Jean-Yves Archer est économiste. Il dirige le Cabinet Archer et anime le think tank de recherche économique Archer 58 Research. Il est diplômé de l’E.N.A, promotion de 1985, et est titulaire d’un doctorat en Economie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Le citoyen, en qualité d’électeur tout autant que de contribuable, sait largement qu’il existe une dette, générée par les gouvernements de gauche et de droite, qui dépasse les 2035 milliards et frôle par conséquent les 100% de notre PIB.
Il y a une dette immergée qui s’invite à bien des évènements de la vie de la sphère publique.
Lorsque l’État apporte une garantie aux prêts bancaires de l’UNEDIC (dont la dette atteint 20 mds), cela ne se retrouve pas dans son bilan. Quand l’État soutient à bout de bras la situation de la banque DEXIA, cela n’est pas inscrit au bilan mais dans les cautions accordées. Lorsque l’État employeur prévoit la future retraite de ses agents, le montant des provisions pour pensions est inscrit ailleurs qu’au budget annuel approuvé par le Parlement.
Autrement dit, ces trois exemples illustrent l’importance de ce que l’on nomme « les engagements hors-bilan » de la France dont le montant total est égal à près de 3.200 milliards d’euros.
Dans cette question de dette publique, je dois observer que l’on abreuve les médias d’informations sur les quelques 2.000 milliards de dette au sens de Maastricht mais que la dette immergée n’est que très rarement évoquée sauf par le désormais sénateur honoraire Philippe Marini et par son collègue socialiste Gaëtan Gorce ou le député Charles de Courson. Si l’on aime la rectitude, il faut poser que notre dette totale est de 5.200 milliards.
La dette immergée est comme le diabète ou le glaucome, une maladie silencieuse et indolore jusqu’au jour où il est trop tard.
En pages 71 et 72 du récent rapport de la Cour des comptes sur la certification des comptes de l’État pour l’exercice 2014, il est reproduit « le tableau de synthèse des principaux engagements hors-bilan » à l’exception des montants unitairement inférieurs à un milliard d’euros. L’annexe chiffrée fournie n’est donc pas exhaustive. À regret car « si c’est flou, c’est qu’il y a un loup » pour reprendre le mot désormais fameux de Madame Martine Aubry.
À titre informatif, au sein des 3200 mds, les engagements liés au légitime paiement futur des pensions des fonctionnaires civils et militaires représentent 1561 mds auxquels il convient d’ajouter les retraites des fonctionnaires de la Poste, soit 128 mds.
La moitié de la dette immergée vient donc des futures pensions et présente un caractère incontournable.
Le poste intitulé « Subventions aux régimes de retraites et subventions d’équilibre aux régimes spéciaux » qui se situe à hauteur de 274 milliards dont 137 pour la seule SNCF pourrait être analysé différemment. Tous ces chiffres offrent la caractéristique d’être assez stables dans le temps à l’exception très notable des « Aides au logement et contribution de l’État au financement du FNAL » qui passent de 106 mds en 2012, à 109 en 2013 puis 164 en 2014.
Chacun observera le silence qui entoure ce dérapage de 50 milliards pour le poste du logement !
L’ancien Secrétaire d’État américain Henry Kissinger avait émis une boutade acide : « L’Europe ? Quel est son numéro de téléphone ? ». On serait tenté, face à 50 milliards de glissement de dette hors-bilan lui aussi acide, de demander le numéro de portable de l’omniprésente Madame Cécile Duflot dont le « track-record » est empli de records dont les professionnels du logement se souviendront des années durant. Chacun observera le silence qui entoure ce dérapage de 50 milliards pour le poste du logement !
La dette hors-bilan comporte donc des variations qui interpellent l’entendement mais aussi de légitimes motifs : ainsi, on relève 412 mds d’engagements liés à la « garantie de protection des épargnants » ( livrets d’épargne réglementés ) au sein de la sous-rubrique « Garanties liées à des missions d’intérêt général ».
Dans une « communication » (et non un rapport ce qui n’est pas neutre) de 215 pages de fin avril 2013 adressée à la Commission des finances du Sénat, la Cour des comptes a décrit « Le recensement et la comptabilisation des engagements hors-bilan de l’État ». Convenons que ce travail très conséquent et méthodique n’a guère atteint les oreilles du public. Tout d’abord, un certain flou l’entoure car le TIGRE (« Tableau d’inventaire des garanties recensées par l’État » page 78) est toujours en cours d’élaboration par la Direction générale du Trésor.
En République, être pudique sur des chiffres du secteur public n’est jamais gage d’éthique. Le gouvernant mise sur la crédulité ou sur l’hypoalgésie tandis que le mal perdure et enfle. Un simple chiffre : avec 3.200 milliards d’euros, le hors-bilan représente 158% du PIB. Quant à sa dynamique, elle est nette : en dix ans, ce hors-bilan a été multiplié par 3,5.
D’autant que la crise a évidemment un impact : ainsi, les différents mécanismes de sauvetage de la zone euro (MES) pèsent pour près de 130 mds au sein du passif hors-bilan.
Dans ce panorama qui invite au sérieux et à la componction, il faut noter que l’État ne perçoit plus qu’un milliard en 2012 (contre 4 en 2006) au titre des garanties qu’il consent. « Plus la protection de l’État a été recherchée, moins elle a été rétribuée par les entités qui en bénéficiaient ». ( rapport de 2013 sous l’élaboration du président de la première Chambre : M. Raoul Briet)
« L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde » a écrit le libéral Frédéric Bastiat (Sophismes économiques). Plus d’un siècle et demi après, cette phrase s’applique à cette partie immergée de l’iceberg qu’est la dette hors-bilan. Ainsi, le tableau de la page 41 nous apprend que le « démantèlement des matériels militaires, destruction de munitions, dépollution de sites militaires, engagements de nature fiscale » ne sont pas encore exhaustivement quantifiés et ont précisément fait l’objet, en 2015, d’une réserve de la Cour sur les comptes 2014 de l’État.
De surcroît, les engagements au titre du commerce extérieur (Assurance-crédit COFACE) appellent à la vigilance (85 mds), il est crucial de relever que la dette garantie directement par l’État atteint 194 mds.
Si toute cette dette implicite ou immergée conserve sa dynamique, elle pourrait représenter près de 166% du PIB lors de l’année électorale de 2017. « Nous sommes dans une ruelle étroite et des deux toits opposés, il pleut également sur nous. » Jean Jaurès. (Œuvres Tome 8 : Défense républicaine et participation ministérielle). Oui, les deux dettes implicite et explicite sont deux toits dont le financement supposerait l’équivalent arithmétique de 19 années de pression fiscale sous condition impérative d’absence d’ajout de déficit annuel additionnel.
Tels sont les faits saillants de cette dette qui rend muettes la plupart des voix politiques, à l’exception -jadis- de celle de Raymond Barre.