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La France, mauvaise élève du lobbying

samedi 20 juin 2015

Un tout petit 2,7 sur 10. C’est la note que vient d’obtenir la France dans son premier contrôle en lobbying mené par Transparency International. L’association, qui milite pour plus de transparence et d’intégrité dans la vie publique présente, mardi 21 octobre, un rapport inédit dressant un état des lieux complet sur le lobbying dans le pays, et le résultat n’est pas glorieux. Les « représentants d’intérêts » – terme préféré à « lobbys » –, qui, au nom d’entreprises ou d’associations tentent d’influencer en leur faveur les décideurs publics dans le processus législatif, continuent en France d’agir dans l’ombre.

« Il reste beaucoup de chemin à faire », introduit Anne-Marie Ducroux, administratrice chargée des questions de lobbying chez Transparency. Selon l’association, « La France n’est pas à la hauteur de l’enjeu démocratique » et doit « clarifier les relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts » pour « créer les conditions de la confiance des citoyens dans la décision publique ». Et améliorer cette « note médiocre » de 2,7, obtenue à partir d’une grille de notation de 65 indicateurs portant sur les conditions d’élaboration des lois et des décrets en France, au Parlement et dans toutes les autres instances de prises de décisions (cabinets ministériels, collectivités locales, autorités administratives…). Un examen mené en parallèle et avec la même méthodologie dans 19 pays européens dans le cadre d’un projet financé par la Commission européenne, et dont la synthèse sera rendue publique début 2015.

L’évaluation se fait autour de trois principes, qui restent encore des objectifs à atteindre : l’intégrité des échanges, la traçabilité de la décision publique et l’équité d’accès aux décideurs publics.

INTÉGRITÉ : « PAS DE CONTRÔLE INDÉPENDANT »

Sur les questions d’intégrité (conflits d’intérêts, restrictions d’emploi, codes de bonne conduite…) la France s’en sort à peu près grâce à l’adoption des lois sur la transparence en 2013, mais peut encore progresser, avec seulement 30 % des critères remplis.

« Ni l’Assemblée nationale, ni le Sénat n’ont instauré d’organe de contrôle indépendant », écrit l’association, qui rappelle que les parlementaires peuvent continuer à exercer des activités de conseil pendant leur mandat s’ils les exerçaient avant, ou devenir avocats d’affaires. Sur ce point, le cadre est plus contraignant pour les autres responsables publics, qui doivent dans certains cas observer des délais avant de passer du public au privé.

Les codes de bonne conduite, s’ils existent, ne sont pas forcément respectés et, à titre d’exemple, Transparency rappelle la liste des prestations qui sont offertes par les industries du tabac aux responsables publics (les « programmes d’hospitalité »). Cela va de la soirée cinéma avec avant-première d’un coût de 150 euros par personne à une loge à Rolland-Garos, d’un coût moyen de 1 200 euros ou au Stade de France (environ 650 euros par personne).

TRAÇABILITÉ DE LA LOI : INSUFFISANTE ET DÉSÉQUILIBRÉE

La traçabilité des décisions publiques et l’accès à l’« empreinte législative » d’un texte, malgré des efforts notamment de l’Assemblée nationale (mieux notée que les autres instances publiques) reste, elle, difficile, voire impossible. La circulation physique des lobbyistes dans les locaux est certes désormais encadrée au Palais-Bourbon, avec la tenue d’un registre, mais ce n’est pas le cas dans les autres instances, où les contrôles sont pratiquement inexistants. Surtout, c’est une réponse jugée insuffisante par les associations, comme par les représentants d’intérêts eux-mêmes, qui joueraient pourtant parfois davantage le jeu que les instances publiques.

En dehors des instances parlementaires, la plupart des autres lieux de prises de décisions publiques restent oubliés et hors de tout cadre. Sans parler du « pantouflage », qui consiste à passer du privé au public et réciproquement et conduit à un lobbying « déséquilibré », comme l’a montré le débat sur la loi bancaire en 2013.

« La stratégie d’influence des banques a été en partie favorisée par leurs liens étroits avec la haute fonction publique, notamment l’administration du Trésor », assure l’association, qui rappelle, entre autres, que Xavier Musca, ancien secrétaire général de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy, a été recruté à l’été 2013 par le Crédit agricole en tant que directeur général délégué, ou que l’ancien conseiller de Jean-Marc Ayrault pour le financement de l’économie, Nicolas Namias, a été nommé en juillet 2014 à la tête de la stratégie de Natixis.

ÉQUITÉ D’ACCÈS : AUCUNE GARANTIE

Enfin, rien de tout cela ne permet de garantir le troisième principe : l’équité d’accès au processus de décision. Dans de nombreux cas, les décideurs publics décident de mettre en place des commissions consultatives ou des consultations publiques pour préparer un texte. Mais elles restent facultatives et sans garantie de transparence ou d’équilibre dans leur composition. Quant au Conseil économique, social et environnemental, censé représenter les différentes catégories socioprofessionnelles et conseiller le gouvernement et le Parlement sur ces sujets, « ses rapports et avis [ne sont pas] toujours pris en compte. Et quand ils le sont, la manière dont les destinataires les utilisent n’est pas toujours rendue explicite ».

Pour Anne-Marie Ducroux, il reste un important travail de pédagogie à faire. « C’est encore une forme d’impensé du fonctionnement démocratique. En France, nous n’avons pas la culture de rendre compte, il n’y a pas de volonté spontanée de transparence, tout ce qui a été fait l’a été fait après une crise majeure. Or, nous avons changé de civilisation, l’autorité ne s’exerce plus de la même manière, les gens sont plus formés, ont des moyens d’information. »

Enfin, sans encore avoir les résultats des autres antennes européennes de Transparency, Myriam Savy, responsable de l’association, sait déjà que « tous les pays sont en retard et n’ont pas pris la mesure du problème ». Au niveau européen, le Parlement est souvent désigné, à raison, comme le bon élève en matière de transparence, mais il reste des coins sombres dans les institutions, notamment dans les « trilogues », ces négociations à huis clos entre représentants de la Commission, du Conseil et du Parlement européen censées aboutir à des textes de compromis.

« Ce processus est complètement opaque, aucune information ne sort sur les arbitrages effectués. Le texte final peut être différent du texte voté par le Parlement, sans que l’on puisse connaître le rapport de force qui a conduit à l’arbitrage final », déplore Myriam Savy. Il n’y a pas qu’en France que la marge de progression est importante.

Hélène Bekmezian

14e legislature
Question N° 69084
de M. Hervé Féron (Socialiste, républicain et citoyen - Meurthe-et-Moselle )
Question écrite
Ministère interrogé > Intérieur
Ministère attributaire > Intérieur

Rubrique > État

Tête d’analyse > pouvoirs publics

Analyse > groupes de pression. influence
Question publiée au JO le : 18/11/2014 page : 9618
Date de renouvellement : 24/02/2015
Date de renouvellement : 02/06/2015

M. Hervé Féron attire l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur le rôle croissant des groupes d’intérêt ou lobbies dans l’élaboration de la décision publique en France. Dans son rapport publié le 21 octobre 2014, l’ONG Transparency International France estime que la prise de décision dans la sphère publique française ne satisfait que 27 % des 65 indicateurs retenus, parmi lesquels l’intégrité des acteurs publics, l’équité d’accès à l’information, ou encore la transparence en matière de lobbying. Si la « tyrannie de la transparence » évoquée en 2013 par Jacques Attali ne doit pas être un but en soi, il apparaît toutefois nécessaire de réguler l’activité de lobbying et d’encadrer les relations entre décideurs publics et représentants d’intérêts. En effet, un lobbying exercé pour des intérêts contraires à l’intérêt général et une expertise non indépendante du fait d’experts en situations de conflits d’intérêts peuvent avoir de graves conséquences, comme lors de l’« affaire Mediator » en 2012, en altérant qui plus est la confiance des citoyens envers leurs élus et leurs institutions. Il convient de ne pas non plus diaboliser le rôle des représentants d’intérêts, qui lorsqu’il est public et clairement défini contribue à apporter aux décideurs publics des éléments d’information et de compréhension sur des questions parfois complexes. Depuis les années 2000, les assemblées parlementaires ont entrepris un travail d’encadrement du lobbying, avec notamment en janvier 2014 la publication à l’Assemblée nationale d’un nouveau registre des représentants d’intérêts, aux informations bien plus précises qu’auparavant (nom des clients des cabinets de consultants, part de dons et de subventions dans les ressources des ONG). Cependant, un tel encadrement est pratiquement absent de tous les autres lieux de la décision publique (services de l’Élysée et cabinets ministériels, autorités administratives indépendantes, lieux d’expertise, collectivités locales...) alors même que les lobbies y jouent un rôle aussi important. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique devrait prochainement émettre des recommandations en la matière, comme le prévoient ses missions. Dans l’attente de ces recommandations, il souhaite connaître son avis sur la nécessité d’édifier des règles visant à clarifier et à encadrer les relations entre les décideurs publics et les représentants d’intérêts, afin de recréer les conditions de la confiance des citoyens dans la décision publique.

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