète dans les mois à venir.
Accablés par la grave crise économique et les pénuries qui frappent leur pays, les Sri-Lankais se sont révoltés et ont chassé le président Gotabaya Rajapaksa du palais présidentiel et incendié la résidence du Premier ministre.
Et pourtant, le Sri Lanka était autrefois un pays relativement aisé avec un PIB par habitant comparable à celui des Philippines.
Les frères Mahinda et Gotabaya Rajapaksa qui ont partagé le pouvoir étaient considérés comme des héros depuis 2009 par la majorité bouddhiste-singhalaise. C’est eux qui étaient parvenus à terminer la guerre qui durait depuis une trentaine d’années contre les rebelles Tamouls (LTTE).
Mais la pandémie Covid-19 a mis un coup d’arrêt au tourisme et à l’entrée de devises étrangères.
Parallèlement, la mauvaise gestion économique couplée à une importante corruption ont coupé la disponibilité de liquidités asséchant la plupart des exportations et des importations. Une erreur économico-politique majeure avait été commise voulant faire du Sri Lanka le premier producteur mondial d’aliments 100 % biologiques. Résultat, les prix du riz et du thé ont doublé. Non seulement les exportations se sont arrêtées, mais la population a commencé à manquer de ce qui faisait la base de son alimentation… Le gouvernement a abandonné sa vision chimérique le 21 novembre 2021 en levant l’interdiction d’importer des pesticides et d’autres intrants agricoles mais il est beaucoup trop tôt pour en constater les résultats.
Les sanctions internationales prises après l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont achevé l’économie du pays. Le gaz et le pétrole sont dorénavant, soit indisponibles, soit trop chers, pour la plupart 22 millions d’habitants.
Les Nations unies ne sont pas aveugles. Elles craignent qu’une situation insurrectionnelle ne gagne les pays impactés par le même type de crise en commençant par ceux qui sont les plus pauvres.
Achim Steiner, l’Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a déclaré au début juillet : « nous assistons à une série d’évènements tragiques au Sri Lanka qui devraient servir d’avertissement à tous ceux qui pensent que c’est aux pays eux-mêmes de trouver une solution à cette crise » en faisant référence au défaut de paiement de la dette de ce pays, le premier de son histoire. Il a poursuivi : « ce défaut de paiement signifie essentiellement que le pays n’est plus en mesure de payer […], mais aussi d’importer les éléments fondamentaux qui font vivre une économie, qu’il s’agisse d’essence, de diésel, de carburant ou de médicaments ».
Cette mise en garde survient alors que les dernières données de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indiquent que le nombre de personnes touchées par la faim dans le monde est passé à 828 millions en 2021, soit une augmentation d’environ 46 millions depuis 2020, et de 150 millions depuis l’apparition du coronavirus.
Achim Steiner craint que si les gouvernements ne prennent pas de mesures décisives et radicales, ils risquent de déclencher des troubles généralisés : « très rapidement, nous pourrions voir également avec les perspectives économiques troublantes une situation où, pour de nombreux pays, la patience et la capacité des gens à faire face à cette réalité s’épuisent. Et comme je l’ai souvent dit, lorsque la politique sort de nos parlements, de nos gouvernements, pour aller dans la rue, nous sommes dans une situation fondamentalement différente. Nous sommes très vulnérables à l’heure actuelle et nous risquons de voir ce type d’évolution se produire dans de nombreux autres pays […] Une flambée des prix sans précédent signifie que pour de nombreuses personnes à travers le monde, la nourriture qu’elles pouvaient se permettre hier n’est plus accessible aujourd’hui […] Cette crise du coût de la vie fait basculer des millions de personnes dans la pauvreté, voire la famine, à une vitesse vertigineuse, et la menace d’une augmentation des troubles sociaux s’accroit de jour en jour ».
Pour l’économiste principal du PNUD, George Gray Molina : « Les effets de la Covid sur le marché du travail, les salaires, les confinements se sont lentement cumulés, avec un fort impact au fil du temps […] ce que nous avons constaté à l’heure actuelle, c’est que trois mois d’inflation ont plongé environ 71 millions de personnes dans la pauvreté ».
L’analyse de 159 pays en développement dans le monde indique que la flambée des prix des principaux produits de base a déjà eu « des effets immédiats et dévastateurs sur les ménages les plus pauvres ».
Selon le PNUD, des points chauds sont clairement apparus dans les Balkans, la région de la mer Caspienne et l’Afrique subsaharienne (en particulier la région du Sahel).
Mais après les pays les plus pauvres, des évènements dramatiques pourraient survenir dans ceux qui sont directement impactés par l’inflation, la pénurie d’hydrocarbures et de biens de première nécessité. Aucun dirigeant ne doit négliger la possibilité d’être chassé de son palais présidentiel par une foule en colère.
1. Voir : « SRI LANKA : au bord de la guerre civile ? » du 12 mai 2022.