Geopolintel - Le Pakistan subit actuellement une vague d’attentats d’une ampleur inouïe. Cette vague de violence peut-elle aboutir à une déstabilisation du pouvoir ?
JMV- À première vue, le gouvernement pakistanais se trouve engagé dans une mauvaise passe. Cette vague d’attentats - sans précédent par son intensité - précédait l’offensive lancée aujourd’hui samedi 17 octobre 2009 contre les positions des Taliban au Waziristân Sud. N’inversons pas la relation de causalité : cette opération n’est pas une « réponse » aux attentats, c’en est l’exact contraire.
La plus marquante de ces actions est intervenue le 10 octobre à Rawalpindi, au cœur de la capitale historique du Pakistan où la dissidence islamiste a frappé un symbole fort : un bâtiment situé dans la proximité immédiate du Quartier général des forces armées pakistanaises. Quant au dernier épisode, hier, il a fait treize morts à Peshawar… Cela, soit dit en passant, après une semaine particulièrement sanglante : jeudi une série d’attaques à Lahore visait la police et avait causé quelque 39 morts et 11 autres dans un attentat-suicide dans le nord-ouest. Ces attentats constituaient évidemment de sortes d’actions de rétorsion par anticipation selon l’intéressante formule inventée par l’état-major américain au Vietnam à l’occasion de ses frappes préventives sur le Nord.
Geopolintel -Alors que dire de la situation actuelle ?
JMV- Visiblement l’offensive pakistanaise de l’été dernier dans la Vallée de Swat, à 160 Km d’Islamabad, n’a pas porté ses fruits. Nous assistons donc à une ultime tentative avant la pause hivernale, en vue de réduire les capacités des Taliban et soulager la pression croissante qui s’exerce maintenant un peu partout en Afghanistan sur forces de la coalition… Autant dire que le gouvernement légal pakistanais est à présent pris entre le marteau américain et l’enclume Taleb. Cela ne rend pas particulièrement optimiste pour l’avenir d’un pays où la population – forte de 165 millions d’âmes sur un espace géographique représentant environ une fois et demie la France - et l’armée sont de plus en plus remontées contre la soumission du pouvoir politique aux oukases de Washington. Cela entre autres en raison d’une aide votée par le Congrès américain de 7,5 milliards de $ sur cinq ans qui impose en contrepartie de la part du Pakistan un complet alignement sur les desiderata de Washington…
N’oublions pas que l’armée pakistanaise - de surcroît titulaire de l’arme nucléaire et des vecteurs ad hoc - est travaillée en profondeur par un national-islamisme qui pourrait bien, un jour pas très lointain, opérer le cas échéant un nouveau coup d’État militaire à Islamabad. Une possibilité que nul ne peut exclure.
Geopolintel - Le Pakistan est connu pour avoir, par le truchement de l’ISI, aidé et financé Al Qaïda pendant la guerre djihadiste russo-afghane. Qui se cache derrière ces derniers attentats ou qui en sont les bénéficiaires directs ou indirects ?
JMV- Une partie de l’armée pakistanaise reste effectivement fort proche, non pas d’une Al Qaïda en partie mythique – ce que disent mezzo voce la plupart des spécialistes – mais des Taliban eux-mêmes qui ne sont en vérité, à l’origine, qu’une extension de l’armée pakistanaise. Car avant le 11 septembre 2001, Islamabad tenait l’Afghanistan plus ou moins sous sa coupe par le truchement du régime Taleb au pouvoir à Kaboul.
Sur place c’était un secret de polichinelle, vu d’ici, bien sûr, à travers le prisme déformant du strabisme divergent de nos chers « spécialistes » de la pensée unique, la version des faits était toute autre. Partant de cela, on peut émettre l’hypothèse qu’en partie des services pakistanais ou même certaines factions au sein de l’armée pakistanaise instrumentent ou apportent un soutien logistique – des renseignements par exemple – suivant divers degré de « complicité » avec les groupes d’activistes et de kamikazes.
Pour le reste, accordons-nous la licence d’un peu de politique-fiction… Cette montée de la violence contre le gouvernement d’Ali Zardari est indirectement dirigée contre les intérêts américains au Pakistan. Sans dire que la déstabilisation du régime qui s’amorce indéniablement dans un contexte de surtension politico-militaire pourrait avoir reçu le feu vert de Pékin allié de longue date du Pakistan contre sa rivale indienne soutenue elle, tout aussi traditionnellement par Moscou, serait peut-être un peu hâtif. Il faudrait alors considérer ce « signal » envoyé à l’Amérique dont les ingérences au Xinjiang par exemple (par le truchement des services turcs ?), au Tibet ou en Birmanie sont un poil à gratter de plus en plus irritant pour le Politburo pékinois. Une réponse du berger à la bergère en quelque sorte. Mais nous sommes ici, bien sûr, dans le domaine de la pure spéculation !
Geopolintel - Obama a eu l’occasion de désigner le Pakistan comme un État voyou, “ a rogue state”, il était allé jusqu’à le menacer en 2008 de bombardement. À votre avis, c’était une menace gratuite ou pourrait-elle s’actualiser un jour prochain ?
JMV – L’objectif du Président Obama est fixé depuis belle lurette. Le 15 juillet 2008, dans un discours tenu à Washington, un discours relatif à la guerre et au terrorisme, juste avant un voyage d’intronisation finale à Tel-Aviv, le candidat à la présidence des É-U et futur prix Nobel de la paix 2009, Barak Obama affirmait en effet haut et fort que l’urgence se situait sur le front afghano-pakistanais… dénigrant au passage la politique de l’équipe encore aux mannettes : « Comme le président Bush et le sénateur John McCain <http://tf1.lci.fr/infos/biographie/...> auraient dû s’en rendre compte, le front central de la guerre contre le terrorisme n’est pas en Irak, et ne l’a jamais été… la base d’Al Qaïda est en train de s’étendre au Pakistan », tout en ajoutant pour mieux jouer électoralement sur la peur : »s’il y un nouvel attentat contre notre patrie, cela viendra probablement de la même région d’où le 11-Septembre avait été préparé ».
Or, même si à cette occasion le candidat Obama s’est dit vouloir « sécuriser les armes et matériaux nucléaires des terroristes et des Etats voyous », il n’a pas alors désigné explicitement le Pakistan comme tel. Ç’eut été d’ailleurs passablement maladroit. Il est cependant tout à fait exact que quelques mois plus tôt, en févier 2008, en plein cœur de la bataille des primaires démocrates, la postulante à l’investiture Hillary Clinton accusait encore son chalengeur d’avoir au cours de l’été précédent « menacé de bombarder le Pakistan », ce à quoi celui-ci rétorqua qu’il entendait « le cas échéant bombarder des cibles d’Al Qaïda au Pakistan, cela même sans l’accord préalable d’Islamabad ». Ce qui, au fond, est du pareil au même.
Et c’est exactement ce qui se passe depuis plusieurs mois, les forces américaines envoient leurs drones tueurs - les Predators et les Reapers guidés depuis des bases du Nevada à vingt mille kilomètres des zones tribales du Pakistan - frapper à qui mieux mieux combattants et civils confondus. De facto la guerre s’est étendue à bas-bruit au Pakistan. Le Président Obama n’a d’ailleurs fait qu’emboîter le pas à George Walker Bush (qui lui, le pauvre, n’a pas été nobélisé), qui avait autorisé dès juillet 2008 des opérations terrestres et aériennes à l’intérieur des frontières du Pakistan et sans accord préalable d’Islamabad pourtant allié des États-Unis. Aujourd’hui l’armée américaine intervient au Waziristân et demain où ? Au Penjab où des signes d’embrasement général se manifestent de plus en plus ?
À bien y regarder, la situation à l’ouest du Pakistan commence à ressembler furieusement à la guerre du Vietnam et à son extension périphérique au Laos et surtout au Cambodge à partir de 1969… Enlisé, l’état-major américain est convaincu que les bases arrières dont les insurgés disposent au Cambodge sont coupables de l’échec américain. Le président Lyndon Jonhson ordonne alors des campagnes de frappes aériennes sur le Cambodge. Une extension de la guerre à un pays où le conflit s’est finalement prolongé pendant les dix-sept ans qui ont suivi la débâcle américaine au Vietnam. Une guerre qui a en fin de compte cessé faute de combattants avec le retrait des troupes vietnamiennes du Cambodge, un retrait qui démarre seulement le 30 juin 1988, précédant de quelques mois l’effondrement total de l’Empire soviétique…
Christopher Hitchens, Américain et intellectuel de gauche passé avec armes et bagages en 2003 dans le camp de George W. Bush à l’occasion de la guerre d’Irak, expliquait encore il y a peu que « le Pakistan est Le Problème », jugeant dans la foulée que Barak Obama est l’homme idoine pour conduire « la Bonne Guerre », une guerre totale, « une guerre plus âpre et plus prolongée », celle qu’il appelle, avec beaucoup de ses semblables, de tous ses vœux. C’est au fond également la position du plan Kerry-Lugar - John Kerry candidat démocrate malheureux à la présidence en 2004 – qui vise en quelque sorte sous couvert d’aide, à mettre le Pakistan sous tutelle étatsuninenne. Ann Patterson, représentante américaine au Pakistan, n’affirmait-elle pas récemment que si Mollah Omar a réellement trouvé refuge à Quetta, ville du Baloutchistan pakistanais, il ne fallait pas exclure de bombarder la ville afin de l’en déloger… !
Jean Michel Vernochet pour Geopolintel