Provocation à la guerre générale
C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter les propos tenus lors d’un conseil des ministres retransmis en direct sur les écrans ex cathodiques vendredi 25 avril, par le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk, lequel accusait sans vergogne la Russie de vouloir provoquer un conflit général. Affrontement pouvant s’étendre au reste de l’Europe si la Fédération persistait à occuper « militairement et politiquement l’Ukraine ». Allant plus loin, il précisait : « Les velléités de conflit militaire en Ukraine mèneront à un conflit militaire en Europe... Le monde n’a pas encore oublié la Deuxième Guerre mondiale que déjà la Russie veut déclencher la Troisième ».
Le ministre ukrainien de l’Intérieur, Arsen Avakov, faisait savoir quant à lui que l’opération de sécurité lancée contre les séparatistes pro-russes des régions orientales se poursuivait, Kiev disposant selon ses dires « des ressources militaires suffisantes pour agir 24 heures sur 24 » ! Ce qui signifie que Kiev n’a pas respecté et ne respecte pas les termes de l’accord passé à Genève le 17 avril précédent, agrément suivant lequel les unités spéciales ukrainiennes devaient se retirer des provinces russophones en effervescence… « Il n’y a eu aucune suspension de l’opération antiterroriste en lien avec la menace d’une invasion des forces armées russes... L’opération se poursuit. Les terroristes devraient se tenir en permanence sur leurs gardes. Les civils n’ont rien à craindre » Avakov dixit. Resterait finalement à savoir qui sont et où sont véritablement les terroristes ? Le maire de Kharkiv - second centre urbain ukrainien après Kiev - n’a-t-il pas été grièvement blessé par balles ce 28 avril par des « inconnus » ? L’échevin Guennadi Kernes est un homme controversé, secrètement haï parce qu’en dépit de son récent ralliement à Kiev il était connu pour son indéfectible soutien au président déchu Ianoukovitch [LeMonde.fr28avr14].
Bref, une montée de tension telle que la Fédération de Russie a évoqué l’éventualité d’une intervention militaire pour défendre les intérêts de la population d’origine russe, et à ce titre a engagé des manœuvres le long de la frontière ukrainienne… survolée ou franchie à plusieurs reprises par ses aéronefs de combat [latribune.fr25avr14].
Logique asymétrique des occidentalistes
Armé d’une certaine mauvaise foi et fort d’une logique toute « asymétrique », le Secrétaire d’État américain ne s’est pas privé, par le truchement d’un communiqué, d’accuser Moscou de consentir « des efforts démesurés pour saboter activement le processus démocratique par le biais d’une campagne d’intimidation grossière ». Cela en ne prenant pas « la moindre initiative »… en vue d’appliquer concrètement le compromis de Genève, exprimant « son inquiétude relative aux mouvements de troupes russes provocateurs à la frontière ukrainienne, au soutien de la Russie aux séparatistes et à sa rhétorique incendiaire, lesquels sapent la stabilité, la sécurité et l’unité de l’Ukraine » [huffingtonpost26avr14].
En conséquence de quoi Washington vient de renforcer ses sanctions à l’encontre de Moscou. Des mesures vexatoires spécifiquement dirigées contre vingt-et-une personnes physiques et morales supplémentaire (par rapport à la première liste adoptée)… sept personnalités russes et dix-sept entreprises. Bruxelles se contentant de sanctionner seulement quinze proches du Kremlin. Mais comme la Russie n’est pas l’Iran ces mesures de rétorsion ne sont pas de « niveau 3 », les dommages économiques collatéraux qui s’en suivraient étant jugés trop importants, la Cité [City] s’y est fermement opposée. Ce pourquoi, contrairement à ce qui était prévisible ou attendu, le secteur énergétique – le gazier Gazprom et le pétrolier Rosneft - n’a pas été encore visé.
À Kiev, le gouvernement transitoire cherche pour sa part à organiser coûte que coûte des élections présidentielles le 25 mai afin de doter le pays d’une représentation légitimée par le suffrage universel, ceci afin de remplacer le président évincé, Viktor Ianoukovitch, réfugié en Russie et, le cas échéant se réfugier aussitôt dans le giron de l’Otan, accroissant du même coup le risque d’une confrontation armée. Subsiste un seul hic, et de taille, car selon un sondage - récent - les autorités de transition ne sont pas reconnues par quelque 70% des habitants de la région de Donetsk.
Simulation de guerre nucléaire
Sans y voir très précisément une quelconque relation de cause à effet, il est cependant utile de noter qu’à l’occasion de la Sommet sur la Sécurité nucléaire du 25 mars dernier à La Haye, les participants au nombre de 53 ont participé à un exercice de simulation d’une attaque à la bombe radiologique [lemonde.fr26mars14]. « La Voix de la Russie » précise que quelques dirigeants occidentaux, M. le président américain Obama, le Premier ministre anglais Cameron, la chancelière allemande Merkel ainsi que le président chinois Xi Jinping, mais non la Russie, auraient aussi participé à un « jeu de simulation informatique » d’une frappe nucléaire terroriste contre une grande ville européenne [ruvr.ru25mars14]. Bombe sale ou frappe kilotonnique, les hasards du calendrier international n’en sont peut-être pas… pas tout à fait certainement puisque l’Ukraine fut à la marge au cœur des débats d’une conférence dont elle n’était pas a priori l’objet !
Dans la même veine et pareillement inquiétant, mentionnons Dmitri Kisselev [2], voix officieuse du président Poutine et l’un des spécialistes des questions internationales de la chaîne publique Russie 24, qui statuait le 16 mars dernier dans un studio où s’affichait l’image en grand d’une explosion thermonucléaire, que la Fédération possédait la faculté de transformer les États-Unis « en cendres radioactives ». Un bémol prémédité intervenu au cours d’une émission consacrée aux grincements de dents américains suite au référendum ayant décidé du rattachement de la Crimée à la Russie [rtl.fr16mars14].
Complexe obsidional et conditionnement des foules
Or, sans séjourner aux É-U, par conséquent sans en être le témoin direct, il est difficile d’ignorer que de l’opinion s’y trouve savamment préparée à la guerre. Que ce formatage et/ou ce lavage des cerveaux fait partie du paysage médiatique normal et quotidien outre-Atlantique. Le terrain psychologique y est en effet labouré et sarclé de longue date afin que l’opinion soit en permanence habitée par un complexe obsidional, celui-ci largement cultivé et entretenu depuis les belles années de la Guerre froide… et plus encore depuis un certain et tragique 11 Septembre. Travail de sape et de conditionnement remis au goût du jour à présent que la Russie a retrouvé son statut d’ogre universel. Le golem islamiste ayant fait long feu, la culture de la peur venu du froid lancée d’abord moderato cantabile, va maintenant crescendo.
Certes cette peur de l’Ennemi essentiel de la Démocratie ne se comparera sans doute pas avec les sommets atteints au cours de l’année 2002, celle qui a précédée l’invasion de l’Irak, quand le spectre chromatique - du vert à l’écarlate - informait chaque heure les populations, par le truchement des grandes chaînes télévisuelles nationales, du niveau d’alerte terroriste. L’Amérique se déclarait assiégée et se préparait à la confrontation – showdown – avec le « tyran » Saddam Hussein. En fait l’opinion était soigneusement travaillée et chauffée à l’instar des publics de salles de concert. Chaque bulletin d’information était destiné à faire monter la tension, à tendre le ressort des passions aveuglantes, à faire désirer la délivrance cathartique. Celle qui interviendra finalement avec le déluge de feu du 20 mars 2003 qui s’est abattu sur Bagdad, avec ses maléfiques champignons embrasés s’élevant dans le ciel nocturne de la Mésopotamie au-dessus des eaux livides du fleuve Tigre. Au reste le danger d’un embrasement est aujourd’hui beaucoup plus grand et possiblement plus imminent que jamais depuis octobre 1962 et la crise des missiles soviétiques prépositionnés sur l’île de Cuba.
Léon Camus 28 avril 2014