Guerre civilisationnelle
Pour ceux qui n’auraient toujours pas compris, répétons qu’il ne s’agit pas en Syrie d’une guerre civile sous couvert d’une contestation armée politique du régime, mais d’une guerre idéologique et religieuse à dimension continentale, du Turkestan chinois aux Colonnes d’Hercule. Guerre civilisationnelle qui oppose le fanatisme wahhabite et l’islamisme (ou islam politique) à toutes les nations mécréantes (ce qui comprend tous les musulmans sunnites ordinaires) de la Mer Rouge au Golfe de Guinée, et du Xinjiang à l’Atlantique. En témoigne le commando de sept terroristes appartenant à Daech mis hors d’état de nuire « le 7 février 2016 à Iekaterinbourg qui préparaient différents attaques sur le modèle du 13 novembre, ceci à Moscou, Saint-Pétersbourg et à Sverdlovsk dans l’Oural » [3]. Selon le FSB (ex Kgb) quelque 2900 ressortissants russes, majoritairement originaires des Républiques du Caucase, combattent actuellement dans les rangs de l’ÉI en Syrie et en Irak. De son côté, le service de renseignement privé new-yorkais The Soufan Group] (soufangroup.com), estime que le nombre de combattants originaires d’Asie centrale a également explosé en 2015, plus de 2300 d’entre eux ayant rejoint la Syrie ou l’Irak.
Mais il serait fallacieux, simpliste et réducteur de ne voir dans ce conflit qu’une opposition primaire entre sunnisme et chiisme parce qu’en l’occurrence il s’agit ici soit de Frères musulmans (ceux qui fuient actuellement Alep avec leur famille), soit de salafo-wahhabites parfaitement étrangers à l’islam orthodoxe, classique, traditionnel et populaire, puisqu’il s’agit d’une sorte de nihilisme messianique négateur de toute spiritualité et assez proche en cela de la rage destructrice des Conventionnels d’octobre 1793 ou des judéobolchéviques de 1918 et de l’ouragan de carnages surdimensionnés perpétrés par la Tchéka [4]… responsable à elle-seule d’une dizaine de millions de morts, en un mot de l’éradication génocidaire (aujourd’hui occultée) des élites laïques et religieuses de l’ancien empire. Néanmoins et a contrario les Frères musulmans se présentent eux sous l’étiquette du réformisme, offrant une version édulcorée, plus présentable que le fanatisme des seconds [5] . Reste que les uns et les autres procèdent d’une même dénaturation du prophétisme coranique et de son instrumentation à des fins politiques, c’est-à-dire en vue d’une conquête du pouvoir. Non pour servir mais essentiellement pour satisfaire de dévorantes ambitions personnelles et collectives se présentant sous le masque de l’altruisme. Tout comme le marxisme qui n’a jamais été qu’un moyen en Russie de hisser une mafia tribale au sommet d’une pyramide de cent soixante millions de nouveaux serfs. Mirifique mirage dans sa construction, en tout cas suffisant pour jeter les basses classes à l’assaut des possédants… possesseurs de la terre, du savoir, de l’expérience, de l’autorité, toutes choses haïssables…
De mortelles utopies qui sont hélas très loin d’être mortes et qui risquent de se jeter à nouveau très bientôt au visage des peuples. Retenons que la distinction entre modérés et fanatiques n’est en Terre d’islam, comme en Occident gangrené par la social-démocratie à visage humain (en vérité révolutionnaire en son essence), n’est qu’un leurre et une illusion. Nous le réapprenons constamment à nos dépends… l’État totalitaire progresse à bas-bruit, notamment grâce à ce grand allié qu’est l’État islamique et le cortège de lois d’exception qui l’accompagne. ÉI contre lequel la lutte occidentale Levant n’a été qu’une pantalonnade… jusqu’à ce que l’arrivée intempestive des Russes ne vienne dévoiler le pot au rose.
Alep outragée, Alep libérée
La presse honnête et dure à la tâche s’est d’autre part bien gardée de montrer ceux des Aleppins – notamment dans les quartiers ouest - restés fidèles à Damas et « la foule en liesse » accueillant les troupes gouvernementales en libératrices [6].
Force donc est de déduire que les « 60 000 à 70 000 personnes faisant mouvement depuis Alep vers la Turquie » [7], suite à l’opération de l’armée syrienne lancée le 1er février avec l’appui de l’aviation russe pour libérer la ville, place forte de la rébellion depuis 2012, que ces gens non seulement pas ne fuient pas Daech mais qu’ils en étaient le soutien populaire. Voilà ceux que l’Union européenne s’apprête à accueillir à bras ouverts comme les victimes d’une guerre inique.
Une guerre confessionnelle qu’en réalité ces malheureuses gens ont engagée contre le gouvernement légal, parce qu’en terre arabe la passion, les passions bonnes et mauvaises l’emportent sur toute réflexion. Conflit qu’ils ont depuis quatre ans alimenté, soutenu par leurs volontaires, leur aide logistique et leur solidarité morale. Ceci avec le soutien actif de la Turquie qui aujourd’hui refuse ostensiblement de leur ouvrir ses frontières dans le seul but d’imposer à l’UE la création d’une zone de rétention en territoire syrien. Ce qui permettrait à l’armée turque de pénétrer en Syrie, de s’y établir sous la protection de l’Otan et à partir de là livrer une guerre sans merci aux irrédentistes kurdes du PKK. Plan qui suppose une confrontation directe avec les Russes !
Pour revenir aux images d’Alep en ruines [8], insistons encore sur le fait que ces civils qu’on nous présente comme des victimes au premier degré, des victimes innocentes se jetant sur les routes pour fuir les combats, sont avant tout le socle humain, le terreau sur lequel se développe et prospère l’État islamique. Ce sont donc ces gens – qu’indépendamment de toutes autres considérations nous ne pouvons que plaindre pour les malheurs qui les accablent, mais dont ils sont en partie responsables – que nous accueillons massivement en Europe [9] . À nos risques et périls.
Les enjeux d’une libération
Il faut comprendre qu’en prenant Alep, ancienne capitale économique syrienne - la première grande victoire depuis 2012 - les forces gouvernementales, puissamment soutenues par la couverture aérienne russe, ont coupé le principal couloir d’approvisionnement des rebelles avec la Turquie. Un pays islamo-kémaliste dont les dirigeants exercent sur la chancelière Merkel – laquelle, ce 8 février, est allée encore une fois se prosterner aux pieds du sultan Erdogan et de son grand vizir Davutoglou - un exécrable chantage à l’invasion migratoire. Chantage à plusieurs faces : financier (subvention de 3mds d’€ pour la rétention des réfugiés) et militaire comme nous venons de l’évoquer. Bref, la rébellion djihadiste est principalement ravitaillée par l’État profond turc suivant deux axes routiers, celui dit de Mayer/Anadan traversant le gouvernorat d’Idlib et l’autre Azaz/Alep, voies par lesquelles les unités salafo-wahhabites reçoivent leurs renforts en personnels, armes et munitions depuis la Turquie via le poste frontière de Bab al-Salam [10]. Le corridor d’Azaz étant à ce titre un véritable cordon ombilical (long d’une cinquantaine de kilomètres pour quinze de large), reliant la Turquie pilier oriental de l’Otan - il faut s’en souvenir - à Alep, capitale régionale et pivot stratégique au nord du Croissant fertile.
Duplicité turco-euratlantiste
Cette proximité logistique avec les Frères musulmans syriens camouflés en combattants de la démocratie montre explicitement le degré d’hybris aujourd’hui atteint par Ankara. Même si c’est avec la bénédiction tacite de ces formidables hypocrites que sont les gouvernements euratlantistes… lesquels d’une main essuient leurs larmes sèches au spectacle des naufragés de la Mer Égée et après les boucheries successives qui de Londres à Paris le 13 novembre dernier, via Madrid sèment la panique dans les opinions publiques (mais peut-être, sans doute une terreur programmée dans les ténèbres extérieures ?), et de l’autre, arment, équipent et encadrent les terroristes tout en faisant semblant de les combattre. Il aura fallu in fine l’irruption de la Fédération de Russie sur le champ de bataille pour que la duplicité de la coalition occidentalo-arabe anti Daech apparaisse pleinement au grand jour.
On comprend également mieux que le Secrétaire d’État Kerry ait exigé l’arrêt immédiat des bombardements russes sous d’impérieux prétextes humanitaires, car si les rebelles d’Alep se trouvaient complètement encerclés… « à moins qu’ils ne reçoivent une aide urgente des pays du Golfe et de la Turquie cela pourrait signifier pour eux une défaite irrémédiable ». Dixit l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, porte-parole officieux du Foreign Office, d’autant que plusieurs milliers - 5 000 ? - miliciens chiites présents dans la région conquise pourraient rejoindre les forces gouvernementales. Les soldats de l’Armée arabe syrienne sont en effet parvenus le 4 février, à briser le siège - en place depuis 2012 - de deux petites villes chiites de la province : Nouboul et Zahra dont la population chiite a reçu les soldats loyalistes sous des pluies de riz et de fleurs. Villes martyres, villages évidemment oubliés de nos médias qui n’ont d’yeux que pour les enfants affamés des villes rebelles soumises au feu de la contre-insurrection.
Confrontation russo-turque
Ce qui précède éclairent les messages d’alerte qui maintenant se multiplient annonçant l’imminence d’opérations terrestres conjointes turco-séoudiennes afin de desserrer l’étau qui commence à broyer les troupes des terroristes, sans distinction rhétorique entre modérés et enragés. Sur CNN, le ministre séoudien des Affaires étrangères, Adel Joubeir, déclare sans ambages que Riyad étudie l’envoi de forces spéciales en Syrie… Où sont déjà à l’œuvre Anglais et Américains ainsi qu’en atteste leurs pertes fugacement signalées par la presse. Le lendemain, le vice-président américain, Joe Biden annonçait à son tour et l’occasion d’une conférence de presse tenue avec le Premier ministre turc Davutoglou, « l’intention de la coalition d’imposer une solution militaire en Syrie en cas d’échec des négociations » [11].
L’Arabie saoudite pourrait de cette façon expédier en Syrie plusieurs milliers de soldats des unités spéciales prélevés sur les unités opérant au Yémen et déployés en coordination avec la Turquie[theguardian.com5fév16]]. Une décision en ce sens pourrait d’ailleurs être adoptée lors du sommet de l’Otan à Bruxelles au cours de la semaine du 8 février…
Dans cette occurrence, le général Konachenkov, porte-parole du Ministère de la Défense Russe, convaincu que la Turquie s’apprête à envahir la Syrie, pose à brûle-pourpoint la question suivante : « Quelle sera la réaction de l’Otan lorsque les forces syriennes et russes détruiront les forces turques et éventuellement contre-attaqueront en territoire turc ? ». Depuis l’intervention de la Russie en Syrie, Ankara cherche à coup sûr un prétexte pour contrer Moscou qui éreinte « l’État Islamique, allié objectif de la Turquie ». En outre les sanctions commerciales instaurées par la Russie contre la Turquie deviennent insupportables à l’économie turque déjà mise à mal par l’effort de guerre et le poids des réfugiés. Dans ces conditions Erdogan, fort de l’Article V du Traité de l’Atlantique nord (solidarité active à l’égard des alliés en cas d’agression de l’un d’entre eux), pourrait choisir la fuite en avant et une guerre limitée contre la Russie. Ingrates perspectives…
Leon Camus - 6 février 2016
État des opérations - Source protégée
« Résultat de la stratégie mise en œuvre par la Russie, l’Armée arabe syrienne (Damas) a regagné une plus grande liberté d’action laquelle s’est traduite par une série d’offensives ayant permis la reprises de nombreux bastions des terroristes.
… L’abandon par les islamistes des villes où ils s’étaient retranchés, a accru la mobilité des unités blindées syriennes qui ont ainsi pu reprendre le contrôle sur les voies de communication reliant entre elles les localités tenues par les djihadistes. Les forces gouvernementales ont réussi à encercler de nombreuses localités, soumises aux frappes de l’aviation russe, avant de déclencher des offensives terrestres. Ainsi dans le gouvernorat de Lattaquié, la partie du Nord des montagnes turkmènes occupée par des groupes terroristes soutenus par l’Arabie Saoudite, la Turquie et les États-Unis, est sur le point d’être libérée par la 103e Brigade mécanisée de la garde Syrienne. Ce qui devra assurer la sécurisation globale de la frontière syro-turque tout en procurant à l’Armée arabe syrienne des points d’appui pour le lancement d’une offensive destinée à libérer Jisr Al Choughour, porte d’entrée fortifiée dans le gouvernorat d’Idlib. Un gouvernorat entièrement contrôlé par quelque 12000 djihadistes appartenant à plusieurs groupes, dont celui d’al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda. Dans le gouvernorat de Deraa, au sud de Damas, la 7e Division mécanisée syrienne a créé une profonde faille sur un axe nord-sud entre les positions ennemies, encerclant un groupe de 1500 combattants islamistes dans l’Est du gouvernorat.
… Après la libération de l’important nœud de communication de Sheikh Miskeenm, les 12e et 15e Brigades de la 5e Division blindée syrienne ont poursuivi leur offensive pour la conquête de la ville de Nawa. Cette commune est proche du plateau du Golan, qui forme la frontière avec Israël. Grâce à cette manœuvre, l’armée syrienne a commencé d’encercler 9500 djihadistes combattant dans l’ouest du gouvernorat de Deraa, sécurisant de cette façon la frontière poreuse avec Israël. Les deux actions offensives sont des indications claires de la préparation d’opérations terrestres de grande envergure, probablement lancées en Mars.
… Une hypothèse confortée par le fait que la Russie intensifie actuellement ses missions de reconnaissance et doublé le nombre de drones de type Dozor dans le but de surveiller spécifiquement les mouvements rebelles. Étant donné que l’armée arabe syrienne est l’unique adversaire de toutes les formations combattantes, celle-ci se donne pour tâche prioritaire de pousser les groupes terroristes à déposer les armes alors que, harassés et repoussés par l’Armée arabe syrienne et de plus en plus coupés de leurs lignes de ravitaillement, leurs capacités de combat commençant à diminuer significativement.
… Pour protéger les bombardiers Tu-22M3 durant leur survol de l’espace aérien de l’Irak et le nord de la Syrie, où évoluent les avions de la coalition anti-ÉI dirigée par les États-Unis, la Russie a déployé à la base aérienne de Hmeymim, l’une des quatre batteries de missiles anti -aériens S-400, amenées en Syrie. Une batterie a été déployée à la base aérienne syrienne de Kuweires, située à 30 km à l’est d’Alep. Dans le cadre de cette offensive probable de printemps, les forces de la FR auront à leur disposition les 64 appareils de combat (24 Su-24M2, 12 Su-25, 12 Su-34, 16 Su-30SM) présents sur cette même base d’Hmeymim à proximité de Lattaquié ».
La Russie aurait entrepris la construction d’une nouvelle base à al-Chayrat près de Homs et procédé à des repérages dans le but d’établir une quatrième base au Nord-Est de la Syrie au voisinage simultané de la Turquie et de l’Irak [voltairenet.org14déc15].