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Le carbone et le vivant

dimanche 12 février 2023

Tous les êtres vivants sont formés de squelettes de carbone1. Ces squelettes moléculaires en carbone forment la plupart des tissus et des protéines qui constituent les êtres vivants.
On peut donc, en forçant le trait, assimiler le vivant, d’un point de vue chimique, à une variation sans cesse changeante sur le thème « comment combiner le carbone ». À tel point que la chimie du carbone a été dénommée chimie « organique » parce qu’elle découlait directement de l’observation des composés des organes vivants.

En Angleterre, on parle d’organic farming pour désigner l’agriculture biologique. C’est dire que dans l’état actuel des connaissances, il existe un lien particulier et intime entre l’aventure du vivant et le carbone. L’ensemble des aliments produits par l’agriculture et consommés par l’homme (glucides, lipides, protéines) sont à la base des chaînes carbonées.

Pour aller plus loin sur le sujet lisez notre article
Les niveaux de CO2 sont tellement élevés que les plantes vont commencer à avoir des orgasmes

Du carbone, le vivant en a pompé dans l’atmosphère pour l’organiser sous bien des formes. Il y a 4,3 milliards d’années, le dioxyde de carbone aurait représenté jusqu’à 25 % de l’atmosphère terrrestre2. En 1950, il n’en représentait plus que 0,03 %3. Le vivant est à l’origine de cette formidable mobilisation du carbone atmosphérique, et ce sous quatre formes principales4 :

⦁ La présente fiche est tributaire de l’abondance des travaux effectués depuis deux siècles sur le carbone. Peu de travaux ont été menés sur la silice et l’aluminium par exemple, alors que ceux-ci sont très présents dans la croûte terrestre et qu’il semble que la silice joue sans doute un rôle non négligeable. Comme le carbone, elle est tétravalente (elle peut établir quatre liaisons), mais elle est beaucoup plus lourde, son poids atomique est de 28,086 contre 12,011 pour le carbone ! Ce qui est un handicap pour constituer des organismes.
http://www.ens-lyon.fr/Planet-Terre...
⦁ Cette date de 1950 est couramment utilisée comme référence. Depuis, la teneur en dioxyde de carbone a sensiblement augmenté du fait de l’activité humaine. Cette augmentation est à l’origine des changements climatiques en cours.
http://www.ens-lyon.fr/Planet-Terre...
Ces données sont bien sûr des évaluations, mais l’ordre de grandeur peut être considéré comme fiable.

La division du carbone en quatre catégories peut être trompeuse car elle ne rend pas compte de l’importance relative des différents compartiments en volume. Ainsi, les seules roches calcaires représentent la forme ultra majoritaire – plus de 99,9 % ! – de stockage du carbone atmosphérique. La masse de ces roches est telle que, tout en connaissant leur origine vivante, nous avons du mal à vraiment prendre conscience de la signification de ce phénomène.
Or il n’est aucune manifestation plus puissante de l’impact du vivant sur la géosphère que ces énormes masses de roche. Bien peu de gens, en contemplant les veinures d’un marbre, arrivent à imaginer qu’il s’agit là d’un calcaire métamorphosé sous haute pression et donc d’un nombre quasi infini de squelettes d’organismes souvent microscopiques. Paradoxalement, ce carbone calcifié ne nous intéresse pas directement. Il est si stable qu’il apparaît comme un invariant de notre système actuel.

Les fractions les plus immédiatement vitales pour l’homme sont les quelques centaines de gigatonnes de carbone composant les systèmes vivants actuels et les réserves de CO2 rapidement mobilisables de l’humus des sols. Laissons à part les énergies fossiles, notons simplement que le sol et le sous-sol contiennent des quantités de carbone dont la masse est à peu près le triple du carbone contenu dans les êtres vivants. Ce carbone des sols et des sous-sols est pourtant lui aussi le fruit de l’activité biologique passée. Cette analyse de l’état du carbone suffit à démontrer l’assertion suivante : nous vivons sur une planète dont l’état est l’héritage de l’activité passée du vivant.

Le cycle du carbone

Parce qu’il est constitutif de tous les êtres vivants, le carbone est l’un des principaux acteurs de notre Théâtre d’agriculture et Mesnage des champs, pour reprendre l’image d’Olivier de Serres. On ne peut appréhender correctement l’agriculture, l’alimentation et leurs évolutions possibles sans comprendre le fonctionnement du carbone. On parle couramment de « cycle du carbone » pour caractériser les différents changements d’état que lui font subir les écosystèmes vivants5. Deux phénomènes sont à l’œuvre :

⦁ la fixation du carbone présent dans l’air sous forme de dioxyde de carbone (CO2) et sa transformation en molécules complexes (sucre, cellulose...) ;

⦁ la destruction de ces molécules et le retour à des formes gazeuses, dioxyde ou méthane (CH4).

Fixation du carbone

Le vivant fixe du carbone sous deux formes :

⦁ une forme « minérale », le Ca CO2 des calcaires qui, pour être massive, ne nous intéresse pas ici ;

⦁ une forme « organique » qui permet de composer les sucres, la cellulose, les lipides, les protéines...

Cette dernière action est le privilège exclusif des organismes végétaux capables d’opérer la photosynthèse grâce à une protéine : la chlorophylle. En présence d’eau (H2O) et de dioxyde de carbone (CO2), la chlorophylle capte les rayonnements solaires et mobilise cette énergie pour créer des molécules plus longues. Cette réaction dégage du dioxygène (O2), d’où la réputation des forêts de « poumons verts ».

⦁ La représentation donnée ici est très simplifiée et limitée à ce qui est utile à notre propos.

Présentation simplifiée de la photosynthèse

Cette opération fondamentale est complétée par d’autres réactions qui permettent finalement aux plantes de construire :

⦁ soit des molécules courtes, comme des lipides, des sucres simples, des protéines, assez facilement dégradables et qui serviront de réserves ou d’agents actifs dans le cas des protéines6 ;

⦁ soit des molécules longues (plusieurs centaines ou milliers d’atomes de carbone) qui formeront des « squelettes carbonés » : la cellulose et la lignine, longs polymères carbonés qui forment les tiges, les troncs et dont on tire de quoi faire du papier, des vêtements (lin, coton...). Lorsque les végétaux meurent et que leurs feuilles tombent, les racines du sol, les tiges et les troncs forment une litière et enrichissent le sol en molécules carbonées qui subiront des altérations. On désigne l’ensemble de ces molécules – plus ou moins dégradées – sous le terme générique de matière organique. Ces matières organiques jouent un rôle décisif. Ce dernier point est essentiel pour la compréhension des systèmes de fertilité des écosystèmes.

⦁ La plante peut également produire des molécules longues destinées à constituer des réserves, telles que l’amidon, mais qui ont l’avantage d’être assez facilement mobilisables.

La destruction de la matière organique

Vient maintenant l’opération inverse de destruction/transformation de la matière organique. Elle va être le fait de trois catégories d’acteurs :

⦁ La plante elle-même, qui consomme ses sucres. C’est pourquoi la nuit, les plantes émettent du CO2 : alors privées de lumière, elles cessent de fixer le CO2 mais continuent à en dégager.

⦁ Les animaux – y compris l’homme ! – qui consomment soit directement des végétaux, soit, s’ils sont carnivores, d’autres animaux qui eux-mêmes ont consommé auparavant des végétaux. La plupart des animaux ont du mal à digérer les molécules carbonées longues (cellulose, lignine) et les fibres. Ils métabolisent donc essentiellement les molécules courtes. Il y a des exceptions notables, comme les termites et surtout les ruminants, et encore ne le font-ils que grâce aux bactéries spécifiques de leur tube digestif.

⦁ Enfin, les champignons dits saprophytes7 et les bactéries qui sont à même de dégrader la cellulose et la lignine (qu’elle vienne des végétaux morts ou des excréments des animaux). Cette dégradation finale est appelée « minéralisation », puisque le carbone sous forme organique retrouve en bout de chaîne une forme
« minérale » : CO2 ou CH4.

⦁ Les champignons, qui forment un règne à part, ne sont pas des végétaux et sont dépourvus de photosynthèse. Comme les animaux, ils doivent donc trouver une source extérieure d’énergie. Les champignons qui se fixent sur des organismes vivants sont dits parasites. Ceux qui dégradent de la matière organique morte sont dits saprophytes. Mais beaucoup de champignons vivent en association avec des végétaux (souvent au niveau de leurs racines) échangeant des minéraux et des antibiotiques contre des sucres. Ces champignons, qui prolongent les racines des végétaux, sont appelés mycorhizes.

Les ruminants (vaches, moutons, chèvres, pour s’en tenir aux espèces domestiques) sont à ce titre particulièrement intéressants à étudier. Alors que nous ne digérons que d’infimes quantités de cellulose, les ruminants ont développé dans leur système digestif une « poche » supplémentaire, le rumen, qui héberge une très riche flore bactérienne et agit donc comme un fermenteur bactérien. Ils ont, en quelque sorte, aménagé un espace particulier à une température et une humidité stables, idéales pour stimuler les bactéries qui dégradent la cellulose. C’est un cas de figure particulièrement efficace de symbiose. C’est ce qui explique, par exemple, qu’une vache puisse manger du papier. En bref, un écosystème est un lieu de formation et de dégradation de matière organique.

L’enrichissement d’un écosystème en matière organique est donc le résultat de l’équilibre entre ces deux dynamiques : formation de la matière organique par fixation du

carbone et destruction de la matière organique. C’est là que la notion de « cycle » trouve ses limites, dans la mesure où elle semble évoquer une mobilisation permanente du carbone. En fait, le « cycle » se déroule entre deux masses de stock : le carbone minéral de l’atmosphère mobilisé par la photosynthèse et le carbone organique stocké dans le sol.

Le niveau du carbone dans un système résulte donc de l’équilibre entre ces deux dynamiques, fixation et minéralisation. Si l’on considère maintenant un écosystème dans sa globalité, il peut se présenter trois cas de figure :

⦁ des systèmes dans lequel l’accumulation l’emporte sur la minéralisation, car les végétaux sont plus actifs que les bactéries : ces systèmes sont accumulateurs et augmentent le stock de matière organique du sol ;

⦁ des systèmes où les deux dynamiques s’équilibrent : bactéries et végétaux travaillent au même rythme ;

⦁ des systèmes où la minéralisation l’emporte sur l’accumulation, les bactéries

étant plus actives que les végétaux. Ces systèmes sont minéralisateurs et contribuent à diminuer le stock de matière organique du sol.

Quels sont les facteurs qui vont déterminer la vitesse relative de l’activité des végétaux et des bactéries minéralisatrices ? La chaleur, l’ensoleillement, l’eau et la présence d’autres nutriments, particulièrement la présence d’un nutriment au rôle spécifique, l’azote, sous forme d’ammoniac (NH4+) ou de nitrates (NO32-) ou plus rarement d’urée (CON2H4). À l’exception de l’ensoleillement, ces trois facteurs sont autant stimulateurs de la fixation que de la minéralisation. C’est donc globalement l’ensoleillement qui va faire la différence8. Ainsi :

⦁ en journée, la photosynthèse est active, la fixation l’emporte sur la minéralisation ;

⦁ la nuit, la photosynthèse est inactive, la minéralisation l’emporte sur la fixation.

Pour que l’accumulation l’emporte dans un écosystème, il vaut donc mieux qu’il fasse plutôt plus froid et qu’il y ait plus de lumière. Inversement, la dégradation l’emporte quand il fait plus chaud et plus sombre. Les deux systèmes extrêmes que sont la taïga et la forêt tropicale offrent des exemples concrets de ce qui précède.

Un système accumulateur : la taïga

La grande forêt boréale, la taïga, est un espace d’accumulation de la matière organique. La fixation de carbone y est nettement plus active que sa dégradation. La raison en est simple. Dès que vient la belle saison, la température se réchauffe rapidement, mais plus on monte vers le nord, plus les jours sont longs, jusqu’à être continus au-delà du cercle polaire. Ainsi, pendant la période où il fait assez chaud pour que les organismes vivants soient actifs, le rapport jour/nuit est extrêmement favorable à la végétation : quand il fait chaud, il fait encore jour ! Il s’ensuit une forte production de matière organique. En hiver, la fixation est quasi nulle, et la minéralisation franchement nulle. Le sol gèle, bloquant toute activité bactérienne et donc toute dégradation de la matière organique. À vrai dire, en haute altitude ou latitude, même les chaleurs d’été ne parviennent pas à dégeler le sol en profondeur et il se maintient donc en permanence un permafrost (sol gelé en profondeur). Ces sols sont extrêmement riches en matière

⦁ Même si les différences de température, notamment entre l’atmosphère et le sol, ont aussi une influence organique en dépit d’une faible production annuelle. La minéralisation y est pratiquement nulle.

Un système en équilibre fragile : la forêt équatoriale

Paradoxalement, et malgré sa luxuriance, la forêt équatoriale accumule peu ou pas de matière organique en dehors de la biomasse immédiate des plantes elles- mêmes9. La raison en est simple : les conditions de température et d’humidité y sont optimales toute l’année pour les bactéries qui dégradent la matière organique aussi vite qu’elle s’est formée. Car à l’équateur, les nuits sont aussi longues que les jours et les bactéries travaillant jour et nuit, disposent donc de deux fois plus de temps que la photosynthèse des végétaux ! De fait, dans de telles conditions, seuls des écosystèmes aussi efficaces que la forêt peuvent faire jeu égal avec les bactéries pour maintenir un taux élevé de matière organique. Dès que l’on défriche pour implanter des prairies, la fixation de matière organique par la végétation ne devient plus suffisante et le sol s’appauvrit extrêmement vite en matière organique. Il perd alors sa structure et finit par disparaître. La roche exposée aux intempéries est lessivée et perd ses nutriments.

⦁ Cette biomasse vivante peut, par ailleurs, être considérable rapportée à l’hectare. C’est pourquoi la deforestation, en détruisant la forêt et donc en mobilisant la matière organique vivante, peut dégager abondamment du CO2.

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