L’Envol saboté d’Alcatel Alsthom, Pierre Suard, éditions France Empire
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28/04/1995 - L’Expansion
Ce lundi 13 mars 1995, Ahmed Mourtada Ahmed est pressé. Au premier jour de sa visite officielle à Paris, le ministre irakien des Transports et des Communications a prévu de déjeuner avec Serge Tchuruk, le patron de Total, et Pierre Suard, le numéro 1 d’Alcatel-Alsthom.
Au menu, le contrat du siècle : 15 milliards de francs offerts par l’Irak, payables en pétrole sur quatre ou cinq ans, pour rebâtir les télécommunications du pays. L’équivalent de 10 000 emplois pour Alcatel-Alsthom. Un don du ciel !
Piégée par les affaires , menacée d’asphyxie par la baisse des prix, sanctionnée par la Bourse, raillée par la concurrence, la firme française se prépare à savourer sa revanche. L’occasion rêvée de revenir en force sur la scène mondiale et de balayer des mois d’humiliations et de traumatismes. Le contrat inratable !
Las, ce jour-là, Pierre Suard ne participera pas au déjeuner. Placé deux jours plus tôt sous contrôle judiciaire, l’homme fort du groupe, mis en examen pour surfacturation aux dépens de France Télécom, est désormais dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions. La crise judiciaire que traverse le groupe depuis quinze mois est à son paroxysme. Réuni de toute urgence le lundi matin, le conseil d’administration d’Alcatel-Alsthom est sonné. Dans l’attente de nouveaux développements, il se contente de renouveler sa confiance à Pierre Suard. Le ministre irakien, lui, s’étonne. Venu avec les meilleures intentions, il cherche un interlocuteur introuvable. Un vent de panique souffle sur l’état-major du groupe. Le champion national des télécoms touche là du doigt le mal qui le ronge depuis l’arrivée de Pierre Suard, il y a neuf ans. Suard empêché, il n’y a plus personne. Pas de. 2, un comité exécutif fantoche monté en toute hâte en décembre dernier, des fidèles déboussolés, Alcatel risque de payer une fois de plus le prix de son système monarchique.
Et cette fois c’est le prix fort.
Des retombées pour toutes les filiales du groupe A la direction d’Alcatel-CIT, la filiale française chargée depuis un an de préparer ce contrat avec une centaine de collaborateurs en Irak, on blémit à l’idée de voir s’envoler une telle manne. Le scénario se présentait pourtant plutôt bien. Certains avaient imaginé signer un contrat en bonne et due forme, placé ensuite sous scellé dans un coffre-fort jusqu’à la levée de l’embargo commercial sur l’Irak. Une démarche en contradiction formelle avec les règles internationales, mais si tentante pour les milieux d’affaires.
Personne n’y aurait trouvé à redire. Seulement, l’homme qui hérite du jour au lendemain de la direction opérationnelle d’Alcatel n’a rien d’un va-t-en guerre. François de Laage de Meux, bientôt 66 ans et fidèle compagnon de route de Pierre Suard, n’a pas la trempe pour endosser seul la responsabilité d’un tel dossier. Il contacte le ministère des Affaires étrangères, qui lui déconseille tout acte contraire aux décisions internationales. Le vieux serviteur de la maison s’exécute et laisse la délégation irakienne sur sa faim.
Les pouvoirs publics viennent alors à la rescousse. Prenant des risques, José Rossi, ministre de l’Industrie, invite le soir même son homologue à sa table. Et surtout le Quai d’Orsay fait parvenir à Tarek Aziz, le bras droit de Saddam Hussein, une note confidentielle signée d’Alain Juppé. Nous arrivons au pouvoir, mettez-nous le contrat au chaud , y explique-t-il en substance. Au sein du groupe, c’est le soulagement. Car ce vide à la tête de la compagnie a bien failli faire tout capoter.
Or Alcatel-Alsthom ne peut se permettre de perdre ce fabuleux contrat.
Objectif : reconstruire l’ensemble du réseau de télécommunications du pays, dévasté par la guerre du Golfe. S’y ajoutent la livraison de locomotives, la fourniture de câbles sous-marins et de liaisons de radiotéléphone. Toutes les filiales d’Alcatel-Alsthom y trouvent leur compte, et les retombées en termes d’emplois profiteront exclusivement aux usines françaises. En attendant, Saddam Hussein réclame le top de la technologie. Il est vrai que naguère la France lui a donné satisfaction. Le gouvernement Chirac, en 1986, avec lequel il a entretenu d’excellentes relations, a béni son premier réseau téléphonique de 600 000 lignes. Alcatel se verrait bien aujourd’hui reconquérir cette ancienne place forte.
ATT et Siemens, des concurrents à l’affût
Mais les temps ont changé. L’américain ATT, appuyé par une administration Clinton remontée à bloc, mène une traque sans répit.
Le contrat de télécommunications de 4 milliards de dollars qui, en 1994, devait revenir au français en Arabie Saoudite a finalement échoué dans l’escarcelle américaine. Même si l’Irak ne figure pas parmi les terres traditionnelles des Etats-Unis, le groupe français redoute par-dessus tout la pression politique américaine de dernière minute.
Il sait aussi que le gouvernement de Washington peut retarder la levée de l’embargo tant que son champion national n’a pas pris position en Irak. Sans parler de l’allemand Siemens, très actif dans les discussions et susceptible de créer la surprise à tout moment.
Pour l’instant, Alcatel se rassure.
L’Irak lui a verbalement promis l’attribution globale du contrat, et il n’y a aucune raison de mettre sa parole en doute. Il n’empêche. Les négociations finales arrivent au plus mauvais moment. Passé provisoirement jusqu’au 31 juillet sous la houlette de Marc Viénot, le patron de la Société générale, Alcatel est en panne de stratégie. Le groupe attend son grand commandeur capable de regonfler le moral des chasseurs de contrats.
Et d’éviter le syndrome irakien . Marc Nexon avec Nicolas Beau
The ITT Wars
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