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Le plan automobile mondialiste inapplicable en allemagne

mardi 7 mars 2023

Voitures thermiques, marché de l’électricité… Une fois de plus, l’Allemagne fait passer ses intérêts avant tout

L’Allemagne a fait volte-face en décidant finalement de s’abstenir pour le vote qui devait donner le feu vert à l’interdiction au niveau européen de la vente des voitures à moteur thermique en 2035. Ce demi-tour s’ajoute à une longue série de blocages par Berlin de réformes communes envisagées pour s’adapter aux bouleversements nés notamment de la guerre en Ukraine.

C’est un sursis pour les voitures thermiques, qui devaient être interdites à la vente à partir de 2035 au sein de l’Union européenne (UE). Vendredi 3 mars, l’Allemagne a fait volte-face, en prévoyant de s’abstenir, ce mardi 7 mars, pour le vote définitif de cette mesure pensée pour réduire les effets du changement climatique. L’Italie avait annoncé de longue date son opposition au texte, tout comme la Pologne. La Bulgarie souhaitait quant à elle s’abstenir. Mais, à eux trois, ces pays n’avaient pas les moyens de bloquer la procédure. C’est l’abstention de l’Allemagne qui empêche, pour l’heure, l’émergence d’une majorité qualifiée et bloque le processus législatif. Dans les faits, ce sont les libéraux du FDP – membres de la coalition au pouvoir – qui freinent des quatre fers, contre l’avis du Premier ministre, le social-démocrate Olaf Scholz.

Les libéraux ont finalement réussi à s’imposer par la voix du ministre des Finances, Christian Lindner, qui réclame des garanties à la Commission européenne sur la possibilité d’utiliser des « carburants synthétiques », dans l’ère qui s’ouvrira après 2035. La conception de ces futurs carburants risque d’être très énergivore et leur caractère écologique est contesté. Mais le constructeur allemand Porsche compte sur eux pour abreuver à l’avenir ses automobiles. En bloquant la future interdiction de la vente des moteurs thermiques, le gouvernement allemand divisé fait donc primer l’intérêt de ses industriels sur l’atténuation du changement climatique. Dans la même logique de priorité des intérêts économiques nationaux, le même Christian Lindner réclamait en 2017 la reconnaissance du rattachement de la Crimée, pourtant annexée par la force, par la Russie, dont l’Allemagne était déjà tributaire à l’époque pour son gaz.

« État de confusion »

« L’Allemagne a toujours fait cavalier seul, en se décidant en fonction de ses intérêts nationaux et en tentant d’infléchir les positions européennes quand ce n’est pas le cas », regrette l’eurodéputé Emmanuel Maurel, interrogé par Marianne. Ce qui est nouveau selon lui en revanche, c’est « l’état de confusion » dans lequel il trouve ses homologues allemands au Parlement européen, et qui se reflète dans les divisions qui secouent la coalition au pouvoir. « Tout leur modèle de société est bouleversé depuis l’irruption de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Cela a complètement remis en cause le triptyque : gaz russe pas cher, exportations massives vers la Chine et domination sur l’Union européenne », poursuit Emmanuel Maurel, fondateur du parti la Gauche républicaine et sociale (GRS).

Agressive sur le plan industriel, l’Allemagne a connu une période de prospérité au cours des trente dernières années. Mais le monde a brutalement changé. Et le pays semble contraint de faire le deuil de son dogme ordolibéral, si profondément ancré dans les imaginaires politiques qu’il est intégré à la loi fondamentale – sa Constitution – et de sa croyance absolue dans les vertus du libre-échange. Ce qui ne va pas sans remous. « L’Allemagne est un paquebot qui bouge lentement (...) les forces susceptibles de freiner les changements indispensables restent puissantes, relève William Desmonts dans la revue de géopolitique Le Grand Continent. Il en va de même de celles qui poussent l’Allemagne à faire cavalier seul pour essayer de sortir le pays de ce mauvais pas. Le risque est sérieux que ces forces empêchent l’Europe de répondre suffisamment vite, suffisamment fort et de manière collective aux défis colossaux auxquels elle est confrontée. »

Blocages majeurs

Ces derniers mois, les blocages allemands s’accumulent ainsi sur des sujets majeurs pour l’avenir de l’Europe. Soutenue par le Danemark, les Pays-Bas ou le Luxembourg, Berlin tente notamment de ralentir la réforme du marché de l’électricité, dont les prix ont explosé depuis le début de l’invasion de l’Ukraine. La Commission européenne pousse pourtant vers une transformation d’ampleur de ce marché qui ne « fonctionne plus ». Mais, l’Allemagne milite pour une modification a minima et ne veut surtout pas y toucher avant les élections européennes de 2024. Or, il y a urgence selon la France et l’Espagne, qui espèrent un bouleversement majeur. Le gouvernement allemand est aussi frileux sur la définition d’une réponse ambitieuse et concertée au gigantesque plan de protectionnisme déployé par les États-Unis. Un plan qui, combiné à la crise énergétique actuelle, pourrait être un désastre pour l’industrie européenne. Pour le moment, Berlin rechigne à souscrire un nouvel emprunt commun entre les Vingt-Sept et refuse d’instaurer des mesures de rétorsion à la politique américaine.

« La riposte n’est pas à la hauteur. On prend des coups sans répondre parce que l’Allemagne paralyse toute action qui engagerait un bras de fer contre les États-Unis ou la Chine. Le risque c’est que l’Allemagne déploie son plan d’investissement de son côté, alors que la France a besoin d’une décision européenne. Ils le savent et en profitent », observe une figure de l’industrie hexagonale pour Marianne. Sur le plan militaire aussi, Berlin préfère se tourner vers les États-Unis plutôt que vers ses voisins européens. Pour son futur bouclier antimissile, l’Allemagne a opté pour des technologies européennes, mais surtout américaines et israéliennes. Un choix aux allures de « bras d’honneur » pour la France, qui lance au même moment la production de son propre système de défense aérienne avec l’Italie.

« Ce qui apparaît, c’est la vérité de la politique européenne de l’Allemagne. Ils sont proeuropéens à condition que leurs propres intérêts soient pris en compte prioritairement. Pendant des décennies, la France et sa vision presque idéaliste de l’Europe politique a été d’une naïveté coupable. La question est de savoir si, comme d’habitude, elle va se coucher ou si elle va résister pour établir une forme d’équilibre », anticipe Emmanuel Maurel. Les choix qui sont opérés en ce moment risquent, en tout cas, d’être déterminants pour l’avenir du continent et de l’Hexagone.

Marianne

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