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Ukraine : trois mois de vaine colère

Léon Camus

mercredi 26 février 2014

1991, mort de l’empire soviétique. 2005, l’Ukraine est devenue indépendante. Le président Leonid Koutchma après un second mandat entaché de persistantes accusations de corruption, cède la place au russophile Viktor Ianoukovitch. Mais au soir du second tour Viktor Iouchtchenko, tête de file de l’opposition européiste, refuse la sanction des urnes… ceci aboutit le 21 novembre 2004 à la « Révolution orange » préparée et soutenue en sous-main par quelques filiales du Département d’État et de la Cia telles Pora [1]. Une Ong très spéciale qui avait opéré, sous un autre nom, Optor mais avec les mêmes cadres, en 2000 dans la Yougoslavie éreintée par les bombardements de l’Otan afin d’y hâter la chute du président Milosevic. Ceci avec l’aide de cet inlassable pèlerin de la démocratie, de la « société ouverte » et du droit des minorités sexuelles, George Soros, sorte de Pierre Bergé cosmoplanétaire. Iouchtchenko dont le visage est grêlé suite à une tentative d’empoisonnement, après un troisième tour électoral accède alors à la présidence et nomme la vénéneuse Ioulia Timochenko Premier ministre. L’association va durer un an et la belle brune relookée façon fille des champs aux nattes de blé postiches est renvoyée dans ses foyers.

Trois mois d’émeutes allant crescendo

« En rejetant en novembre 2013 un accord d’association avec l’Union européenne au profit de la Russie, le président Viktor Ianoukovytch, à la tête d’un pays au bord de la faillite, a déclenché une véritable fronde populaire, qui n’a cessé depuis de se renforcer, nourrie par la répression policière et l’incapacité à dialoguer des différentes parties. Trois mois plus tard, une véritable flambée de violence, faisant pas moins de 82 morts, a soudainement précipité le court de ce conflit et poussé inexorablement vers la sortie le président Ianoukovytch, que la rue avait déjà désavoué, dix ans plus tôt » [2].

Après trois mois de révolte et de violence allant crescendo, le président ukrainien Viktor Ianoukovytch et les oppositions étaient parvenus ce 21 février 2014 à conclure un accord pouvant mettre fin à une crise ouverte trois mois auparavant jour pour jour. On ne saurait mieux retracer en quelques mots les grandes lignes du drame ukrainien dans toute sa complexité ni envisager pertinemment ses développements ultérieurs car de toute évidence l’Ukraine n’est pas au bout de ses peines. Effectuons donc, pour plus de clarté, un bref retour sur images [3] !

Ce 21 novembre 2013, le président Ianoukovytch sensible aux arguments sonnants et trébuchants du président Poutine, tournait le dos aux propositions de partenariat élargi avec l’Union européenne. Or il s’agit toujours de voir quelles réalités se cachent derrière le voile des mots. Pour les Russes en effet il ne saurait être question de voir passer l’Ukraine dans le camp euratlantiste comme le souhaitait en 1997 le stratège visionnaire de l’Empire nord-américain, Zbigniew Brzezinski - conseiller sur les affaires étrangères de Barack Obama pendant la campagne présidentielle de 2008 - dans son œuvre magistrale « Le grand échiquier » : « Après 2010, le principal noyau de sécurité en Europe comportera la France, l’Allemagne, la Pologne et l’Ukraine ». Moscou ne saurait évidemment tolérer sur son flanc ouest un État potentiellement puissant eu égard à des ressources minières actuellement sous-exploitées… et encore moins voire possiblement remis en cause son accès à la Mer Noire via la Crimée et le port de Sébastopol. Ajoutons que le partenariat Union/Ukraine condamnait en grande partie le projet en cours de réalisation d’Union douanière voulue par Moscou laquelle comprenait en sus la Biélorussie et le Kazakhstan.

Sautant sur l’occasion de venir au secours de l’Ukraine en quasi-cessation de paiement, les Euratlantistes ne pouvaient bien entendu pas ignorer qu’ils battaient en brèche cet ambitieux projet régional. Ce que de toute évidence Moscou ne pouvait accepter en aucun cas. La dimension géopolitique de la question ukrainienne, sans en omettre les déterminismes historiques, est en effet à considérer en priorité si l’on veut comprendre le mécanisme des événements. Ce pourquoi également la situation ne se réglera pas par un coup de baguette magique… ni avec la sortie précipitée de la scène politique du président déchu qui a fui la capitale accablée d’un fardeau de fautes et de crimes dont tous, dissidents et loyalistes, se sont complaisamment déchargés sur lui à l’image du bouc expiatoire de la légende sémite.

Au regard de l’évolution ces derniers jours et du coup de force parlementaire qui est intervenu - samedi 22 Ianoukovytch dénonçait non sans raison un « coup d’État » - la partition du pays est devenue une hypothèse particulièrement envisageable au moins pour les régions russophones, singulièrement la Crimée qui l’est plus de 70%. La guerre civile n’est pas non plus encore totalement à exclure. Mais, forts de l’expérience des printemps arabes, les nationalistes de la place Maïdan, manipulés ou non, n’entendront sans doute pas se laisser facilement dépouiller de leur « victoire » !

Revenons trois mois en arrière. Dès le lendemain du refus ex abrupto de Ianoukovitch de se rendre à Vilnius [Lituanie] pour y parapher l’accord prévu - négocié de longs mois durant - de partenariat avec Bruxelles, éclataient les premières manifestations place de l’Indépendance à Kiev. À l’appel notamment de l’ancienne égérie de la Révolution orange, Ioulia Timochenko depuis hôpital où elle se trouvait détenue. Un funeste revirement qui devrait aujourd’hui enseigner à Ianoukovytch, mais un peu tard, qu’en politique la versatilité peut s’avérer mortelle… surtout dans un pays en ruines économiques dont la jeunesse plaçait tous ses espoirs dans la manne céleste devant immanquablement s’abattre sur le pays une fois le partenariat avec Bruxelles signé. Une appétence pour les charmes faisandés de la démocratie occidentaliste que nous savons illusoires, et qui, au demeurant, n’est pas très éloignée des rêves des jeunes Tunisiens et Égyptiens cherchant désespérément la voie vers une modernité pour l’heure inaccessible. D’autres dans l’opposition et non des moindres, tels le Parti Svoboda national-socialiste espéraient s’arracher à l’orbite russe et tourner ainsi définitivement la page de l’ère honnie du communisme… celle des grandes famines et de l’Holodomor, ce génocide de la paysannerie ukrainienne qui de 1932 à 1933 fit plusieurs millions de morts.

Montée en puissance de la contestation

Au troisième jour de la contestation, le 24 novembre 2013, le courroux populaire enfle progressivement. Quelque cent mille contestataires se rassemblent place de l’Indépendance. Ianoukovytch déclare alors agir dans l’intérêt supérieur de la Nation « Je veux que la paix et le calme règnent dans notre grande famille ukrainienne… Je n’agirai jamais au détriment de l’Ukraine et de son peuple, je veux qu’on le sache ! »… tandis que le gouvernement annonce poursuivre malgré tout les discussions avec l’Union européenne. Au bout du compte, le 29, la rupture des pourparlers avec Bruxelles est définitive quoique Ianoukovytch assez stupidement déclare toujours poursuivre l’objectif d’une intégration dans l’Union. En réponse à cette incohérence politique, les oppositions réclament derechef la démission du chef de l’État.

Le vent de la sédition souffle désormais sur les occupants de la place Maïdan : ceux-ci ne manifestent plus simplement en faveur d’un rattachement de l’Ukraine à l’Union européenne mais exigent, comme dans les Printemps arabes, l’éviction d’un pouvoir dénoncé pour sa corruption. S’instaure alors une logique de «  renversement  » caractéristique de la réorientation subversive d’une fronde au préalable pacifique. Très vite des signes apparaissent d’une volonté de faire dévier le mouvement contestataire de ses objectifs premiers, le conduisant de cette façon à dégénérer nécessairement dans la violence. À partir de là, des incidents et des provocations, d’abord isolés puis de plus en plus fréquents, vont faire leur apparition par la suite des tireurs embusqués. C’est dans ce contexte que le 1er décembre, l’ex ministre de l’Économie Arseni Iatseniouk, l’ancien boxeur Vitali Klitschko tête de file de l’Alliance démocratique ukrainienne pour la réforme et le nationaliste Oleh Tiahnibok, appellent conjointement à la démission du chef de l’État tandis que des manifestants encagoulés tentent de pénétrer dans les locaux de l’administration présidentielle. On relève près de 200 blessés.

Le 6 décembre, au retour d’un voyage en Chine populaire, Ianoukovytch fait étape à Sotchi où il rencontre le président Poutine. Deux jours plus tard plusieurs centaines de milliers de personnes défilent dans Kiev. Pendant la journée une statue monumentale de Lénine, la plus grande de la capitale, est mise à bas dans une sorte de répétition de la mise en scène du 9 avril 2003 à Bagdad quand l’effigie de bronze de Saddam Hussein avait été arrachée de son socle place Ferdaous, avant de s’écraser sous l’œil complaisant des caméras sur le sol de marbre. Un événement qui avait marqué les esprits. Un épisode théâtral conçu par des spécialistes en communication avec pour figurants des transfuges revenus à leur patrie trahie dans les fourgons de l’armée yankee. Évidemment les journalistes présents là-bas et partout ailleurs n’y avaient vu que du feu ! À Kiev, la répétition d’une telle démonstration symbolique selon un scénographie quasi identique ne peut être due au simple hasard. Il est à ce titre difficile de ne pas y voir comme une « signature », celle des forces souterraines agissant et œuvrant en Ukraine depuis des années et des mois à contresens de l’expression d’une volonté populaire authentique… et plus ou moins spontanée.

Le 15 décembre le sénateur néoconservateur du parti Républicain John McCain, partisan d’une politique de fermeté à l’égard de Moscou vient exciter les occupants de Maïdan. Visite que le quotidien Kievski Telegraf qualifie de « vengeance contre la Russie pour son rôle dans le conflit syrien ». Peut-être, mais pas seulement. Le 17, Ianoukovytch se rend à Moscou. Vladimir Poutine propose à l’Ukraine un plan de sauvetage financier de 11 mds d’€uros dont la première tranche est débloquée la veille de Noël, à la date du calendrier grégorien. La Russie se propose également de réduire d’un tiers le prix du gaz qu’elle vend à l’Ukraine, mais par contre l’accord de libre échange n’est pas signé à cette occasion. Accusé avec virulence d’avoir vendu à vil prix la souveraineté ukrainienne, Ianoukovytch tente de se justifier en dénonçant les ingérences extérieures dont l’Ukraine se trouve l’objet de même que « les tentatives anticonstitutionnelles de prise du pouvoir » s’insurgeant contre « ceux qui viennent dans notre pays pour nous y donner des leçons »… sont visés les États-Unis, l’Allemagne, la France.

Vers la guerre civile

Passée la trêve des confiseurs, la crise commence à prendre la tournure d’une guerre civile. À partir du 20 janvier les troubles sont de plus en plus violents. Les cocktails Molotov au napalm, les pavés brisés à la massette, les boulons et des objets contondants divers pleuvent sur les forces de l’ordre. Il ne s’agit plus de contestation mais de guérilla urbaine. Dans un nouvel effort pour contenir le flot de la colère, Ianoukovytch offre le 25 à Arseni Iatseniouk et au boxeur Vitali Klitschko les postes de Premier ministre et de vice-Premier ministre. Propositions auxquels les deux hommes opposent une fin de non recevoir. Trois jours plus tard le Premier ministre Mikola Azarov prend peur et démissionne. Une loi d’amnistie est promulguée sous réserve d’évacuation des bâtiments publics occupés par les contestataires. Sans résultat. Force n’est plus ni à la loi ni à la légalité.

Début février, après un passage à Kiev de la responsable de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, l’Américaine Victoria Nuland, Secrétaire d’État adjointe vient s’entretenir avec le président et les chefs de l’opposition. Cette dernière va connaître un moment de gloire dans le cyberespace avec une vidéo cocasse - des images « volées » - dans laquelle elle voue l’Union aux gémonies avec une rare élégance : « Fuck the UE ». Vous nous en direz tant ! Dans le même temps, tandis que l’ouverture de Jeux de Sotchi est imminente et que traînent en longueur les discussions sur une nécessaire refonte de la constitution ukrainienne destinée à réduire le champ des prérogatives présidentielles, Moscou enjoint Washington de cesser toute aide et financement aux « rebelles ». Le 7, en marge de la cérémonie d’ouverture des Jeux, Poutine et Ianoukovytch se rencontrent, l’occasion sans doute pour le président russe de rappeler à l’Ukrainien pris entre le marteau et l’enclume, que le versement de l’aide promise reste liée au respect des engagements pris vis-à-vis de la Russie.

Le 9 février, soit une dizaine de jours avant la chute de la présidence pro-russe, l’oiseau de mauvaise augure, Bernard-Henri Lévy, le Fabius bis, s’exhibe place Maïdan exhortant les séditieux à plus de sédition encore si possible. Ce grand humaniste est toujours l’annonciateur des carnages perpétrés au nom des droits humains. Ce qui ne manqua pas d’arriver. Le 18 des contestataires envahissent le siège du Parti des Régions, le Parti de Ianoukovytch. Dans la nuit Kiev bascule dans le chaos. Les forces anti-émeute entreprennent de reprendre le Maïdan. Le bilan est lourd : 26 morts des deux bords et quelque 600 blessés, 263 chez les manifestants, 342 dans les rangs des forces de l’ordre. D’impressionnantes images aériennes nocturnes prises par un drone montrent la place de l’Indépendance embrasée, ressemblant à un champ de lave en fusion crachée par la gueule d’un volcan. Le lendemain le président Ianoukovytch qui, rappelons-le, a été élu tout à fait régulièrement et à ce titre n’a rien d’un dictateur - pas plus qu’il n’en a l’étoffe - dénonce une tentative de prise du pouvoir par la force et prend la décision de lancer une vaste « opération antiterroriste ». Bruxelles fait semblant de se fâcher et convoque les figures dominantes de la diplomatie européenne pour « une réunion extraordinaire afin d’évoquer d’éventuelles sanctions ». Ianoukovytch annonce une trêve... que les émeutiers et les formations paramilitaires ne respecteront évidemment pas.

Le chaos s’installe place Maïdan

« En guise de trêve, une nouvelle vague de violence s’abat sur le pays. Armés [de fusils], de bâtons, de boulons, de pavés, de cocktails Molotov, des centaines de manifestants radicaux, le plus souvent casqués et équipés de boucliers, affrontent les forces anti-émeute Berkout, qui répliquent avec des balles en caoutchouc, grenades lacrymogène mais aussi à la kalachnikov. Au moins 60 manifestants sont tués par balle. Plusieurs dizaines de policiers sont également capturés par les protestataires. Plusieurs élus écœurés quittent le Parti des Régions » [4]. Plusieurs entrepôts d’armes ayant été pillés à travers le pays - à Lvov, Kolomya, Drohobych - les forces de police ont été autorisées à utiliser leurs armes en « légitime défense ». À l’heure d’Internet il est devenu plus difficile de cacher certains faits significatifs et de manipuler les opinions publiques comme à l’époque de la Bosnie et du Kosovo. Les temps changent, les citoyens lambda ont été déniaisés par deux décennies de guerres ininterrompues et le kriegspiel n’est plus aussi facile à jouer pour le camp euratlantiste.

Le commissionnaire de M. Hollande, Laurent Fabius, en route pour Pékin, retrouve ses homologues allemand et polonais à Kiev « pour négocier en urgence une sortie de crise avec Viktor Ianoukovitch » lequel accepte in fine des élections anticipées dès 2014. Un accord est signé vendredi 21 entre le président Ianoukovytch et les représentants des oppositions, compromis prévoyant des élections présidentielles, la formation d’un gouvernement de coalition et une réforme constitutionnelle. Le Parlement vote dans la foulée le rétablissement de la Constitution de 2004 limitant les pouvoirs présidentiels. Mais les choses n’en restent pas là. Les concessions faites entraînent un rapide détramage. Les défections se multiplient au sein du parti présidentiel. Samedi 22, le parlement présidé par Olexandre Tourtchinov, un intime de l’ancien Premier ministre Ioulia Timochenko condamnée à sept ans d’emprisonnement pour concussion, vote la libération immédiate de la susdite et, faisant d’une pierre deux coups, prononce la destitution du président Ianoukovytch. Celui-ci ayant quitté la capitale dénonce un «  coup d’État » tout en déclarant son intention de ne pas démissionner de ses fonctions : « Je suis un président élu de manière légitime. Je n’ai pas l’intention de quitter le pays ». Simultanément, l’Est de l’Ukraine s’appuyant sur le principe de « continuité constitutionnelle » proclamait son autonomie de facto.

La Baba Yaga relookée remonte sur scène

Aussitôt libérée Ioulia Timoshenko se produit le soir même place Maïdan dans un fauteuil roulant, non pour apaiser la foule mais pour l’inciter à poursuivre son action. La détermination de la nouvelle passionaria de 53 ans, relookée façon Madonna, montre un tel zèle anti Russe qu’elle en inquiète déjà la communauté juive dont les autorités religieuses appellent à quitter le pays [5] !

Se réservant a priori pour les présidentielles du 25 mai, Timochenko, fine mouche, refuse le poste de Premier ministre qui ne lui avait pas encore été proposé… Se démasquant elle ne cache pas son intention de ne pas proroger au-delà de 2017 les accords russo-ukrainiens relatifs à la base navale de Sébastopol. L’ex Premier ministre montre ainsi qu’elle roule pour l’Otan et que pour ce faire elle sait astucieusement s’associer aux factions les plus radicales du nationalisme ukrainien. Ce pourquoi des frissons d’horreur parcourent l’échine des « antifas » institutionnels, notamment ceux des médias. Ces grimaces n’étant cependant pas à prendre très au sérieux. Car au fond, Mme Timochenko poursuit par d’autres moyens la diplomatie subversive de Washington en Europe. Et pour ce faire elle doit se rallier une extrême-droite « idiote utile » réputée antisémite mais qui ne répugne pas à l’applaudir tout comme elle l’avait fait auparavant pour le triste sire et brandon de discorde, Bernard Henri Lévy… lequel avait su faire fi - le temps d’une soirée d’ivresse des grandeurs - du parfum « nauséabond » se dégageant d’une foule aussi marquée par une haine viscérale de l’Autre… En un mot, l’Ukraine que propose Timochenko correspond mot pour mot à la diplomatie que conduit, avec discrétion et énergie pour le Département d’État, sa coreligionnaire Victoria Nuland, laquelle s’emploie depuis quelques semaines, et de façon proactive, à constituer le prochain gouvernement fantoche pro-américain.

Le 23 février Olexandre Tourtchinov président du nouveau Parlement - non sanctionné par une représentation réellement légitime issue des urnes - devient président par intérim. Victor Ianoukovitch reste introuvable. Abandonné par les siens, son propre Parti lâche du lest et condamne dans un communiqué lapidaire la « trahison » d’icelui, le désignant comme seul « responsable des événements tragiques » qui viennent d’affecter l’Ukraine. En fait Ianoukovitch aurait trouvé refuge à Sébastopol sur une base de l’infanterie de marine russe dans la baie Kozatchia [6]. Ce qui annule et ridiculise les élucubrations désinformantes selon lesquelles le président russe, hors de lui à l’égard de son homme lige, songerait à se rapprocher de Timochenko.

Demain la partition ?

Nouvel homme fort par intérim, Olexandre Tourtchinov a donné à ses collègues députés jusqu’à ce mardi 25 février pour constituer une nouvelle majorité et former un gouvernement d’unité nationale. Dans une adresse à la nation, Tourtchinov a désigné Ianoukovytch comme celui qui « a ruiné le pays. L’Ukraine est en train de glisser dans le précipice, elle est au bord d’un défaut de paiement… La priorité, c’est le retour à la voie de l’intégration européenne… Nous sommes cependant prêts à un dialogue avec la Russie, en développant nos relations sur un pied d’égalité… [et des relations] qui respecteront le choix européen de l’Ukraine » ! Reste à savoir si la Russie sera d’accord avec un tel programme d’autant que M. Fabius, décidément très sans gêne, demande à Moscou de mettre la main à la poche et de payer cash pour renflouer l’Ukraine démocratique, certes européiste mais indéniablement financièrement défaillante [7]. On n’est jamais aussi généreux qu’avec le sang et l’argent des autres !

Quant au Secrétaire d’État John Kerry, celui-ci a mis en garde depuis quelques jours Moscou contre toute opération terrestre en Ukraine. Sergueï Lavrov, son homologue russe, lui a rétorqué que « les intérêts vitaux » russes ne devraient en aucun cas se voir lésés. On signale à ce propos la présence de bâtiments de guerre de la VIe Flotte en Mer Noire face à d’autres unités, celles-là appartenant à la marine de guerre russe… qui a renforcé ses effectifs aux abords de sa base navale de Sébastopol. Modéré ou temporisateur, Lavrov a néanmoins insisté lors d’un échange téléphonique avec John Kerry, sur la nécessité d’appliquer stricto sensu le protocole passé le 21 février sous l’égide des ministres polonais, allemand et français. Kerry insistant pour sa part sur l’obligation « pour tous les États de respecter la souveraineté de l’Ukraine, son intégrité territoriale et sa liberté de choix ». Même son de cloche à Paris et à Berlin où M. Hollande et Dame Merkel ont salué de concert « la transition démocratique qui s’engage »… tout soulignant que « l’unité et l’intégrité territoriale du pays doivent être respectés » [8] ! Preuve s’il en était que la hantise de ces gens-là est bien que le pays ne finisse par se partager.

Un proche avenir lourd d’incertitude

C’est que la partie « utile du pays », celle qui compte l’essentiel de l’industrie et des centres économiques, est justement la partie orientale acquise à Moscou. Sans elle l’Ukraine serait économiquement impotente… plus encore qu’elle ne l’est à présent. Ajoutons que si l’Ukraine rejoint l’Union, cela finira à terme par l’intégration du pays dans la sphère économique euro-allemande sous contrôle militaire américain ce que ne saurait bien entendu accepter le Kremlin. Alors qu’aux élections présidentielles de 2010 la totalité de l’Ukraine s’était exprimée, le même cas de figure ne devrait pas se retrouver le 25 mai prochain, chacun votant de son côté, européiste d’un côté, russophiles de l’autre, avec à l’arrivée deux présidents appelés á conduire des politiques antagonistes, et par conséquent rendre le pays ingouvernable [9].

Une situation en perspective contre laquelle les Polonais ont mis en garde leurs partenaires européens craignant par ailleurs que, la coupe étant pleine, Moscou ne se détermine tout bientôt à s’ingérer manu militari dans les affaires ukrainiennes sur le modèle de la crise ossète d’août 2008. Ce pourquoi le ministre des Affaires étrangères polonais Radoslaw Sikorski avait sans ambages menacé les chefs des factions dissidentes ukrainiennes que faute d’un accord de sortie de crise passé avec le président Ianoukovytch, « une action militaire russe serait inévitable ». Sikorski avait en outre conclu en ces termes : « Signez l’accord ou vous êtes tous morts ».

Éventuelle intervention de Moscou contre laquelle l’Union européenne ni l’Otan ne pourraient mais et à laquelle elles assisteraient impuissantes. L’Union n’existant qu’en tant que vaste friche industrielle - exception faite du géant économique allemand - elle ne dispose d’aucun moyen disponible hors ceux de l’Otan. Et face à Bruxelles nous avons une Russie renaissante. Car nous ne sommes plus dans la décennie Quatre-vingt dix, quand la Russie était mise au pillage par les mafias oligarchiques. Entre-temps elle a réarmé. En août 2008, en Géorgie, en pleine trêve olympique des Jeux de Pékin, tout comme aujourd’hui avec les Jeux d’hiver de Sotchi, elle a su montrer, contre toute attente, qu’elle avait recouvré une vraie capacité à défendre ses marches. De nos jours, les seules forces opérationnelles européennes, sont françaises et sont à l’heure actuelle en train de s’embourber en Centrafrique.

Déjà Moscou montre ses muscles. Le général Gerasimov a reçu pour instructions du président Poutine de prendre contact avec ses interlocuteurs de l’Otan dans le but de les informer qu’un « ordre d’exécution immédiate » venait d’être donné aux unités d’infanteries de marine [10] de la Mer Noire et aux forces de défense côtières de Crimée. Cela afin de prendre toutes dispositions utiles à la protection de l’Isthme de Perekop, mince bande de terre qui relie la péninsule de Crimée au territoire de l’Ukraine [11]. Le lait est donc a priori déjà sur le feu !

Notes

[1Pora [Il est l’heure] une « organisation civique et de résistance non-violente de la jeunesse ukrainienne préconisant l’instauration d’une « vraie » démocratie nationale ». Fondé en 2004 avec les fonds de la National Endowment for Democracy de G. Soros et ceux de l’Ambassade du Canada avec pour objectif avoué de coordonner l’opposition de la jeunesse au gouvernement. Pora, l’un des protagonistes de première ligne de la Révolution orange, était dirigé par d’anciens cadres dirigeants d’Optor. Une organisation insurrectionnelle ayant conduit en Serbie la lutte contre la présidence de feu Slobodan Milosevic durant l’été 2000.

[2leparisien.fr21fév14

[3Pour plus de détail on se reportera à la chronologie, fournie mais sélective - et par-là, muette sur des points cruciaux - publiée le 21 février par le quotidien Le Parisien.

[4ibid.leparisienfr21fev14

[5Une aimable comédie sachant que la Baba Yaga ukrainienne est née en novembre 1960 des œuvres du Letton Vladimir Abramovich Grigyan. « Ukrainian Jews fear that the anger will be directed at the Jews, as has happened in the past » (ejpress.org21fév14) et « Ukraine : les liens antisémites et antisionistes de Yulia Timochenko (lemondejuif.info23fév14).

[6ATR23fév14

[7Le pays ne dispose plus que de 18 mds en réserves de change et ce sont 35 mds qui seraient nécessaires à boucher les voies d’eau. L’Ukraine est également redevable à la Russie d’une facture gazière d’un montant 2,4 Mds€. La banqueroute menace et Standard & Poors par un surcroît de générosité, n’a rien trouvé de mieux que de dégrader au plus bas la note ukrainienne la faisant passer de B- à CCC+ , cela au prétexte de l’instabilité politique qui règne dans le pays. Ce qui signifie qu’aucun investisseur ne se risquera dans la conjoncture actuelle à miser un fifrelin sur l’avenir du pays… (lefigaro.fr28janv14).

[8lemonde.fr23fév14

[9breizataover-blog.com23fév14

[10Les troupes russes dès maintenant placées sur « le pied de guerre » comportent en premier lieu les 1 200 fusilliers marins de la 810e brigade d’infanterie de marine, elle-même adossée à des forces beaucoup plus importantes.

[11eutimes.net24fév14

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